Empreinte carbone militaire : des émissions équivalentes à 85 % de tout le carbone émis par les voitures (LesCrises-7/12/22)

Une nouvelle analyse des émissions de carbone militaires non documentées estime qu’elles sont équivalentes à 85 % de tout le carbone émis par les voitures particulières dans le monde, rapporte Nafeez Ahmed.

Un char Centurion australien exploité par le Centre d’éducation militaire canadien. Photo : Presse canadienne/Alamy

Voici la première estimation scientifique des émissions militaires mondiales : non seulement elles sont presque équivalentes au carbone émis par toutes les voitures du monde, mais elles sont également supérieures à celles du plus grand exportateur de pétrole et de gaz du monde : la Russie.

Selon un nouveau rapport publié par Scientists for Global Responsibility (SGR) en collaboration avec l’Observatoire des conflits et de l’environnement (CEOBS), les énormes quantités de dioxyde de carbone émises par les armées du monde jouent un rôle énorme mais invisible dans la conduite de l’humanité vers une catastrophe climatique.

La recherche conclut que les émissions militaires mondiales sont si élevées que si les armées du monde étaient classées comme un pays, elles équivaudraient à la quatrième empreinte carbone la plus élevée au monde, juste derrière la Chine, les États-Unis et l’Inde – et plus élevée que celle de la Russie.

La guerre invisible sur la planète Terre

Cette conclusion n’est qu’une estimation. Les auteurs du rapport, le Dr Stuart Parkinson – ancien ingénieur militaire devenu climatologue – et l’environnementaliste agréée Linsey Cottrell, ont mis au point une méthodologie innovante pour estimer l’ampleur probable des émissions de carbone militaires en rassemblant les rares données disponibles sur les émissions des véhicules militaires, des bases et des chaînes d’approvisionnement industrielles d’un petit nombre de nations. Ces données ont ensuite été utilisées pour estimer les totaux pour le monde et les principales régions géopolitiques.

Le nouveau rapport de SGR et CEOBS, intitulé Estimating the Military’s Global Greenhouse gas Emissions [Estimer les émissions de gaz à effet de serre par les armées dans les monde, NdT], estime que les émissions militaires mondiales représentent environ 5,5 % – et peut-être même 7 % – du total des émissions de gaz à effet de serre.

Pour avoir une idée de l’ampleur de ce chiffre, il faut savoir qu’il représente environ 85 % du carbone émis par toutes les voitures particulières du monde en 2019.

« Les armées et les guerres dans le monde sont une source très importante mais négligée de pollution par le carbone – et ces émissions sont presque certainement en hausse avec la guerre en Ukraine et l’augmentation internationale des dépenses militaires qui en résulte, a déclaré le Dr Parkinson. Il est urgent que les gouvernements et les armées mesurent plus précisément leurs émissions et les communiquent plus ouvertement, et il est tout aussi urgent de les réduire. Et le moyen le plus efficace d’y parvenir est de réduire la guerre. »

A l’aveugle

Les institutions militaires du monde entier vivent dans une sorte de « no man’s land » en matière de changement climatique. Elles ne comptabilisent pas leurs propres émissions de carbone, et rien ne les oblige à le faire. Par conséquent, les données sur les émissions militaires sont généralement de mauvaise qualité, incomplètes, masquées par d’autres catégories civiles – ou tout simplement non collectées.

Les gouvernements ont hésité à s’engager dans une comptabilité carbone ferme pour éviter que l’action climatique n’entraîne des restrictions sur les activités militaires. Cela a eu des effets en retour sur la communauté scientifique climatique au sens large.

Par exemple, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations Unies a discuté à peine des implications des émissions militaires. Cela signifie que nous ne savons pas vraiment quel est le niveau de ces émissions.

Ce dont nous sommes sûrs, c’est que les plus gros pollueurs de carbone du monde sont aussi les plus gros dépensiers militaires du monde. Le rapport souligne que quelque 60 % de l’ensemble des émissions mondiales de gaz à effet de serre proviennent de dix pays seulement : la Chine, les États-Unis, l’Inde, l’Indonésie, la Russie, le Brésil, le Japon, l’Iran, le Canada et l’Arabie saoudite. Tous ces pays – à l’exception de l’Indonésie – figurent parmi les 20 premiers pays en termes de dépenses militaires.

Les conclusions du rapport sont très prudentes car elles excluent certaines sources clés d’émissions de carbone telles que « les impacts des combats », comme les incendies, les dommages causés aux infrastructures et aux écosystèmes, la reconstruction post-conflit et les soins de santé pour les survivants, ainsi que « les effets de réchauffement supplémentaires causés par les gaz d’échappement autres que le CO2 dans la stratosphère. »

L’urgence d’une responsabilisation des militaires

Si nous ne comprenons pas le rôle encore largement caché des armées du monde, nous ne serons pas en mesure d’exercer un contrôle significatif sur l’augmentation des émissions mondiales de carbone. Il est donc « urgent que toutes les armées déclarent leurs émissions en utilisant des méthodes de collecte de données cohérentes, sans ambiguïté, transparentes et solides – et qu’elles prennent des mesures pour les réduire », concluent Parkinson et Cottrell.

Cette urgence est d’autant plus grande que les activités militaires se sont intensifiées depuis l’éclatement de la guerre en Europe : « Avec l’escalade continue des dépenses militaires – notamment à la suite de la guerre en Ukraine – il est urgent que les gouvernements s’engagent à s’attaquer à cette contribution largement ignorée aux émissions mondiales de GES. »

C’est pourquoi les chercheurs appellent les responsables politiques à envisager, lors de la COP27, à renforcer les exigences en matière de rapports au titre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). « Dans un premier temps, nous avons besoin que la CCNUCC renforce ses protocoles de rapport pour les armées des gouvernements », a déclaré Linsey Cottrell.

Source : Byline Times, Nafeez Ahmed, 10-11-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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