ENTRETIEN. En Bretagne, pourquoi assiste-t-on à un développement de l’activisme d’ultra-droite ? (OF.fr-30/07/23)

En janvier et en février 2023, le journal « Le Poher Hebdo », basé à Carhaix (Finistère), a reçu des menaces de mort « très probablement en lien avec l’extrême droite », selon son directeur Erwan Chartier-Le Floch, à la suite d’une série d’articles sur le projet contesté d’accueil de migrants à Callac (Côtes-d’Armor).

Entretien avec Romain PASQUIER, réalisé par Olivier MELENNEC

L’affaire du centre d’accueil de migrants de Callac (Côtes-d’Armor) a, semble-t-il, décomplexé une mouvance politique qui faisait jusque-là plutôt profil bas en Bretagne. De plus en plus visibles, des activistes d’ultra-droite, nationalistes et identitaires, se manifestent dans les grandes villes comme dans les territoires ruraux. Le politologue Romain Pasquier voit dans ce renouveau du militantisme d’extrême droite une réaction à la vague « wokiste » venue de la gauche et de l’extrême gauche.

L’affaire du centre d’accueil de migrants de Callac (Côtes-d’Armor) a, semble-t-il, décomplexé une mouvance politique qui faisait jusque-là plutôt profil bas en Bretagne. De plus en plus visibles, des activistes d’ultra-droite, nationalistes et identitaires, se manifestent dans les grandes villes comme dans les territoires ruraux. Le politologue Romain Pasquier voit dans ce renouveau du militantisme d’extrême droite une réaction à la vague « wokiste » venue de la gauche et de l’extrême gauche.

Que sait-on des groupes d’extrême droite qui se mobilisent en Bretagne contre des projets d’accueil de migrants, des animations de drag-queens ou des concerts organisés dans des églises ?

Il s’agit de groupes organisés qui reposent sur une base militante jeune, assez nouvelle et originale. Originale dans la mesure où elle se connecte fortement via les réseaux sociaux. Ceux-ci servent à la fois de caisse de résonance et de mode d’organisation. De ce fait, on a affaire à une nébuleuse relativement insaisissable. Ce n’est pas un mouvement social ou un mouvement politique classique, avec un local, des permanents… C’est tout à fait caractéristique des mobilisations contemporaines, très mouvantes, très flexibles, qui utilisent massivement les réseaux sociaux.

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Comment s’explique ce renouveau du militantisme d’extrême droite, en particulier chez les jeunes ?

Je vois dans ce renouveau du militantisme d’extrême droite une réaction à la vague « wokiste » venue de la gauche et de l’extrême gauche. Il y a un effet ressac. Tous ceux qui ont en horreur le mouvement « wokiste », aussi caricatural que soit ce terme, peuvent être motivés par un type de mobilisation où, à l’inverse, on va dire que les hommes et les femmes, ce n’est pas pareil ; que la France est une et indivisible, et pas multiculturelle ; que l’identité française est chrétienne, et même, si on remonte plus loin, celtique… Ce renouveau d’un militantisme d’extrême droite, qu’il ne faut certes pas grossir, c’est la réaction à des valeurs sociétales portées par une partie de la jeunesse, que d’autres parties de la jeunesse n’acceptent pas.

Une extrême droite estudiantine était-elle présente en Bretagne historiquement ?

On avait connu un militantisme d’extrême droite assez fort en milieu étudiant, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, en réaction à Mai 1968. Il y avait le Gud (Groupe union défense) et l’Uni (Union nationale inter-universitaire), voire ce que l’on appelait dans les facultés de droit les faluchards. La principale motivation était l’antimarxisme et l’anticommunisme. Nous vivions alors dans un monde avec des camps idéologiques bien identifiés. Ces camps ont disparu après la chute du mur de Berlin. Depuis quatre ou cinq ans, on a l’impression que des camps sont en train de se restructurer autour de valeurs opposées. D’un côté, un camp qui défend des valeurs sociétales extrêmement libérales autour du genre, des identités sexuelles ou culturelles multiples. De l’autre côté, une forme de conservatisme identitaire qui se durcit, qui ne fait pas que résister mais qui passe à l’offensive.

Romain Pasquier est politologue et directeur de recherche au CNRS.

Hormis le milieu étudiant, le militantisme d’extrême droite recrute-t-il dans d’autres milieux en Bretagne ?

Il existe toujours les réseaux catholiques traditionnels, conservateurs, voire anti-Vatican II, dans la lignée de ce qu’incarnait Mgr Lefebvre à une certaine époque, favorables à la messe en latin et au port de la soutane. Ces réseaux catholiques, extrêmement conservateurs et traditionnels, peuvent être des viviers de l’extrême droite. Et puis, il y a le milieu des jeunes de classes plus populaires, qui se sentent exposés au déclassement et qui, en milieu rural ou dans les petites villes, ont l’impression que les valeurs incarnées par la grande ville ne leur correspondent pas du tout. Ils ne s’identifient pas aux valeurs sociétales portées par une élite un peu « bobo ». Ils peuvent verser dans un militantisme qui, finalement, valorise leur mode de vie, où on aime le football, où on prend la bagnole, où on aime la France, où on ne parle pas d’homosexuels…

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Que peut-on dire des modes d’action de cette extrême droite militante ?

Ses actions visent à faire le « buzz » en utilisant les médias. Ils ne sont pas nombreux, mais ils sont bien organisés. Et ils ont bien compris comment fonctionne la société médiatique. D’où des actions coup de poing qui interpellent, qui peuvent faire peur, comme cela a été le cas à Callac où il s’est produit des affrontements. Il s’agit de montrer que la société change en Bretagne, que l’extrême droite est présente et qu’elle se trouve en position de reconquête.

Peut-on faire un lien entre cette mouvance activiste et le parti Reconquête d’Éric Zemmour ?

Pour la frange de la jeunesse la plus motivée à l’extrême droite, le parti Reconquête est plus séduisant que le Rassemblement national (RN) qui, lui, tend à se notabiliser et à se normaliser. Le RN se prépare à prendre le pouvoir et donc il se modère. Pour un jeune d’extrême droite, le parti Reconquête est plus attirant car il est plus radical. Il a un discours beaucoup plus tranché sur le multiculturalisme, sur l’immanence des identités, sur le supposé grand remplacement qu’il faut combattre. Qu’elle soit de gauche ou de droite, la jeunesse qui se mobilise cherche des combats avec un camp bien défini à défendre.

Source: https://www.ouest-france.fr/bretagne/interview-en-bretagne-pourquoi-assiste-t-on-a-un-developpement-de-lactivisme-dultra-droite-ceba4ff4-259f-11ee-8552-e3192c603a14

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/entretien-en-bretagne-pourquoi-assiste-t-on-a-un-developpement-de-lactivisme-dultra-droite-of-fr-30-07-23/

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