En 1943, la police de Vichy réprimait et torturait les Résistants communistes dans les Côtes-du-Nord (OF.fr 02/08/2023)

Il y a 80 ans, entre février et août 1943, une centaine de résistants du Parti communiste clandestin des Côtes-du-Nord sont arrêtés par la police de Vichy. Au mois d’août, la répression s’accélère après les dénonciations de l’ancien responsable de ce réseau. Une cinquantaine de résistants sont torturés dans l’actuel hôtel Edgar, à Saint-Brieuc.

Alain Jégou, avec la photo de son père François Jégou, résistant interpellé en août 1943 à Maël-Carhaix. Il pose dans la cour de l’hôtel Edgar, là où, il y a 80 ans, son père avait été emprisonné. | OUEST-FRANCE


Léon Renard. Pseudonyme dans la Résistance : André. En novembre 1942, jeune cheminot à Rennes, âgé d’une vingtaine d’années, il est envoyé dans les Côtes-du-Nord pour organiser le réseau de résistance communiste. Il y reste jusqu’en janvier 1943, date à laquelle il prend la direction du Parti communiste clandestin en Loire Inférieure.

De lui, l’ancien cheminot de Saint-Brieuc Marcel Lebret, fusillé le 17 septembre 1943 à Angers, dira, dans une lettre qu’il a pu transmettre à ses proches : « J’ai été arrêté au moment où je partais faire dérailler un train, Renard en a vendu pas mal… » Les deux hommes sont arrêtés ensemble par la Spac (Section de protection anticommuniste), le 10 juillet 1943, à la gare de Chantonnay en Loire Inférieure, avec deux autres résistants communistes.

Opération commando contre la Résistance

François Jégou, résistant communiste, père d’Alain Jégou. | OUEST-FRANCE

À l’été 1942, la Spac est devenue le SRMAN (Service de répression des menées antinationales). En 1943, précise l’historien Alain Lozac’h, « cette unité spéciale de la police française envoie de Paris ses agents en Bretagne pour mener une véritable opération commando contre la Résistance. »

Dès la nuit de son interpellation, Léon Renard passe aux aveux. Et livre des noms, beaucoup de noms. Il ne se contente pas de dénoncer ses camarades de Loire Inférieure. Il donne aussi la majeure partie du réseau des Côtes-du-Nord, ainsi que des noms dans la Sarthe. « L’organisation clandestine communiste est démantelée », explique l’historien costarmoricain Alain Prigent, dans son livre Histoire des communistes des Côtes-du-Nord, paru en 2000.

Onze morts parmi les résistants

La trahison de Léon Renard se traduit par une vague massive d’arrestation en août 1943 dans le département. En plus des noms des résistants, il livre leurs adresses. Alain Prigent l’assure : « Il accompagnera lui-même les services de la Spac dans la plupart des arrestations. »

Ça commence le 5 août 1943, il y a 80 ans, par Simone Bastien à Guingamp, la responsable de la jeunesse communiste. Elle est attirée par une fausse convocation de son supérieur, Charles Mahé, qui avait été arrêté au Mans le 27 juillet et avait indiqué au Spac « toutes les planques où il avait été accueilli à Guingamp en 1943. » La dernière personne interpellée s’appelle Maria Chevallier, à Rostrenen début septembre 1943.

Alain Jégou, dont le père François Jégou avait été arrêté à Maël-Carhaix, a établi une liste des résistants communistes tombés comme son père : 32 hommes, dont dix décéderont, et quatorze femmes, dont une mourra. Parmi eux, 25 hommes et onze femmes seront déportés dans des camps en Allemagne, quatre hommes seront fusillés, deux femmes et un homme seront relâchés.

« Les issues barrées avec un fil de fer »

En août, les prisonniers sont internés au commissariat de Saint-Brieuc, rue Cardenoual. Le 18 août, deux s’évadent, Jean-Pierre Cosson et Yves Even. Les autres sont transférés dans un lieu plus sûr, mais pas à la prison, les Allemands le refusent. Le magasin de négoce en vin Le Bras Laplume est réquisitionné. Aujourd’hui, c’est l’hôtel Edgar, place de la Résistance à Saint-Brieuc, alors nommée la place du Théâtre. De 1946 jusqu’en 2000, ce sera le commissariat de police.

