En Bretagne, ces anciens élèves veulent sauver la tombe de leurs instituteurs des années 1950 (OF.fr-17/01/23)

Au cimetière de Leuhan, petit village du Finistère, une tombe intrigue toujours les visiteurs. Sa couleur, sa forme, sa construction sortent de l’ordinaire. C’est celle d’un couple d’anciens instituteurs de la commune, Grégoire et Jeanne Le Clech. Deux habitants et anciens élèves ne veulent pas voir leur sépulture tomber dans l’oubli.

« Un jour, je passais dans le cimetière et j’ai vu devant leur tombe un petit panneau expliquant la procédure de reprise… J’ai accouru à la mairie. J’ai rencontré le maire, qui m’a expliqué que la tombe était à l’abandon. » À Leuhan (Finistère), Léa Fernandez ne veut pas voir disparaître cette sépulture. C’est celle d’un couple d’instituteurs, Grégoire et Jeanne Le Clech, qui ont enseigné jusqu’à la fin des années 1950. Avec d’autres habitants qui ont connu les Le Clech, elle veille à conserver leur souvenir : « Jean Caugant a nettoyé la tombe, Jean-Pierre Pendu a rescellé les pierres, et je la nettoie tous les ans. Nous voulons conserver cette jolie tombe en granit surmontée d’une croix celtique. Nous voulons conserver la mémoire de ces instituteurs. »

Avec Jean-Pierre Pendu, ancien élève comme elle des écoles du village, elle contemple une photo de classe datant de 1954. Derrière les enfants, on aperçoit un homme au visage sérieux, pour ne pas dire sévère, qui regarde l’objectif. Dans le recueil qu’elle feuillette, c’est la seule photo de classe où l’on peut faire connaissance avec Grégoire Toussaint Le Clech.

Pendant vingt ans ou presque, de 1937 à 1957, cet homme, né en 1909, fils de tailleur, natif de Coray, commune voisine, a enseigné à l’école publique des garçons de Leuhan et de Coray, en compagnie de son épouse, Jeanne, née Le Floch, institutrice à l’école des filles.

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Grégoire et Jeanne Le Clech, couple d’instituteurs dont plusieurs anciens élèves de Leuhan (Finistère) veulent préserver la mémoire. (Photo : archives Henchoù Koz Leuhan)
La tombe de Grégoire et Jeanne Le Clech au cimetière de Leuhan, dans le Finistère.

« Des enseignants dévoués et exceptionnels »

Quand il revient de la guerre, après cinq années d’emprisonnement à l’Oflag IV D de Nuremberg (Allemagne), un des centres d’entraide de camps organisés par le Commissariat général aux prisonniers de guerre rapatriés et aux familles de prisonniers de guerre, Grégoire Le Clech reprend son travail dans l’enseignement. Et il est nommé directeur de l’école de Leuhan.

Mais ce couple d’instituteurs ne s’est pas contenté de se limiter à l’ordinaire dans leur travail d’instituteurs. « Qui ne se souvient pas de ces instituteurs si dévoués à leur école, à leurs élèves, à la commune ? C’étaient des enseignants exceptionnels qui ont emmené tout une génération d’enfants ou centre communal de Scaër ou au lycée de Quimper. Quand les parents n’étaient pas d’accord, ils se rendaient dans les familles et les persuadaient que c’était pour le bien de leurs enfants, disant qu’ils se chargeraient des papiers administratifs et les emmèneraient passer l’examen des bourses et l’examen d’entrée en sixième à Scaër », explique Léa Fernandez.

Elle poursuit avec une anecdote : « Monsieur Le Clech m’a envoyée dans sa voiture pour passer ces examens. À une époque, Leuhan a été la commune de France, en pourcentage, qui avait le plus de bacheliers ! »

Un journal rédigé par les écoliers

Léa et Jean-Pierre égrainent leurs souvenirs d’école. Grégoire et Jeanne Le Clech avaient créé, dès 1954, un journal scolaire, intitulé Le Petit Paysan leuhannais. Les écoliers étaient chargés de la rédaction des textes et de la fabrication du journal au ronéo, une machine à reproduire les textes, et il était ensuite vendu dans toute la commune.

« Nous faisions aussi des sorties à vélo avec monsieur Le Clech, se remémore Jean-Pierre. Et il nous accompagnait voir des choses modernes, comme une machine à traire qui tournait avec un moteur électrique, à Kergueres. On participait à l’entretien du jardin, situé près de la cantine, à la sortie du bourg, route de Trégourez, au ramassage des clous sur la route et au ramassage des cailloux sur le nouveau terrain de foot, au bourg. Il y avait aussi le cinéma éducatif. »

Grégoire Le Clech a été un pilier de la vie communale de Leuhan. Il était membre du club de foot « les Gars de Leuhan » et Louis Hemery, le maire de l’époque, venait le consulter pour avoir son avis sur les affaires communales.

Le journal « Le Petit Paysan leuhannais » était écrit par les écoliers puis vendu (en faveur de l’école) aux habitants, qui prenaient plaisir à découvrir les textes et les dessins.

Passionné de l’histoire des émigrés bretons

Pendant sa carrière, le directeur d’école reçoit la médaille d’argent de l’Éducation physique et sportive pour son engagement à développer le sport scolaire (Usep) sur le territoire.

Grégoire Le Clech se passionne aussi pour l’histoire des émigrés bretons, notamment ceux partis de Coray et de Leuhan vers l’Amérique. Il réalise un travail d’historien, de sociologue et d’ethnographe sur ce phénomène. Il écrit des centaines d’articles sur le sujet pour des journaux et revues scientifiques ou populaires comme le Bulletin de la Société archéologique du Finistère, les Cahiers de l’Iroise ou Armor Magazine.

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Auteur de plusieurs livres

« Mais de son vivant, il n’a jamais pu faire paraître les livres qu’il avait en projet », explique Léa. C’est Olivier Le Dour qui publiera deux livres Les Bretons dans la ruée vers l’or de Californie, en 2006, et Les Huguenots Bretons en Amérique du Nord, en 2012, aux éditions Les Portes du large.

En 1960, Grégoire Le Clech est nommé conseiller pédagogique à Quimper. Il quitte Leuhan avec son épouse, mais reste attaché à la commune. C’est là que lui et son épouse Jeanne ont décidé de se faire inhumer, en 1987 et 1990.

Mais voilà, Grégoire et Jeanne Le Clech n’ont pas eu d’enfant. Et ils n’ont plus personne pour payer la concession de leur tombe. La procédure de reprise est pour le moment abandonnée, explique-t-on à la mairie. Mais qui va pouvoir financer la sauvegarde de la dernière demeure du couple ? C’est une question que se posent Léa, Jean-Pierre et quelques habitants à Leuhan. La famille Le Clech a donné à la commune la tombe et la concession, le 12 mai 2021.

source: https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2023-01-17/en-bretagne-ces-anciens-eleves-veulent-sauver-la-tombe-de-leurs-instituteurs-des-annees-1950-3bc8a5ff-83c4-4cb0-a044-6be4a0a31560

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