Enquête-Sortir du plastique, un chantier colossal (reporterre-31/05/23)

Impossible de se passer de plastique sans changer nos modes de vie.

Par Fabienne LOISEAU

Marques et distributeurs commencent à réduire ou modifier leurs emballages pour tenter d’endiguer le fléau du plastique. Mais pour atteindre le zéro plastique, ce sont aussi nos modes de consommation qu’il faut revoir.

Verra-t-on un jour, dans nos supermarchés, des cookies, des sablés ou des madeleines vendus dans un emballage zéro plastique ? Si de nombreux fabricants travaillent sur la question, aucun ne semble pour l’heure avoir trouvé la solution technique, sauf à opter, bien sûr, pour la vente en vrac. À Saint-Martin-des-Champs, dans le Finistère, la Maison Le Goff confectionne des galettes, palets et cookies bio. Cette petite biscuiterie est parvenue à limiter la part de plastique de ses sachets à 21 %.

« On ne peut pas aller en deçà pour le moment, sinon ce serait au détriment de la qualité et de la durée de conservation de nos gâteaux », explique Ludivine Savéan, RSE (Responsable sociale et environnementale) de l’entreprise bretonne. Si le sachet ne fait pas assez barrière à l’oxygène, le beurre va rancir et le cookie craquant se ramollir. Mais cet emballage, que l’entreprise voulait aussi 100 % recyclable, n’a pas été obtenu sans difficulté.

Lors d’une première expérimentation, réalisée en 2021, l’entreprise voulait être certaine que le nouveau sachet composé à 75 % de papier était bien recyclable. Mauvaise surprise, il ne l’était pas ! 65 % des échantillons envoyés chez le recycleur ont été rejetés lors de la phase de pulpage — l’opération qui consiste à séparer les fibres de cellulose de toute impureté pour la fabrication de la pâte à papier. « Non seulement nos fibres de papier n’étaient pas de bonne qualité, mais nous avions aussi intégré un revêtement antigraissage — une sorte de vernis — dans le sachet pour éviter que le gras des biscuits ne traverse le papier. Ce qui empêchait une bonne séparation. »

L’entreprise n’abandonna pas et revit la conception de son emballage. Des fibres de papier plus denses, avec près de 79 % de papier, et la suppression du revêtement contre le gras ont alors permis de faire baisser le taux de rejet à moins de 25 %, un score très honorable. « Sans le revêtement ingraissable, on peut voir apparaître quelques taches sur le packaging, malgré nos précautions lors de la production, reconnaît Ludivine Savéan. Mais il faut l’accepter. C’est aussi le prix à payer si l’on veut avoir des emballages plus écologiques. »

Des centaines de milliers d’euros à investir

Modifier des emballages est « un chantier colossal, en particulier pour les produits avec contact alimentaire », souligne Aurélie Félix, responsable marketing chez Bonneterre. L’entreprise de produits bio explique qu’une vraie politique de réduction du plastique implique des moyens financiers et humains. « Un ingénieur est dédié à l’écoconception chez nous. »

Elle s’est aussi penchée sur ses paquets de biscuits. Ainsi, la barquette en polypropylène (PP) de la gamme Petits gourmands va être remplacée par deux « pochons » (mini-sachets) en film PP de six biscuits chacun, emballés dans un étui en carton, plus petit et plus léger. « Avec ces changements, on obtient une réduction de plastique et une baisse du poids de l’emballage. Réduire est aussi important que remplacer », considère Aurélie Félix. Le paquet pèsera 21,5 g au lieu de 26,7 g. Mais contrairement au PP des barquettes rigides, le film PP souple n’est pas encore recyclable. Il le sera à partir de 2025, assure la responsable marketing. C’est en tout cas l’objectif de la filière des emballages ménagers qui mise sur le recyclage chimique.

Se passer d’emballages en plastique est un chantier colossal.

