Enfants SDF, mortalité infantile, pénurie d’AESH – pourquoi la petite enfance va mal en France (LI.fr-16/11/23)

Par Renaud GODEFROY

Enfants. Hier, à l’Assemblée nationale, la proposition du député insoumis William Martinet visant à créer une commission d’enquête sur la maltraitance dans les crèches privées lucratives a été adoptée en commission. C’est une victoire significative sur un sujet trop souvent oublié et pourtant bien dans la tête de chaque parent. Le 28 novembre, elle sera examinée dans l’hémicycle, l’occasion de mettre la lumière sur un secteur en souffrance depuis des années.

Tous les signaux de la petite enfance sont en rouge, une situation « alarmante » pour les associations. En Île-de-France et dans de nombreux départements français, la mortalité infantile est en hausse. En 2021, 2700 enfants sont morts avant leur premier anniversaire. Des milliers de parents endurent la souffrance de vivre la perte de leur nourrisson. En septembre, la présidente du groupe parlementaire insoumis, Mathilde Panot, multipliait les alertes pour que le Gouvernement se saisisse du sujet.

En 1980, la France était le 5ème pays de l’OCDE avec le taux de mortalité infantile le plus bas. Aujourd’hui, notre pays est relégué à la 20ème place. Plus largement, en France, 2 micro-crèches sur 3 présentes des dysfonctionnements. Le manque d’AESH et leurs salaires de misère laissent des enfants à l’abandon. Près de 3 000 enfants dorment dans la rue. 3 millions d’enfants vivent sous le seuil de pauvreté. Voilà la situation de la petite enfance.

Les insoumis ont présenté en septembre un plan concernant la Petite enfance. Garantir le droit au logement des enfants, gratuité des crèches publiques, investissement massif dans la formation, amélioration des conditions de travail, amélioration de la rémunération des professionnels du secteur… Les solutions sont sur la table. Qu’attend le camp présidentiel pour y répondre et ainsi soulager la détresse des parents comme des associations ? Notre article.

2 micro-crèches sur 3 présentent des dysfonctionnements

« Une petite fille de 11 mois est morte ce mercredi après avoir été retrouvée inconsciente dans une crèche à Lyon. […] Les premiers éléments recueillis laissent à penser que le nourrisson aurait ingéré un produit toxique » : cette introduction du reportage de BFMTV « Crèches, nos enfants en danger » n’y va pas par quatre chemins. Le constat est celui d’un problème massif de maltraitance dans les crèches, comme le souligne un récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales. Même si ce rapport prévient que les données recueillies ne sont pas représentatives, il pointe néanmoins l’existence de crèches « de qualité très dégradée » qui peuvent entraîner « des carences dans la sécurisation affective et dans l’éveil » des tout-petits.

Parmi les abus, la liste est longue : insultes, punitions humiliantes, négligences, mauvaise nutrition, non-respect des besoins… Comment en est-on arrivés là ? Tout simplement par une accumulation de lois et décrets privilégiant l’essor des crèches privées, le tout couplé à des logiques de coupes budgétaires limitant les effectifs nécessaires et aggravant le statut des employés de crèches. On peut citer entre autres le décret Morano qui a permis aux crèches d’accueillir des enfants en surnombre, ce qui a contribué à l’essor des micro-crèches. Petites structures flexibles, ces dernières ont amené à considérablement assouplir les législations futures sur l’accueil de la petite enfance.

Ce sont d’ailleurs dans ces structures qu’il y a le plus de dérives : selon une enquête récente de la répression des fraudes, 2 micro-crèches sur 3 présentent des dysfonctionnements. Ce, parce que les personnes qui les ouvrent sont des gestionnaires qui n’ont rien à voir avec le monde des enfants. En dehors des problèmes de gestion, il y a aussi celui de la qualification.

La perte d’intérêt pour le métier – les salaires étant misérables et la crèche étant devenue une « usine à bébés » – amène à un manque considérable de personnel qualifié dans les crèches. Or, au lieu de résoudre ce problème par le haut, par la revalorisation de ces métiers, le gouvernement actuel prend le problème à l’envers : un arrêté préfectoral du 29 juillet 2022 permet au crèches d’embaucher du personnel non qualifié à condition de le former pendant 120 heures. Non content de se moquer des professionnels du secteur, le gouvernement ignore totalement les recommandations des acteurs du monde de la petite enfance.

Manque d’AESH : quand des enfants sont abandonnés

Travailler avec des enfants handicapés, ça ne s’apprend pas sur le tas. Il y a d’ailleurs un métier pour cela : les AESH, pour accompagnant d’élève en situation de handicap. De par leur mission d’autonomisation de l’élève, ils sont des « acteurs-clés qui contribuent à la mise en place d’une École pleinement inclusive », comme le mentionne le site du gouvernement. Pourtant, malgré les promesses de la loi du 11 février 2005 pour « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », la situation des AESH en France est tout autant maltraitée que celle des employé-es de crèches. Pour rappel, leur salaire moyen est de 800 à 900 euros par mois. Un rapport de la Défenseur des Droits, Claire Hédon, d’août 2022 a par ailleurs dressé un constat des plus alarmants sur leur situation :

« Manque de considération, statut précaire, absence de reconnaissance, d’appartenance à un collectif de professionnels, les missions des AESH sont aussi régulièrement détournées : aide humaine comme palliatif à l’enseignement, à l’absence ou la carence de professionnels du médico-social, ou encore comme condition de la sécurité, ils sont partagés entre les besoins de l’élève et ceux de l’enseignant. Les AESH se retrouvent alors inquiets pour leur exercice professionnel, du fait d’un statut précaire, et d’une absence de cohérence entre tous les acteurs. »

En complément de ce rapport, une série d’interviews d’AESH appelée « The AESH Project » a été publié. Elle fournit des témoignages précieux sur le quotidien de l’AESH : formation réduite à une « réunion d’information » dérisoire de 60 heures où l’on balaye le système éducatif et les handicaps, un regard porté dévalorisant où l’AESH doit sans cesse justifier son savoir, déplacements incessants entre élèves aux besoins différents sur des matières diverses, etc.

