ENTRETIEN. Lamya Essemlali et Sea Shepherd France se disent ouverts au dialogue avec les pêcheurs (OF.fr-11/01/24)

Lamya Essemlali, présidente de l'association Sea Shepherd France
Lamya Essemlali, présidente de l’association Sea Shepherd France | SEA SHEPHERD FRANCE

Bien souvent, Sea Shepherd est, aux côtés d’autres associations environnementales comme Bloom, dans le viseur des pêcheurs. Lamya Essemlali, présidente de l’association Sea Shepherd France, nous livre sa position.

Entretien réalisé par Chloé SARTENA.

« Ces écolos bobo sont déconnectés, ils ne comprennent rien aux réalités du terrain », peut-on entendre dans les bouches de certains marins, dont la première cible est souvent l’association Sea Shepherd.

Dans la soirée du mercredi 10 janvier 2024, une réunion s’est tenue à Concarneau (Finistère) entre une soixante de pêcheurs du sud de la Bretagne, pour s’organiser face à la prochaine interdiction de pêche pendant un mois pour limiter le nombre de captures accidentelles de cétacés, estimées à 10 000 par an.

David Le Quintrec, pêcheur à Lorient, a avoué regretter ce manque de dialogue. « On nous a toujours dit que le dialogue avec les ONG était inutile. Mais quand on voit vers quoi on va, je commence à me dire qu’une réelle concertation serait peut-être efficace. » Une main tendue, à l’image de celle de Lamya Essemlali, présidente de l’association Sea Shepherd France, qui souhaite, elle aussi, ouvrir le dialogue.

Un mur de verre semble séparer pêcheurs et ONG environnementales, Sea Shepherd en particulier. Comment l’expliquez-vous et aimeriez-vous le briser ?

Je trouve cela dommage que les pêcheurs nous considèrent comme la raison de tous leurs problèmes. Nous ne sommes pas là pour chercher leur mort. Nous avons simplement un rôle de lanceur d’alerte sur le sujet : nous dénonçons le symptôme d’un mal qui est fondamental. La disparition des dauphins aura des conséquences pour l’écosystème et donc, en bout de course, pour eux.

C’est-à-dire ?

En tant que prédateur marin, le dauphin est une clé de voûte, un garant de la bonne santé de tout l’écosystème Sa disparition aura des effets d’effondrement en cascade, et notamment sur les espèces ciblées par les marins. L’océan est un jeu de domino complexe. On se rend compte que, quand on décapite l’écosystème marin, on a des effets tels que l’explosion de méduses, ou encore de poulpes. Les dauphins ne sont pas des compétiteurs. Les professionnels de la mer manquent de connaissance sur les interdépendances entre les espèces. C’est dommage, s’il y a bien une catégorie de métiers qui devraient les connaître, c’est elle !

Les comités des pêches ne pourraient-ils pas jouer ce rôle de médiation ?

Bien au contraire, ils mettent de l’huile sur le feu, dans une optique de diviser pour mieux régner. Ils nous diabolisent en disant que nous sommes fermés au dialogue, alors que nous avons été exclus de toutes les réunions sur le sujet ! Ils tiennent une grande part de responsabilité dans ce qu’il se passe. Ça leur permet d’éviter de se remettre eux-mêmes en question. Ils se dédouanent en disant qu’ils ont pris une mesure sur ce sujet : ils ont poussé les pêcheurs à mettre en place des pingers, ces répulsifs acoustiques, sur l’ensemble des navires. On le dénonce depuis le début : les scientifiques le disent, c’est inefficace, voire contre productif, puisque ça les chasse juste des zones de nourrissage. La technologie ne permet pas de réduire le problème.

