Entretien avec Sigrid Gérardin, du Snuep-FSU : « La réforme du lycée professionnel renforce le séparatisme social » (H.fr-5/05/23)

À la suite des annonces d’Emmanuel Macron, la secrétaire générale du Snuep-FSU, Sigrid Gérardin, déplore un texte uniquement au bénéfice des entreprises

Au cours d’un déplacement à Saintes  (Charente-Maritime), Emmanuel Macron a confirmé, ce jeudi 4 mai, les principales mesures de sa réforme des lycées professionnels : gratification des stages, différenciation des filières en fonction des besoins des entreprises de chaque territoire, avec l’objectif d’ « aller vers 100 % d’insertion professionnelle », en faisant de ces lycées une « voie par choix ». Sigrid Gérardin y voit de nouveaux cadeaux aux patrons au détriment de la scolarité des élèves.

Quel regard portez-vous sur cette réforme qui se prétend bénéfique à la fois pour les jeunes et pour l’économie ?

Sigrid Gérardin, Secrétaire générale du Snuep-FSU

Cet « adéquationnisme » forcené entre les lycées professionnels et les entreprises de proximité revient à mettre nos établissements sous tutelle de ces entreprises. Nos élèves seront « formés » en fonction du tissu économique local et donc assignés à leur secteur géographique.

À Saintes, le bassin économique est très lié à l’entreprise Alstom. Les filières tertiaires vont donc être abandonnées au profit de celles industrielles. Du coup, les élèves qui voudraient s’engager dans une filière tertiaire, ou même dans les métiers du bois, par exemple, ne le pourront pas. Sauf à aller étudier ailleurs, ce que nos élèves, très jeunes et sans moyens financiers, ne peuvent faire.

Agir ainsi est une grave erreur car, comme l’histoire récente nous l’a montré, il suffit d’une crise économique pour que les entreprises externalisent et délocalisent leur activité. Cette réforme des lycées professionnels, imposée en piétinant toutes négociations avec les syndicats, participe d’une politique de « travail offert à coût minimal aux entreprises » au même titre que celle des retraites et celle concernant les allocataires du RSA, forcés d’accepter du travail gratuit ou des contrats précaires. Tout ça plutôt que d’obliger le patronat à mettre en œuvre des revalorisations salariales et à améliorer les conditions de travail pour rendre attractifs leurs emplois !

Cette réforme peut-elle renforcer l’employabilité des jeunes issus de lycées professionnels ?

Les diplômes et la formation initiale sont le meilleur rempart contre le risque de chômage. Or, le projet du gouvernement vise à remplacer les diplômes par des « blocs de compétences ». Cet effacement programmé de la frontière entre formation initiale et formation professionnelle est un bond en arrière dont les enfants les plus défavorisés vont faire les frais, car les passerelles entre le lycée pro et les filières générales sont appelées à disparaître.

Le risque est d’accroître la polarisation de la société : d’un côté des exécutants, mal formés, mal payés, aux conditions de travail déplorables et, de l’autre, les cadres dirigeants et les métiers nécessitant des études longues qui seraient d’emblée réservées aux classes dites supérieures. Pap Ndiaye avait, à son arrivée, déclaré que l’école devait être un « vecteur de justice sociale ». Il est aujourd’hui en train de cautionner le séparatisme.

Quelles seront les répercussions sur le corps enseignant ?

L’idée est de concentrer les formations sur les filières qui sont liées au secteur d’activité en tension afin de pallier la pénurie de main-d’œuvre. En conséquence, étant donné la conjoncture actuelle, les filières tertiaires, de gestion et d’administration et les enseignants qui y travaillent vont être amenés à se transformer pour mieux correspondre aux besoins des employeurs du secteur.

Certains profs vont quitter le métier, d’autres changer de spécialité. Cela induira des pertes de compétences, car souvent, en lycée pro, les enseignants ont eu une première carrière en tant que professionnel de la spécialité qu’ils enseignent. Moi, je suis prof de vente. J’ai passé le concours de l’éducation nationale après une carrière dans le secteur commercial. Si on me demande demain d’enseigner en filière « hygiène, propreté et stérilisation », je peux acquérir des connaissances et les transmettre mais je n’ai aucune expérience de ce métier…

Quelles seraient les mesures à prendre pour améliorer la réussite des élèves ?

Ce qui nous manque, c’est du temps pour former les jeunes. On ne peut pas aller les chercher un par un en cas d’absence, quand on en a 24 par classe et surtout quand on manque aussi de CPE ! Il faudrait également des assistants sociaux, des infirmières, des psychologues.

Ces encadrants formés aux spécificités du public que l’on accueille nous manquent. Sur le plan pédagogique, il faut revenir à un parcours scolaire de quatre années en lycée professionnel afin de redonner la possibilité aux jeunes, une fois diplômés et qualifiés, soit d’entrer dans la vie professionnelle, soit de poursuivre des études.

Propos recueillis par Eugénie BARBEZAT

Source: https://www.humanite.fr/societe/lycee-professionnel/sigrid-gerardin-du-snuep-fsu-la-reforme-du-lycee-professionnel-renforce-le-separatisme-social-793835

URL de cet article; https://lherminerouge.fr/entretien-avec-sigrid-gerardin-du-snuep-fsu-la-reforme-du-lycee-professionnel-renforce-le-separatisme-social-h-fr-5-05-23/

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