“En supprimant la redevance, Macron va parachever la mise à terre de l’audiovisuel public” ( Marianne.net – 28/06/22 )

Alors que les syndicats de France Télévisions et Radio France appellent à la grève ce mardi 28 juin contre la suppression de la redevance audiovisuelle, Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint de « Spécial investigation », fondateur de Off-investigation.fr, explique pourquoi cette mesure met en danger le service public.

En supprimant la redevance audiovisuelle, Emmanuel Macron affirme vouloir « redonner du pouvoir d’achat aux Français ». Il s’apprête en réalité à parachever la mise à terre d’un audiovisuel public déjà largement fragilisé par Nicolas Sarkozy en 2008 et dont les magazines d’information sont sous pression pour avoir épinglé à plusieurs reprises nos trois derniers présidents, ainsi que la plupart de leurs puissants soutiens.

En limitant drastiquement la publicité sur France Télévisions lors de son quinquennat, Nicolas Sarkozy avait fait perdre au groupe public près de 500 millions d’euros par an, compensé par l’argent des contribuables. De quoi satisfaire ses amis Vincent Bolloré (D8) ou Martin Bouygues (TF1), les dirigeants de chaînes privées qui appelaient de leurs vœux, comme Nicolas de Tavernost (M6), la limitation de la publicité sur les chaînes publiques.

En 2016, Vincent Bolloré éradiquait brutalement « l’esprit Canal + » qui s’était tant moqué des dérives de son ami Nicolas Sarkozy. Puis, mécontent que France Télévisions ait diffusé une enquête sur le Crédit mutuel dont il avait entravé la diffusion sur la chaîne cryptée et un portrait non autorisé de son sulfureux parcours, il avait étendu à France Télévisions une vaste offensive, judiciaire, celle-là, qu’il avait lancée dès 2009 contre Radio France après que le journaliste Benoît Collombat a osé évoquer sur France Inter ses pratiques au Cameroun.

« À peine Emmanuel Macron arrivé au pouvoir, France 2 diffusait deux documentaires embarrassants pour l’Élysée. »

À la même époque, alors que Nicolas Sarkozy tentait de remporter les primaires de la droite dans l’espoir de reconquérir l’Élysée, l’ancien président avait estimé dans un livre qu’à la télévision, « la dérision, la polémique, l’investigation racoleuse (avaient) trop souvent pris le pas sur la découverte, la science, la culture ». Façon de tacler les Guignols de l’info et les magazines d’information de France 2, dont il assimilait les journalistes à des « Che Guevara ». En septembre 2016, mettant ses principes en application, Nicolas Sarkozy avait fait pression pour qu’Élise Lucet reporte la diffusion d’un Envoyé spécial dévastateur sur l’affaire Bygmalion. Les équipes de la célèbre journaliste de France 2 avaient résisté et la diffusion avait été maintenue.

À peine Emmanuel Macron arrivé au pouvoir, France 2 diffusait deux documentaires embarrassants pour l’Élysée : un Cash investigation sur la souffrance au travail qui mettait en lumière les pratiques antisyndicales des centres d’appels de Free, l’opérateur téléphonique de Xavier Niel, alors soutien notoire d’Emmanuel Macron. Et un Complément d’enquêterévélant qu’en coulisses, la reine des paparazzis, Michèle Marchand, faisait retoucher les photos exclusives que son agence avait négociées avec la première dame, Brigitte Macron. Furieux contre France 2, les conseillers du président avaient tenté d’empêcher Thomas Sotto, présentateur de Complément d’enquête, d’installer ses célèbres fauteuils rouges dans la cour de l’Élysée. Mais quand il avait menacé d’enregistrer son émission depuis la Rotonde, impertinent clin d’œil au Fouquets’s ou Nicolas Sarkozy avait fêté sa victoire en 2007, l’Élysée avait cédé.

« HONTE DE LA RÉPUBLIQUE »

Dans ce contexte, Emmanuel Macron emboîtait le pas à Nicolas Sarkozy en exerçant sur France Télévisions une forte pression budgétaire. Sous prétexte d’économies, Delphine Ernotte avait alors entrepris d’externaliser Complément d’enquête et Envoyé Spécial. L’un de ses conseillers, Rodolphe Belmer, avait réussi une opération de ce type juste avant la présidentielle de 2007. Alors patron de Canal +, contrarié que l’équipe de 90 minutes s’insurge contre des pressions chiraquiennes, il avait brutalement supprimé cette remarquable émission d’investigation dirigée en interne par Paul Moreira. Reposant sur des producteurs extérieurs, donc plus facile à « museler », sa « remplaçante », Spécial investigation sera mise sous pression, puis finalement supprimée par Vincent Bolloré en 2016.

À France Télévision, la fronde de novembre 2017, soutenue notamment par Élise Lucet, a permis de sauver temporairement Envoyé spécial et Complément d’enquête, derniers bastions, avec Cash investigation et Pièces à conviction, de l’investigation audiovisuelle en France. Furieux que Delphine Ernotte ait échoué à externaliser ces émissions irritant l’exécutif, Emmanuel Macron avait alors qualifié l’audiovisuel public de « honte de la République ».

Quelques mois plus tard, sous pression, la direction de France Télévision avait été incitée par le CSA à modérer les termes employés à l’antenne pour qualifier la révolte des gilets jaunes. Dans ce contexte, elle avait écarté discrètement plusieurs projets documentaires de nature à embarrasser les macronistes. En 2019, l’instauration d’un « guichet unique » rappelant l’époque de l’ORTF avait permis aux équipes d’Ernotte de contrôler encore plus étroitement les projets documentaires acceptés par France 2, France 3 ou France 5.

« En faisant exercer d’insidieuses pressions éditoriales sur l’audiovisuel public durant son quinquennat, en l’incitant à craindre les foudres de l’exécutif, Emmanuel Macron a contribué à le domestiquer. »

Restaient les magazines d’information. Depuis quelques années, sous la direction d’Élise Lucet ou de Tristan Waleckx, des journalistes de Cash investigation ou de Complément d’enquête résistent. Pétition contre la loi « secret des affaires », diffusion de documentaires questionnant des pratiques contestables du pouvoir macronien (fiscalité « pro-riches », affaire Benalla, rôle de Michèle Marchand ou instrumentalisation de l’armée française par la dictature égyptienne), les « poils à gratter » de l’audiovisuel public font le job.

Par la voix de Gérald Darmanin ou Marlène Schiappa, l’exécutif a laissé poindre à plusieurs reprises son exaspération, avec à la clé une menace larvée de suppression de la redevance. Emmanuel Macron lui-même a boudé ostensiblement à plusieurs reprises les journalistes de l’audiovisuel public, leur préférant TF1 ou BFMTV, comme lors de son récent déplacement en Ukraine. À un mois de la présidentielle, il a assumé pour la première fois de supprimer brutalement tout financement pérenne pour l’audiovisuel public.

Le démantèlement et la fragilisation de France Télévisions et Radio France qui s’annonce inquiète, mais dans les couloirs, peu s’expriment. Selon les derniers sondages, près de 80 % des Français applaudiraient la fin de la redevance. En faisant exercer d’insidieuses pressions éditoriales sur l’audiovisuel public durant son quinquennat, en l’incitant à craindre les foudres de l’exécutif, Emmanuel Macron a contribué à le domestiquer. Et donc à le discréditer auprès d’une partie des Français. Il ne restait plus qu’à le poignarder dans le dos. C’est désormais chose faite.

Source : “En supprimant la redevance, Macron va parachever la mise à terre de l’audiovisuel public” (marianne.net)

Auteur :  Jean-Baptiste Rivoire

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