Entretien avec O. Temaru-« L’ONU et le monde regardent la Polynésie » (H.fr-28/04/23)

Oscar Temaru, Président du Tavini huiraatira (Servir le peuple)

Par Benjamin KÖNIG

Élections-En ballottage favorable avant le second tour du scrutin territorial, dimanche, le mouvement indépendantiste du Tavini mené par Oscar Temaru espère enfin lancer un processus de décolonisation.

Avec 34,9 % des suffrages au premier tour des élections territoriales, le parti de gauche et indépendantiste du Tavini huiraatira est parvenu à se hisser en première position. Malgré l’alliance des partis de droite autonomistes de l’ex-président de la Polynésie Gaston Flosse (Tahoeraa, 11,8 %) et d’Édouard Fritch (Tapura, 30,4 %), son successeur depuis 2014, les « bleus » du Tavini sont en bonne position pour l’emporter. D’autant que le second tour verra une triangulaire avec le parti A here ia Porinetia (14,5 %), également issu d’une scission des autonomistes. Le leader indépendantiste historique Oscar Temaru a reçu L’Humanité dans son bureau de la mairie de Faaa pour évoquer la longue lutte de son parti, le basculement historique que représenterait une victoire du Tavini et ses ambitions pour la Polynésie.

C’est un événement en Polynésie : au premier tour, le Tavini est arrivé en tête, après avoir déjà remporté les trois sièges de députés lors des législatives de l’an dernier. Pour vous, qu’est-ce qui explique ce basculement après plus de quarante années de combat politique ?

En tahitien il y a un vieux proverbe qui dit : « E parari te mato i te topata ua ». Ça veut dire : « Une goutte de pluie peut casser le roc. » Nous avons parcouru le territoire durant des années, pour expliquer à la population notre âme, notre dignité et notre projet pour le pays. Les politiques menées par les autonomistes, qui disaient alors qu’il fallait d’abord « faire grandir le nouveau-né », sont simplement du néocolonialisme. D’autant que l’arrivée du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP, créé pour les essais nucléaires – NDLR) a fait basculer notre pays vers une économie de comptoir. Petit à petit, les gens ont commencé à tendre l’oreille, car en face de nous c’est un mur : les médias, l’économie, tout le système est contrôlé par l’État français. Mais nous n’avons fait que croître, en travaillant, notamment avec le FLNKS, pour faire inscrire nos territoires sur la liste des pays à décoloniser (en 2013 – NDLR). Parfois, quand je regarde tout ça, je me dis : « Merde, c’est pas possible… » (rires). Maintenant, on parle de nous à l’ONU. Et la nouvelle génération se pose des questions, d’autant qu’à l’époque la politique était une affaire d’hommes. Avec les nouveaux moyens de communication, les gens s’informent. Voilà comment j’explique ce basculement : c’est une longue marche.

Vous avez déjà été président de la Polynésie, cinq fois entre 2004 et 2013, dans un contexte de très forte instabilité politique. Si le Tavini l’emporte, qu’est-ce qui sera différent, outre le fait que le député Moetai Brotherson, membre du groupe GDR, sera désigné comme le président ?

À l’époque, l’État avait annoncé que les élections n’étaient pas terminées, avait dissous une partie de l’Assemblée pour faire revoter la côte est et fermé le robinet, comme il disait. Je ne pense pas qu’aujourd’hui l’État puisse encore le faire : l’ONU, le monde regardent ce qu’il se passe, les médias aussi. Nous souhaitons que la France accepte cette table ronde, sous l’égide des Nations unies, pour parler de l’avenir de notre pays, et en terrain neutre.

Alors que l’exemple de la Nouvelle-Calédonie montre que le sujet avance difficilement, quel processus de décolonisation peut-on envisager pour la Polynésie ?

Nous avons gagné les législatives, il nous faut maintenant gagner les territoriales pour dire à la France : voilà les grandes questions, la monnaie, la fonction publique, l’administration territoriale, etc. Nous ne voulons pas négocier notre droit de souveraineté, mais fixer la date de l’accession à cette souveraineté, et négocier des accords de coopération dans tous ces domaines.

Au-delà de la question de l’indépendance, les attentes des Polynésiens sont immenses et axées sur les questions sociales et économiques. Quelles sont les priorités dans ces domaines ?

Pendant des années, on a mis de côté ce que nous sommes. Agriculture, perliculture, aquaculture : on ne peut pas le faire du jour au lendemain, mais il faut revenir vers une alimentation locale. On importe pour 45 milliards de francs (375,8 millions d’euros) d’alimentation chaque année ! Tout pousse ici : il faut planter, planter encore, à commencer par l’arbre à pain (arbre fruitier proche du jaquier – NDLR), notre pain à nous. Développer les cocoteraies et tous les dérivés de la coco. Sur la pêche et l’aquaculture, il faut amener une plus-value, découper et transformer sur place. Ensuite, notre principale industrie est le tourisme : ça fait presque cinquante ans que je dis qu’il faut construire cet aéroport aux Marquises, se rapprocher de cet État américain qu’est Hawaï. Nous devons le développer, avec de petits hôtels, des pensions de famille.

Benjamin KÖNIG

Source: https://www.humanite.fr/politique/polynesie-francaise/l-onu-et-le-monde-regardent-la-polynesie-793045

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/entretien-avec-o-temaru-lonu-et-le-monde-regardent-la-polynesie-h-fr-28-04-23/

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