Dans les lunettes du Gouvernement, l’AESH n’existe que pour combler les trous. À défaut d’aider l’enfant à évoluer, elle doit se contenter de le garder. Le système scolaire et ses acteurs sont en général peu formés sur le sujet en raison du manque de moyens, et préfèrent, lorsqu’il n’y a pas d’AESH, que l’enfant reste à la maison, loin de l’école. Cela est rédhibitoire pour l’enfant handicapé et sa famille. Nombre d’entre elles se retrouvent avec une notification de la MDPH (Maison départementale pour les personnes handicapées) leur agréant des heures d’AESH, sans que celles-ci soient réalisées, faute d’effectif disponible.

En conséquence, l’un des parents doit généralement quitter son travail pour garder l’enfant, comme Rachida dans cette vidéo de Public Sénat. Son fils Ismaïl, atteint d’autisme, après deux années sans école, n’a jamais pu avoir d’accompagnement individualisé. Il va à l’école 3h par jour avec quatre accompagnantes différentes, ce qui va à l’encontre des besoins de « rituels » des autistes.

Pourquoi le camp présidentiel fait-il la sourde oreille sur ce sujet ? A ce sujet, les propos de la députée Renaissance Claire Guichard en commission début 2023 sont éloquents de mépris de classe : « Moi, personnellement, je connais beaucoup d’AESH, elles choisissent ce statut pour avoir les mercredis et les vacances scolaires : elles assument ! […] C’est un choix, elles sont heureuses de ce qu’elles font. Arrêtez de victimiser les professions ! ». Ces propos scandaleux servirent de justification au refus d’un amendement visant à sortir les AESH de la contre-réforme des retraites de Macron. Comme pour les employés de crèches, le gouvernement préfère fermer les yeux sur les conditions de travail des AESH, voire même cherchent à les faire culpabiliser pour empêcher toute protestation liée à leur statut.

Près de 3 000 enfants dorment dans la rue en France

Lors d’une interview de septembre 2023 sur BFMTV, la députée insoumise Mathilde Panot a rappelé un fait essentiel : 2 000 enfants dorment dans la rue en France, soit 20 % de plus que l’année dernière. Ce chiffre, provenant de l’enquête annuelle de la FAS (Fédération des acteurs de la solidarité) et Unicef France, trouve sa cause dans la crise du logement. Chiffre auquel s’est d’ailleurs substitué celui de 2 822 début octobre.

Pour aller plus loin : Scandale : près de 3 000 enfants sont sans-abri en France

Faute de places disponibles ou adaptées, « 3 735 personnes en famille ayant composé le 115, le numéro d’appel d’urgence pour les personnes sans abri, n’ont pas pu être hébergées » dans la nuit du 21 au 22 août 2023.

D’après la directrice de la FAS, l’exécutif entend réduire le nombre de places d’hébergement. Malgré les promesses de l’ancien ministre du Logement, Olivier Klein, les différentes causes se sont exacerbées : manque de places dans le logement locatif, augmentation des expulsions locatives, passées de 12000 en 2012 à 17500 en 2022, « politique du thermomètre », où les hôtels privilégient les touristes au détriment des nécessiteux, et enfin le sacro-sainte sacrifice des moyens au nom de la rentabilité : de 6 à 10 % de baisses budgétaires pour les assistants et accompagnants sociaux.

Et la situation ne risque pas de s’améliorer avec la loi Kasbarian, promulguée le 27 juillet dernier, qui va accélérer les expulsions dans mois et années à venir. Malgré cette ambition, les associations trouvent ce plan « flou et insuffisant », comparé au premier qui avait permit des « avancées positives avec une augmentation du nombre de ménages sans domicile accédant au logement », selon le Collectif des associations unies (CAU).

Toutefois, ce dernier pointe une « situation [qui] s’est détériorée, selon des chiffres inquiétants en augmentation chaque année : plus de 330 000 personnes sans domicile, 6000 demandes non-pourvues chaque soir au 115 et 2,4 millions de ménages en attente de logement social », et craint que le budget soit insuffisant cette fois-ci.

Enfance : les propositions de la France insoumise

Dès septembre, les insoumis ont assemblé leurs propositions portées depuis 2017 pour construire un plan d’urgence. Celui-ci est composé de 19 mesures qu’il faudrait appliquer immédiatement pour remettre les secteurs de l’enfance sur les rails : gratuité des crèches publiques, investissement massif dans la formation, amélioration des conditions de travail, amélioration rémunération des professionnelles de la petite enfance, garantir le droit au logement des enfants en interdisant les expulsions locatives sans relogement, en réquisitionnant les logements vides et en ouvrant des places d’hébergements d’urgence… Pourquoi le camp présidentiel ne s’en inspire-t-il pas ?

Pour aller plus loin : retrouvez en détail le plan d’urgence de la France insoumise sur l’enfance en France

Un pays qui ne prend pas soin de ses enfants, c’est un pays qui détruit son avenir.

Source: https://linsoumission.fr/2023/11/16/petite-enfants-france-va-mal/

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/enfants-sdf-mortalite-infantile-penurie-daesh-pourquoi-la-petite-enfance-va-mal-en-france-li-fr-16-11-23/

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