Qui dit nouvel emballage, dit aussi nouvel outil de fabrication ou adaptation de celui-ci. Pour économiser 27 tonnes de plastique par an, le groupe Léa Nature a décidé de remplacer le bouchon en plastique de ses pots de pâtes à tartiner par un autre en métal. Il a alors dû modifier sa capsuleuse. « Ce type de changement est un investissement industriel qui peut coûter plusieurs centaines de milliers d’euros », relève que Marie-Pierre Gaillard, responsable projets emballage du groupe. L’entreprise n’envisage par exemple pas, pour l’instant, de passer au sachet papier pour ses paquets de pâtes et s’en justifie : « Actuellement, nos pâtes sont ensachées dans un film plastique monomatériau. Le papier ne passe pas facilement dans notre machine. Il y a des risques de déchirures et de mauvaises soudures. »

Les plastiques compostables et biodégradables vivement critiqués

Pour ses tablettes de chocolat, Bonneterre a opté en 2022 pour « un film compostable à la maison » et à « 90 % issu du végétal ». Il est fabriqué en majorité à partir de canne à sucre ou de fibres de bois, ce qu’on appelle le « plastique biosourcé ». Et les 10 % restants ? « La composition exacte du film compostable à la maison est le secret de notre fournisseur suisse, nous ne savons donc pas », répond Aurélie Félix. Mais il se composterait très bien. « Nous avons réalisé des tests de compostabilité à la maison et, en effet, le film se dégrade entre un et trois mois. »

Le recours à des plastiques issus de végétaux et présentés comme compostables est pourtant de plus en plus vivement critiqué. Nathalie Gontard, chercheuse à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), est catégorique : « Que le plastique soit fabriqué à partir de sucre de canne ou de pétrole, le problème environnemental est strictement le même. Il s’agit de polymères synthétisés dont les molécules ne se dégradent pas complètement. » Elle pointe notamment l’acide polylactique (PLA), une résine présentée comme biodégradable, alors qu’elle ne se dégrade que dans des unités de compostage industriel où la température doit atteindre les 60 °C. « Seuls quelques plastiques sont vraiment biodégradables, mais ils ne représentent qu’une toute petite partie des plastiques utilisés, et ne pourront jamais couvrir une consommation de masse », ajoute-t-elle.

Se passer de plastique nécessite aussi un changement dans nos modes de vie.

L’Agence de la transition écologique (Ademe) confirme les limites de ces plastiques compostables dans un avis du 25 mai 2023 : « Les plastiques compostables sont conçus pour une fin de vie via un traitement biologique, or l’impact des résidus de plastiques (additifs notamment) dans les matières fertilisantes n’est à ce jour pas connu. » Pour elle, faire le choix d’un emballage en plastique compostable « ne constitue pas une solution » face à l’enjeu de la pollution plastique. Comme l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) en novembre 2022, elle recommande de ne pas jeter les matières plastiques dites compostables ou biodégradables dans le compost domestique.

Chez Carrefour, le choix du plastique monomatériau

« Le monde de l’emballage est pavé de fausses bonnes idées », constate Pierre Slamich, cofondateur de la plateforme Open Food Facts. L’organisation a lancé en début d’année l’opération « Plein pot sur les emballages » afin de repérer les bonnes pratiques d’écoconception et pousser les industriels les moins vertueux à les adopter. Dans son viseur figurent entre autres les matériaux multicouches, associant le plastique au papier ou à l’aluminium, par exemple. Souvent développés pour réduire la quantité de plastique, ils se révèlent beaucoup plus compliqués à recycler, car il faut séparer les différents matériaux.

Chez Carrefour, ces écueils semblent avoir été pris en compte. Bertrand Swiderski, responsable RSE de l’enseigne, assure que les emballages développés sont conçus sans bioplastique et uniquement en monomatériau recyclable (ou qui va le devenir). « Nos pots de yaourt sont en polystyrène ou en PET. Nous avons travaillé avec les producteurs et Citeo [l’éco-organisme de la filière des emballages ménagers] pour développer ces filières de recyclage qui n’existaient pas. »

Les céréales Carrefour sont actuellement vendues dans des sachets en plastique souple (« doypack »). Pourquoi pas dans les traditionnelles boîtes en carton ? « Nous avions à l’origine un produit avec deux emballages : la boîte en carton et le sachet en plastique à l’intérieur. Nous avons supprimé le sachet en plastique mais, en 2015, nous avons été alertés d’un problème de migration des encres du carton vers les céréales. Nous avons donc opté pour un seul emballage en plastique refermable qui a l’avantage de mieux conserver le produit. Jusqu’à présent, il était multicouche, mais nous pourrons bientôt proposer des sachets 100 % recyclables en polyéthylène (PE). »

Reconstruire la filière de la consigne

Du plastique… recyclable peut-être, mais encore et toujours du plastique. « Pour les yaourts, il n’y a clairement pas de solution industrielle sans plastique », estime Aurélie Félix, de Bonneterre. Pourtant, les moyens pour sortir de l’impasse existent, comme l’emballage en verre réemployable. « La consigne a existé, mais on l’a fait disparaître. Ce sont des choix collectifs à faire », estime Pierre Slamich d’Open Food Facts.