Dans un courrier envoyé au préfet, le commissaire de police de l’époque écrit : « Les dispositions ont été prises pour éviter toute fuite. Les issues, points névralgiques, ont été barrées avec un fil de fer barbelé. Les fenêtres non indispensables également. Les volets ont été cloués. »

Léon Renard est condamné à mort

Alain Jégou, le fils d’un résistant communiste arrêté en août 1943. | OUEST-FRANCE

Alain Prigent détaille le sort réservé aux résistants communistes dans ce bâtiment : « Ils ont été frappés, molestés, certains vraiment torturés. Ceux qui avaient un dossier plus épais que les autres ont été plus que durement frappés. Ils étaient méconnaissables, m’a souvent dit François Jégou, qui en a fait partie. »

Selon l’historien, « certains ont craqué. » Il s’empresse de préciser : « On peut penser qu’ils n’ont fait que confirmer certaines informations données par Léon Renard, des éléments déjà connus et qui ne nuisaient pas au réseau. »

Léon Renard, lui, sera condamné à mort en 1946. Sa peine sera commuée en travaux forcés à perpétuité. Il sera finalement libéré en 1953. «  Il y a eu débat entre anciens du PCF clandestin, certains voulaient s’occuper de lui, ils en ont été dissuadés… Léon Renard est retourné vivre à Rennes, où il est mort en 1993. » Les six policiers de la Spac, eux, ont tous été fusillés après la Libération. Pour trahison de leur administration.

La lutte sans merci des résistants communistes, de Caulnes à Lannion

Télégramme officiel du régime de Vichy envoyé au préfet des Côtes-du-Nord, en août 1943. | OUEST-FRANCE

« Il faut se remettre dans le contexte de l’époque pour comprendre la vague d’arrestations de résistants communistes en 1943 dans les Côtes-du-Nord, explique Alain Jégou, fils du résistant François Jégou. Depuis 1942, le régime de Vichy, dont la police se trouve sous les ordres de René Bousquet, cherche à tout prix à démanteler le Parti communiste clandestin, qui a entamé la lutte armée. »

René Bousquet interroge tous les préfets à propos de la « menace communiste terroriste » sur leur territoire. « Les noyaux communistes militants dans les Côtes-du-Nord ont toujours été très restreints, et il est permis de penser que dans cette région presque exclusivement agricole, une organisation de combat du mouvement communiste ne trouvera donc que très peu d’adhérents éventuels », lui répond le représentant de l’État dans le département.

Des fermes incendiées dans le Trégor

À peine plus d’un mois après, le 9 mars 1943, relate l’historien costarmoricain Alain Prigent, « place de la Grille à Saint-Brieuc, deux soldats allemands sont abattus par un groupe de FTP, les francs-tireurs et partisans, la branche du Parti communiste clandestin qui mène la lutte armée. Les auteurs de cet attentat sont des cheminots briochins. » C’est la première fois que des militaires de la Wehrmacht sont directement visés dans les Côtes-du-Nord.

L’action des résistants communistes s’intensifie, à Saint-Brieuc, Plestin-les-Grèves, Plufur, Lannion, Caulnes, Châtelaudren, etc., des fermes sont incendiées dans le Trégor, des affiches manuscrites sont apposées, comme à Guingamp, des tracts sont collés sur les routes, comme entre Lannion et Tréguier. On peut y lire : « Les FTP bretons frappent les boches, mais ils sont aussi décidés à frapper les cultivateurs traîtres qui vendent leurs produits à l’ennemi. »

« Des aveux obtenus sous la torture »

En mars et avril, la police de Vichy multiplie les arrestations. Les autorités pensent avoir mis un coup d’arrêt au mouvement. Mais la lutte armée des résistants communistes reprend, en particulier des sabotages par des cheminots. Les arrestations aussi. Entre février et juillet, près d’une cinquantaine de résistants tombent. « Des aveux sont obtenus par des interrogatoires musclés et la torture », rapporte Alain Prigent.

Le 9 septembre 1943, après la vague d’interpellations d’août 1943 (voir ci-dessus), le commissaire de police de Saint-Brieuc rend compte au préfet : « Il serait vain de considérer le mouvement communo-terroriste définitivement écarté. » Il a raison. Alain Prigent développe : « Le réseau réussira à se reconstituer avec une nouvelle génération de militants dans le combat contre l’occupant nazi. »

Auteur : Cédric ROGER-VASSELIN

Source : En 1943, la police de Vichy réprimait et torturait les Résistants communistes dans les Côtes-du-Nord (ouest-france.fr)

URL de cet article : En 1943, la police de Vichy réprimait et torturait les Résistants communistes dans les Côtes-du-Nord (OF.fr 02/08/2023) – L’Hermine Rouge (lherminerouge.fr)

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