Quel est l’état des populations de dauphins communs et de marsouins ? Selon les pêcheurs, ces espèces n’ont jamais été aussi nombreuses…

Des survols aériens ont été faits par l’observatoire expert des mammifères marins Pelagis. Les résultats sont formels : il n’y a pas d’augmentation globale, mais un déplacement des populations vers les côtes. Les poissons sont surpêchés par les gros navires usine sur le plateau continental. Ces prédateurs marins, qui subissent la pollution – dont sonore – et le réchauffement climatique, se déplacent à la recherche de nourriture. La situation des dauphins est beaucoup plus précaire qu’auparavant. 

Des captures accidentelles de dauphins dans le golfe de Gascogne, capturées en image par Sea Shepherd. | SEA SHEPHERD FRANCE

Aujourd’hui, à combien est estimée la population de dauphins dans l’ensemble du golfe de Gascogne ?

Il y aurait autour de 180 000 dauphins dans l’ensemble du golf. Pour l’instant, les scientifiques disent qu’il n’y a pas de marque de diminution de la population. Mais il faut savoir qu’à partir du moment où une diminution de la population est visible, c’est qu’il est trop tard ! En revanche, il existe déjà des signes avant coureurs d’extinction : la maturité sexuelle des dauphins s’est avancée. Ils se reproduisent plus tôt qu’avant. Leur mortalité due aux captures accidentelles a donc déjà des impacts jusque dans leur cycle reproduction…

Jugez-vous cette interdiction d’un mois suffisante ?

En moyenne, on estime à 10 000 le nombre de captures accidentelles annuellement. Mais après cette annonce de fermeture, nous n’avons pas sabré le champagne. Personne n’est satisfait. Ni les pêcheurs ni les ONG. Il faudrait fermer plus longtemps, mais surtout, mener en parallèle un vrai travail pour réformer les zones et les méthodes de pêche, les longueurs et hauteurs de filet, les saisonnalités, pour que justement, in fine, on arrive à des fermetures moins radicales. Au lieu de se mettre tous ensemble autour de la table, pêcheurs, scientifiques, ONG, on se retrouve face à un mur de déni. Or, sans ce travail de fond, cette interdiction d’un mois risque de ne rien changer.

Les pêcheurs côtiers ont l’impression d’être les seuls ciblés et d’aller droit dans le mur, que leur répondez-vous ?

On sort d’une campagne qui ciblait les grands navires usine, on y retourne en février. Nous n’avons pas été beaucoup soutenus. Nos moyens pour les suivre étaient limités, nous avions surtout un semi-rigide. Là on a un nouveau bateau qui permet d’aller en mer plus longtemps. On va donc plus les cibler. Mais la pêche côtière n’est pas irréprochable. Les scientifiques estiment que les marques de captures présentent sur les dauphins sont à 70 % du temps des marques de mono filament de petits fileyeurs. Certains fileyeurs de 10 m seulement nous ont déjà avoué avoir pêché 20 dauphins d’un coup.

Les pêcheurs doivent signaler les captures accidentelles…

Seules 5 % des captures accidentelles sont déclarées. Certains pêcheurs ne veulent pas être assimilés à des tueurs de dauphins. D’autres s’en moquent, il faut le dire. Ils se disent que nous avons trop totémisé cet animal, comme le phoque.

Certains pêcheurs pensent à braver l’interdiction et aller en mer. Serez-vous sur zone pour surveiller ?

En effet. On prêtera aussi une attention particulière à la présence espagnole parce que cette fermeture ne s’applique pas à eux, et c’est aberrant. Sur ce point, je comprends la colère des pêcheurs français. Nous serons là pour braquer les projecteurs sur cette injustice sociale et cette aberration écologique. Ces décisions doivent être prises au niveau européen. Nous avons déjà déposé des recours au niveau de la commission européenne.

Source: https://www.ouest-france.fr/bretagne/concarneau-29900/sea-shepherd-se-dit-ouvert-au-dialogue-4dd0c190-af9f-11ee-82ae-73e88db45bf9

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/entretien-lamya-essemlali-et-sea-shepherd-france-se-disent-ouverts-au-dialogue-avec-les-pecheurs-of-fr-11-01-24/

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