Enough is enough ! Un vent se lève au Royaume-Uni(LH.fr-6/09/22)

La semaine dernière les postiers ont organisé un piquet de grève devant la Royal Mail de Roseberry Avenue, dans le centre de Londres, pour protester contre l(attitude de la direction.

Face à l’annonce des augmentations des prix du gaz et de l’électricité, qui pourraient atteindre 80 %, couplées à dix années de politique d’austérité menée par les conservateurs, les Britanniques s’apprêtent à se mettre en grève. Cheminots, dockers, postiers, infirmières et même avocats se jettent dans la bataille.

Liverpool, Londres (Angleterre), envoyé spécial.

Le slogan se diffuse à travers tout le Royaume-Uni. Il est devenu un cri de rassemblement de Londres à Manchester, de Norwich à Glasgow. « Enough is enough ! » (Ça suffit !). Ce vendredi soir, il était sur les lèvres des centaines de personnes qui se pressaient devant le St. George’s Hall de Liverpool pour participer à un meeting. Liverpool, la grande ville portuaire toujours populaire, toujours rebelle, malgré les attaques politiques et économiques incessantes.

Lancée lors d’un meeting au Clapham Grand à Londres, le 17 août, la campagne Enough is enough, qui cherche à créer un mouvement avec les syndicats et les organisations civiles, a déjà reçu le soutien de 500 000 personnes. Avec un but affiché : « Exiger un salaire équitable, des factures abordables, assez pour manger et un endroit décent pour vivre. Ce ne sont pas des luxes, ce sont vos droits. » Une campagne qui se développe sur fond de colère grandissante mais aussi de craintes pour l’avenir. « En janvier, le gaz et l’électricité pourraient augmenter de 80 % », dénonce Paul, postier de 58 ans. On ne pourra pas payer. Et les retraités, tous ceux qui ont besoin de plus d’électricité parce qu’ils sont handicapés ou malades, comment vont-ils faire ? » C’est d’autant plus dramatique que la réalité sociale est déjà terrible.

Ce qu’on appelle la Food Bank (banque alimentaire) est devenu une réalité quotidienne, sorte de Restos du Cœur britanniques. « Les demandes sont de plus en plus importantes », relève Dave Kelly, cofondateur à Liverpool de cette banque de nourriture. Il a même réussi l’exploit de rassembler, sous sa bannière, des supporters des deux clubs ennemis de la ville, Liverpool FC et Everton. Du jamais-vu ! Il est vrai que Bill Shankly, manager des Reds dans les années 1960, affirmait que « le football est la préfiguration du socialisme ». Dave Kelly décline son hashtag #Hungerdoesn’twearclubcolors (la Faim ne porte pas la couleur d’un club). Pour lui, participer à Enough is enough est tout naturel, « c’est le regroupement de ceux qui se sentent ignorés ». La situation est telle que des Heat Banks (banques de chaleur) se créent avant l’arrivée du froid. « Des églises et des écoles serviront de lieux de rassemblement pour que les gens puissent venir se chauffer, avertit Paul. Maintenant, le choix est de se chauffer ou manger » (Heat or eat).

« Nous n’avons plus assez d’argent pour vivre »

Les factures d’énergie devraient exploser de 80 % en octobre. Selon l’organisation caritative National Energy Action, le nombre de ménages britanniques en situation de précarité énergétique aura doublé en un an lorsque la hausse du plafond d’octobre entrera en vigueur : 8,9 millions de foyers seront alors dans cette situation à partir d’octobre – contre 4,5 millions, un an auparavant. Pour le congrès des syndicats (TUC), ces factures augmenteront 35 fois plus vite que les salaires et 57 fois plus vite que les prestations au cours des trois derniers mois de cette année.

Pas étonnant, dans ces conditions, que des grèves aient commencé à éclater dans différents secteurs économiques, mais géographiquement localisées, comme les dockers à Felixstowe, en août, ou les cheminots, en mai, à Londres. Mais la législation en vigueur multiplie les obstacles aux arrêts de travail (il faut notamment que la majorité des salariés d’une entreprise participe au vote obligatoirement organisé pour décider ou non de la grève). Pourtant, comme l’explique à l’Humanité Steven Gerrard, responsable du syndicat Unite pour les ports de Liverpool, « l’idée de la grève grandit de plus en plus parce que, pour les gens, c’est un casse-tête quotidien pour payer le gaz, l’électricité, le carburant, la nourriture, le loyer et les hypothèques ».

La chose la plus importante que les syndicats peuvent faire : rester unis. DAVE WARD, PRÉSIDENT DU CWU

C’est aussi ce qu’explique Des Prescott, docker : « Nous n’avons plus assez d’argent pour vivre et profiter d’une qualité de vie. Lorsque nous avons payé nos factures, il ne reste pas grand-chose. » Son collègue Craig Dunne, sur le port de Liverpool, prévient : « Une inflation à 7, 8, 9 % ? Personne ne sait ce qui va se passer. Si nous ne nous battons pas aujourd’hui, dans quelle situation serons-nous l’année prochaine et au-delà ? » Plus de 560 agents portuaires et ingénieurs de maintenance travaillant sur les quais de Liverpool ont d’ores et déjà déposé un préavis de grève entre le 19 septembre et le 3 octobre.

