Entretien avec Fernando Atria: « Cette transformation actera un État social » (LH.fr-2/09/22)

Fernando Atria, Professeur de droit constitutionnel

Membre du Frente Amplio, une coalition de partis de gauche antilibérale, Fernando Atria a été élu à la Convention de la Constituante et a joué un rôle essentiel dans l’écriture de la loi fondamentale.

Le 4 septembre, les Chiliens approuveront ou non le projet de nouvelle Constitution. Pourquoi est-elle nécessaire ?

Dimanche, le Chili prendra une décision historique. Premièrement, parce que la nouvelle Constitution va remplacer celle de Pinochet qui a été conçue pour protéger indirectement le modèle néolibéral installé dans le sang par la dictature. Cette dernière prive l’État de toute possibilité d’action en matière économique, privatise et marchandise les droits sociaux et crée un institutionnalisme politique conçu pour empêcher les transformations. Ce carcan est devenu bien visible lorsque la demande de transformation sociale a commencé à émerger à partir de 2006. Cette force s’est retrouvée complètement bloquée face au texte de 1980. À partir de 2006, avec les nombreuses luttes sociales qui ont éclaté au Chili, un long processus a débuté d’érosion persistante de la légitimité des institutions politiques. La décision du 4 septembre signifie donc nous donner une Constitution qui appartienne au peuple. Et, pour la première fois dans l’histoire du Chili, elle aura été acquise à travers une procédure participative et démocratique qui a bénéficié d’une représentation sociale très large et c’est pourquoi je ne doute pas qu’elle sera approuvée malgré la forte opposition des défenseurs du capital. Ils disposent de nombreux mécanismes d’influence et de propagande avec les fake news et d’autres formes de manipulation de la communication.

Si le « rechazo » (le rejet) l’emporte, comme l’annoncent certains sondages, que se passera-t-il ?

Au Chili, nous sommes en présence d’une Constitution qui a déjà été abrogée socialement le 18 octobre 2019, mais qui légalement reste en vigueur. Cette abrogation sociale s’est ensuite manifestée lors du référendum d’octobre 2020 pour lancer le processus constituant, au cours duquel 80 % des électeurs ont décidé qu’ils voulaient un nouveau texte. Donc, le texte de 1980 a déjà été évincé socialement d’un côté et par un référendum de l’autre.

Quelles sont les grandes orientations de ce nouveau texte pour le Chili ?

L’une des transformations les plus importantes est que le Chili se déclare un État social et démocratique de droit. Autre nouveauté,­ la Constitution place les droits sociaux au cœur de la démocratie, comme le droit à la santé, à l’éducation, à la sécurité sociale, au logement… Cette Constitution déclare aussi que le Chili est un État plurinational afin de permettre une relation de paix et de réconciliation avec les peuples originaires, contrairement à l’histoire de ses deux cents dernières années. Un sujet qui a été brandi comme un étendard pour le non par la droite afin de profiter du racisme sous-jacent dans la société chilienne. Autre grande avancée, c’est le respect du principe de la parité entre hommes et femmes. Elle s’attaque également au centralisme aigu qui structure l’État tel que nous le connaissons et qui appartient au XIXe siècle. Elle offre un transfert de compétences aux régions.

Peut-on dire que cette Constitution est une des premières à être écologique et féministe ?

C’est l’une des premières, pas la première. Les conditions et le processus dans lesquels s’est déroulée l’écriture du texte expliquent l’intérêt dans d’autres pays pour cet épisode politique. Son écriture intervient après l’impact du mouvement féministe au Chili et ailleurs. Ce n’est pas un mouvement qui risque de disparaître dans les prochains mois mais, au contraire, de croître et gagner en force. Son importance dans le contenu est telle que l’on pourrait l’appeler la Constitution féministe. Deuxièmement, c’est l’un des premiers processus constitutifs qui a lieu au moment de la prise de conscience de la crise climatique. Et cela se manifeste dans son contenu sur la nécessité de rechercher un autre équilibre entre le ­développement économique et la protection de la nature.

Entretien réalisé par Pierre CAPPANERA & Maria PAZ-ZUNIGA

source: https://www.humanite.fr/monde/chili/cette-transformation-actera-un-etat-social-762199

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