Pour relancer ce système, c’est toute la filière qu’il faut reconstruire, à commencer par la standardisation des contenants, indispensable pour un réemploi à grande échelle. Citeo vient de poser les premiers jalons en signant un partenariat avec deux verriers français. Plusieurs modèles de contenants en verre ont été développés et devraient arriver sur le marché en 2024.

La consigne en verre, notamment, permettrait de se débarrasser du plastique.

Certains industriels poussent également au réemploi des contenants en plastique. Techniquement, c’est possible, selon Eternity Systems, entreprise de lavage qui lance une nouvelle ligne pour le traitement des petits contenants en verre, inox et plastique. « Nous sommes convaincus que ces trois matériaux vont coexister sur le marché du réemploi », assure Eléonore Blondeau, responsable nouveaux projets.

Coca-Cola propose déjà une bouteille en PET réutilisable en Allemagne et la teste dans certains magasins Carrefour en France. Une hérésie pour Nathalie Gontard, qui estime que le plastique n’est pas fait pour être réutilisé : « Il s’agit d’un matériau interactif qui va absorber beaucoup de molécules sur son chemin. On ne sait pas aujourd’hui la résistance de la matière. » Selon Eléonore Blondeau, un projet de recherche européen serait justement en cours pour connaître les risques de déformation et de migration de ces récipients lavables.

Le réemploi peut aussi passer par le consommateur lui-même. Depuis 2017, Carrefour l’incite à apporter ses propres contenants — entre-temps, la loi a rendu cette pratique légale. « On a communiqué autour de cette possibilité. On offre même 10 centimes de remise. Mais il n’y a pas d’engouement. Dans certaines villes où existe déjà une certaine sensibilité à ces questions, comme Nantes, Angers ou Rennes, ça fonctionne mieux. L’effet d’entraînement entre clients joue. »

Le vrac pas forcément adapté à chaque produit

La vente en vrac reste pourtant une bonne solution pour échapper au plastique. Carrefour souhaite même passer à la vitesse supérieure et expérimente depuis un an, dans un magasin de Montesson (Yvelines), la vente en vrac de produits d’épicerie bio et non bio de 90 marques nationales (Nestlé, Lustucru, Carte noire…).

Le vrac pourrait ne pas être viable économiquement.

Mais le vrac n’est pas adapté à tous les produits, dit Didier Onraita-Bruneau, président de My Retail Box, fournisseur de plus de 750 références en vrac. C’est le cas du lait. « On a travaillé pendant deux ans avec une coopérative laitière. Techniquement, on peut proposer des poches souples de cinq ou dix litres. Mais cela impliquerait un énorme coût en transport au regard du schéma logistique actuel. Et aussi trop de risques sanitaires. Il faudrait vendre une grosse quantité en peu de temps pour éviter le gaspillage. » Il estime aussi que le vrac n’est économiquement pas viable face au plastique pour certains produits de grande consommation qui n’ont pas de valeur ajoutée. Selon lui, les consommateurs n’accepteraient pas de payer un surcoût pour se servir du Coca dans une bouteille.

« La lutte contre les pollutions plastiques implique un bouleversement de nos modes de production et de consommation », écrivait l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) en 2020 dans son très riche rapport Pollution plastique : une bombe à retardement ?. Les industriels doivent revoir leur modèle économique, expliquait-elle. Et les consommateurs « modifier leurs habitudes de consommation et renoncer à la facilité apportée par la société du jetable ». Pierre Slamich, d’Open Food Facts, s’interroge : « Le consommateur est-il prêt à utiliser des produits moins pratiques ? L’emballage plastique permettait de se libérer de choses contraignantes. Que ce soit avec la consigne ou le vrac, il y aura plus de contraintes pour le consommateur. »

Source: https://reporterre.net/Sortir-du-plastique-un-chantier-colossal

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