Un état d’esprit que l’on retrouve chez les postiers, devant la Royal Mail de Roseberry Avenue, où, la semaine dernière, ils avaient organisé un piquet de grève pour protester contre l’attitude de la direction. Celle-ci ne veut octroyer qu’une augmentation des salaires de 2 %. « Ça ne va pas ! » peste Shiun, qui est venu avec son chien tenir son poste, non sans avoir enfilé un gilet rose aux couleurs de son syndicat, le Communication Workers Union (CWU). « La Royal Mail fait d’énormes profits. Elle se moque de nous. Tout a été privatisé, avant lorsque c’était public, nous avions de meilleures conditions de travail », assure Shiun, qui est entré dans l’entreprise en 1985. « Au moment de Thatcher », se souvient-il sans nostalgie. Il est d’autant plus prêt à continuer le mouvement que les Londoniens qui passent, à pied ou en voiture, témoignent de leur solidarité, qui par un petit geste de la main, qui en klaxonnant. Ce qui n’étonne pas Nathan Timberlike, le délégué CWU. « Tout le monde a les mêmes problèmes. Les travailleurs sont très mobilisés, notamment les jeunes. » Les salariés des transports ne sont pas en reste. Superviseuse du trafic métropolitain, Allison Kendall (elle a préféré utiliser un nom d’emprunt), 37 ans, a été embauchée il y a huit ans. « J’ai vu la dégradation des conditions de travail. Ils ont supprimé des postes, donc nos horaires de travail sont plus étendus », dénonce-t-elle. Pour la direction, l’important, c’est de faire du profit. Plus ils rognent sur notre dos, plus ils gagnent de l’argent. »

Sur la Piccadilly Line, des stations Caledonian Road à Holloway Road en passant par Arsenal, les paroles que recueillent les délégués du syndicat RMT sont les mêmes : salaires qui ne suivent pas l’inflation, crainte de l’avenir, manque de personnel… « On ne sait pas ce qui va se passer avec les retraites », s’inquiète Lynvall Duncan, 40 ans, conducteur de métro. La compagnie de transports, dont le chiffre d’affaires a baissé lors de la pandémie, entend maintenant se renflouer en se servant dans la caisse de retraite ! « Je suis prêt à faire une longue grève parce qu’il faut faire quelque chose », assure-t-il.

Ce mouvement a de l’influence sur l’agenda politique

Carlos Barros, 44 ans, lui aussi conducteur sur la ligne Piccadilly, responsable du RMT dans un des districts de Londres, se veut optimiste. « Avant, il fallait qu’on “bouge” les collègues. Maintenant, c’est l’inverse. Ce sont eux qui nous interpellent. Il se passe également quelque chose chez les jeunes. Avant, ils regardaient le syndicat avec suspicion. Maintenant, ils se disent que s’ils ne se battent pas aujourd’hui, ce sera terrible plus tard. Et nous n’avons jamais eu autant d’interactions avec les autres syndicats des autres pro fessions ».

Dave Ward, président du CWU, explique à l’Humanité : « La chose la plus importante que les syndicats peuvent faire maintenant est de coller à ce qui fait notre force : rester unis, avoir le même agenda. Nous commençons par ces rassemblements dans les villes, puis nous allons mener une campagne de rencontres avec les travailleurs pour engager des débats sur les alternatives, les approches économiques. L’économie, ce n’est pas une science mais une question de choix. Il faut donc que la voix des travailleurs soit entendue maintenant. »

Une préoccupation qui, de fait, déborde sur une problématique politique dans un pays où les syndicats ont créé le Parti travailliste (Labour). Après l’échec de Jeremy Corbyn, qui a voulu « gauchiser » le parti, certains se posent la question de l’efficacité d’une structure alliant une aile gauche et une aile censée représenter l’opposition aux conservateurs. Comme le souligne Des Prescott, le docker, « nous voulons obtenir des salaires plus élevés, mais nous devons trouver un moyen d’évincer le Parti conservateur, responsable de l’austérité que nous vivons depuis dix ans ». Et Steven Gerrard d’ajouter : « Les politiciens n’ont jamais rien fait pour nous. » Paul, le postier, trouve que « travaillistes et conservateurs sont similaires. Il y a un danger que les gens se tournent vers l’extrême droite ».

Carlos Barros, du métro de Londres, va plus loin en parlant des travaillistes : « On ne peut pas éternellement se boucher le nez et voter pour eux. » John McDonnell, député travailliste, qui était le numéro 2 de Corbyn, confie à l’Humanité : « Cela a déjà un impact sur le Parti travailliste. Il est poussé vers des solutions politiques plus radicales. Ce que l’on voit, c’est que ce mouvement a de l’influence sur l’agenda politique de tous les partis, donc y compris sur celui du Parti travailliste. » Le vent se lève, comme pourrait le dire Ken Loach. Les infirmières sont aussi entrées dans la bataille, tout comme les avocats. Ils viennent grossir les rangs de ceux qui disent « Enough is enough ». Les prochaines semaines s’avèrent décisives face à une nouvelle première ministre qui a déjà dit son mépris pour les revendications populaires.

Pierre BARBANCEY

source: https://www.humanite.fr/monde/royaume-uni/enough-enough-un-vent-se-leve-au-royaume-uni-762389

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