Entretien avec François Ruffin : « La gauche doit être le camp du travail » (LH.fr-7/09/22)

Dans son livre, Je vous écris du front de la Somme, le député FI tire les leçons de la dernière campagne électorale et des ses échanges avec les citoyens.

Dans son dernier ouvrage paru ce mercredi, le député insoumis appelle à s’emparer de la « valeur du travail » pour reconquérir les classes populaires.

Après la bataille électorale, tirer les leçons. Dans Je vous écris du front de la Somme (les Liens qui libèrent), qui paraît ce mercredi, François Ruffin revient sur cette année de campagnes, d’échanges avec les citoyens, pour comprendre l’ancrage de l’extrême droite et les difficultés de la gauche, notamment dans les territoires ruraux et postindustriels. Avec un constat amer : la gauche n’est plus perçue comme défenseuse du travail et des travailleurs.

Comme point de départ de votre livre, vous avez choisi cette phrase que vous avez entendue de la bouche de plusieurs citoyens : « Je ne peux pas voter à gauche, je suis pour le travail. » Pourquoi vous fait-elle bondir ?

Parce que la gauche, c’est le travail. Son histoire et celle du mouvement ouvrier le montrent. Mais chez nombre de gens ordinaires, beaucoup de ceux avec qui j’ai échangé, s’est ancrée l’idée que « la droite c’est le travail, la gauche c’est l’assistanat ». La droite a réussi à récupérer ce qu’ils appellent la « valeur travail », depuis Nicolas Sarkozy jusqu’à Emmanuel Macron. Ils célèbrent le travail pour mieux le malmener, avec l’idée qu’il faut travailler plus, tout en écrasant les salaires. Par ailleurs, pendant les campagnes, le principal obstacle que nous avons eu, ce n’est pas sur l’immigration ou la sécurité mais sur l’argument « moi je bosse et je n’ai le droit à rien, alors que d’autres touchent des aides » . Je ne veux pas qu’on ferme les yeux sur ce ressenti massif. Selon moi, il faut montrer qui sont les vrais assistés, les hyper-riches. Nous avons le devoir, à gauche, de reposer en permanence ce rapport capital-travail. Un clivage dans lequel nous serions dans le camp du travail et des travailleurs.

Les élus et militants de gauche n’ont pas pour autant abandonné la défense des travailleurs…

Non, d’ailleurs, dans nos programmes, beaucoup de mesures répondent en partie aux problèmes des salaires, de précarité des contrats, de pénibilité… Mais nous devons nous demander ce qu’il faut mettre en avant, ce qui convainc, rassemble. Je pense par exemple que la gauche ne porte pas assez la fierté du travail. De la même manière qu’elle avait héroïsé les métallos ou les mineurs dans l’après-guerre, dans la période post-Covid, on aurait pu héroïser le cariste, l’auxiliaire de vie sociale. On a un devoir de représentation. Il faut que les gens se disent « c’est eux qui parlent pour nous ». Ça veut dire aussi connaître leurs conditions concrètes d’existence, pour les transformer et que nos propositions trouvent un vrai écho.

Vous faites dans votre livre un état des lieux des mutations du monde du travail, avec des salaires qui n’augmentent pas, des contrats précaires qui se multiplient, les pressions mises sur les travailleurs… Quelles réponses politiques peuvent être apportées ?

La question est de savoir si on laisse la main invisible du marché tout régler. Or, elle produit l’écrasement du travail dans la durée. Cela a des effets individuels, avec un sentiment d’injustice pour les travailleurs, et collectifs, avec une désorganisation de la société. Aujourd’hui, nous manquons d’AESH dans les écoles, d’auxiliaires de vie sociale : parce que les gens sont fainéants ou parce qu’ils ne veulent pas travailler pour 700 euros par mois ? La République s’est fondée sur l’école mais on ne trouve plus d’enseignants et on recrute en job dating. Il faut refixer des règles communes sur le marché du travail. Sur les salaires, les conditions de travail, les contrats. Pour que le CDI soit la norme, par exemple, il faut régulariser les intérimaires qui en réalité ont des postes permanents, et décourager le recours aux autres contrats. Un contrat en CDD doit être payé plus cher, comme les heures tôt le matin ou tard le soir.

Votre livre se conclut par l’idée de bâtir un « nouvel horizon commun », qui serait celui de l’impératif écologique. Quelles en seraient les conséquences pour le travail et les travailleurs ?

Il nous faut passer du « vivre-ensemble », un peu stagnant, gnan-gnan, au « faire ensemble ». Et faire ensemble face au grand défi climatique, qui réclame beaucoup de travail, qui exige que chacun fasse sa part, trouve une utilité dans cette transformation. Encore une fois, ce n’est pas le marché qui va organiser la rénovation thermique, planter des haies, remettre en état les canalisations d’eau, créer des ateliers de réparation dans chaque canton, pour échapper au cycle de la production de consommation… L’État doit donc définir un certain nombre de besoins auxquels on sait que le marché ne va pas répondre. Puis diriger et canaliser les énergies, les moyens, les savoir-faire. C’est aussi un pari humaniste. Il faudrait presque recenser toutes les compétences qui sont aujourd’hui à notre disposition mais qui sont en déshérence, une richesse humaine qui peut exister dans les quartiers ou dans les campagnes et qui est délaissée. Qui sait bricoler, qui sait réparer, qui sait cuisiner ? Toutes ces compétences doivent pouvoir être utiles à la société. C’est aussi un moyen de créer de la dignité par le travail, ce qui est essentiel.

Entretien réalisé par Florent LE DU

source: https://www.humanite.fr/politique/francois-ruffin/francois-ruffin-la-gauche-doit-etre-le-camp-du-travail-762479

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