Entretien avec Philippe Blacher- Le gouvernement peut-il utiliser le 49.3 autant qu’il veut ? (LH.fr-19/10/22- 18h27)

La Première ministre Elisabeth Borne annonce le recours à l’article 49.3 de la Constitution le 19 octobre 2022 à l’Assemblée nationale à Paris.

La Première ministre Elisabeth Borne a engagé, mercredi 19 octobre, la responsabilité de son gouvernement, en ayant recours à l’article 49.3 de la Constitution afin d’adopter la première partie du projet de loi de finances 2023 sans vote des députés. Al’issue du Conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement Oliver Véran a réaffirmé mercredi le potentiel recours à l’article 49.3 « sur l’ensemble des textes budgétaires ». Au total, depuis 1958, le 49.3 a été déclenché 89 fois. Comment fonctionne cette procédure et pourquoi est-elle si décriée ?

Entretien avec le directeur du Centre de droit constitutionnel de Lyon, Philippe Blacher.

Le projet de loi de Finances est débattu depuis une semaine à l’Assemblée, le gouvernement aura-t-il des contraintes quant au devenir des amendements adoptés, parfois contre son avis, en déclenchant le 49.3 ?
Philippe Blacher, professeur de droit public. DR
Philippe Blacher, Professeur de droit public

Le 49.3 est très souvent critiqué et présenté comme une procédure qui court-circuite les débats au parlement. Ce n’est pas tout à fait juste : il permet le débat parlementaire et l’intégration d’amendements votés par des députés de la majorité comme de l’opposition.

Mais il est vrai que le gouvernement dispose d’une grande liberté pour choisir ce qu’il retient ou non. En clair, il peut faire ce qu’il veut. Stratégiquement, il peut par exemple conserver des amendements adoptés par Les Républicains, afin qu’ils s’abstiennent de voter une motion de censure [les groupes d’opposition peuvent en présenter une en cas de 49.3 et si elle est votée par une majorité de députés, le gouvernement tombe, NDLR]. D’autant que du moment où certains amendements figurent dans le budget, pourquoi l’opposition le refuserait systématiquement ?

Des députés de l’opposition dénoncent les risques de voir le travail du parlement piétiné puisque malgré les débats c’est, au final, l’exécutif qui a la main. N’y a-t-il pas là un déni de démocratie ? 

Je n’utiliserai pas ce terme, mais il est clair que depuis 1958 le parlement est escamoté, relégué. Et pour cause, la Constitution a été créée à cet effet. D’ailleurs, dès le 25 novembre 1959, le 49.3 est pour la première fois l’objet d’un débat houleux à l’Assemblée nationale lorsque Michel Debré le brandit pour revenir sur le montant alloué aux retraites des anciens combattants. Michel Rocard, faute de majorité absolue, en a été le champion, il a pour ainsi dire gouverné au 49.3. Il l’a utilisé à 28 reprises en 3 ans, entre 1988 et 91. Comme Édith Cresson et Pierre Bérégovoy, il y a aussi eu recours sur le budget. Au total, depuis 1958, il a été déclenché 89 fois. C’est une des armes à la disposition de l’exécutif, et une manière de contourner les choix décidés au parlement.

Mais il faut aussi garder à l’esprit que ce n’est pas pire que les ordonnances de l’article 38 de la Constitution [par lesquelles le parlement autorise l’exécutif à prendre lui-même des mesures qui relèvent de la loi, NDLR]. Même en dehors de l’usage du 49.3, le parlement est bafoué. Les projets de loi sont toujours maîtrisés et cadenassés par l’exécutif. Celui-ci peut déclencher des procédures d’urgence avec une seule lecture par chambre ou recourir au vote bloqué pour faire adopter son texte avec les amendements de son choix.

La réforme de 2008 avait pourtant notamment vocation à davantage encadrer le 49.3…

La Constitution a, en effet, été modifiée en 2008 avec l’objectif de rééquilibrer les forces entre l’exécutif et les assemblées parlementaires. Mais, en réalité, rien n’a changé. Le parlement est toujours le parent pauvre de nos grandes institutions : le chef de l’État décide de tout, le gouvernement et le premier ministre exécutent ses décisions, et l’Assemblée enregistre.

Finalement, ce sont essentiellement les oppositions qui font vivre le parlement en mettant en lumière les difficultés posées par les mesures de l’exécutif. Et alors que l’architecture des institutions n’a pas été conçue ainsi, c’est le Sénat qui, avec les commissions d’enquête notamment, contrôle l’action du gouvernement.

Concernant le 49.3, l’exécutif peut toujours, après la révision de 2008, l’utiliser autant de fois qu’il le veut sur la loi de Finances ou la loi de Financement de la Sécurité sociale, mais il ne peut plus s’en servir que sur un seul autre texte par session. S’il le déclenche sur le budget, il pourra y avoir recours pour une réforme des retraites, par exemple. Alors que s’il l’avait utilisé sur un texte de législation ordinaire, hors des lois financières, la cartouche aurait été épuisée pour toute la session.

Outre l’article de  la Constitution, quels textes régissent son usage ?

Le règlement de l’Assemblée nationale, prévoit dans son article 95 alinéa 4 la réserve de vote et par l’article 101 la possibilité d’une seconde délibération. Ces techniques peuvent être combinées à la mise en œuvre du 49.3 et permettre au gouvernement soit de reporter le vote sur un article soit de demander un nouveau vote mais sur le texte tel qu’il l’entend au final. C’est ce qu’on appelle des techniques de parlementarisme rationalisé.

Ces textes ont été rédigés pour donner une assurance au gouvernement que, dans le cadre de la procédure législative, la loi qui sera finalement adoptée correspond véritablement à sa volonté. Le budget est un cas particulier, puisqu’il doit être voté dans des délais très brefs. S’il ne l’est pas au bout de 70 jours, le gouvernement peut agir par ordonnances. Et donc décider en dehors du parlement.

Entretien réalisé par Julia HAMLAOUI

source: https://www.humanite.fr/politique/budget-2023/assemblee-nationale-le-gouvernement-peut-il-utiliser-le-49-3-autant-qu-il-veut-767775

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