Entretien-Pollution et malbouffe : les cancers explosent chez les jeunes (reporterre-15/09/23)

Une infirmière à l’unité d’oncologie pédiatrique de l’hôpital AP-HP Armand Trousseau à Paris le 16 mars 2021. – © AFP / Christophe Archambault

Propos recueillis par Violaine COLMET-DAAGE

En trente ans, les cancers chez les jeunes ont grimpé de 80 %. Les principaux responsables : les polluants environnementaux et une mauvaise alimentation, analyse le Dr Jean-David Zeitoun.

Les chiffres sont alarmants : en 30 ans, l’incidence des cancers chez les moins de 50 ans a bondi de 79 %, le nombre de décès associés de 28%, et les pays industrialisés semblent particulièrement touchés, révèle une large étude publiée dans le BMJ Oncology le 5 septembre.

En utilisant les données des registres nationaux des cancers, des chercheurs ont analysé l’évolution de l’incidence et des décès de 29 cancers dans plus de 200 pays, entre 1990 et 2019. Les résultats sont sans appel : en 2019, 3,26 millions de cancers ont été déclarés chez les moins de 50 ans, contre 1,82 million en 1990.

Le cancer le plus répandu à cet âge est le cancer du sein. Mais ce sont les cancers nasopharyngés et de la prostate qui présentent les évolutions les plus inquiétantes. Et cette tendance ne devrait pas s’inverser : l’incidence des cancers précoces devrait encore croître de 31 % d’ici 2030. Les décès de 21 %.

Les causes précises sont difficiles à identifier : outre les facteurs de risque alimentaire (comme un régime riche en viande rouge), la consommation d’alcool et le tabagisme, les auteurs avancent d’autres pistes : les antibiotiques, le microbiote intestinal ou encore la pollution de l’air extérieur. Un point de vue que partage Jean-David Zeitoun, docteur en médecine et en épidémiologie clinique, et auteur de Le suicide de l’espèce : comment les activités humaines produisent de plus en plus de maladies (ed. Denoël, février 2023).



Reporterre — Selon une étude publiée dans le BMJ Oncology, les cancers chez les moins de 50 ans ont bondi de 80 % en trente ans. Ces résultats sont-ils nouveaux ?

Jean-David Zeitoun — Non. Plusieurs équipes de chercheurs ont publié des travaux ces dernières années montrant déjà l’augmentation de certains cancers, à l’échelle mondiale et régionale. Ils ont aussi rapporté que ces cancers touchaient de plus en plus de patients plus jeunes qu’avant. Cette étude va dans le même sens.

Cette augmentation des cancers n’est pas un effet démographique ou de surdiagnostic : ce n’est pas parce que la population est en croissance ou que l’on a augmenté le dépistage que l’on a plus de cas. Il s’agit d’une augmentation réelle des cancers.

« Dans beaucoup de pays, y compris dans les pays riches, la mortalité augmente, de même que les maladies chroniques, dont les cancers. » National Cancer Institute / Unsplash

Les pays industrialisés semblent davantage touchés. Connaît-on les causes de cette tendance ?

Certains cancers augmentent, d’autres diminuent. Les causes sont difficiles à déterminer, mais on en sait suffisamment pour dire que les facteurs alimentaires et/ou environnementaux sont les principaux suspects.

Les auteurs pointent aussi le tabac, l’alcool et le régime alimentaire…

Le tabagisme et la consommation d’alcool sont plutôt en baisse dans les pays riches. Ce ne seraient pas mes premières hypothèses. En revanche, les facteurs de risque environnementaux et alimentaires sont complètement crédibles, et il y en a beaucoup. Déterminer la part de chacun est excessivement difficile.

En épidémiologie nutritionnelle et environnementale, ces preuves sont intrinsèquement très difficiles à apporter : on ne peut pratiquement jamais isoler une exposition à un polluant, parmi les centaines qui nous entourent, pour prouver qu’il est responsable de tel cancer. Cela retarde la connaissance et la prise de conscience, ce qui explique que nous nous en remettions à des études écologiques, comme celle-ci, qui regarde la tendance à l’échelle mondiale.

Sur les facteurs environnementaux, les preuves ne sont pas formelles ?

On sait que beaucoup de polluants chimiques ont des effets cancérogènes. On sait aussi qu’ils ont des effets de perturbateurs endocriniens et que de ce fait, ils ont aussi des effets cancérigènes sur les cancers hormono-dépendants.

La science est claire, mais elle reste touchée d’incertitudes, pour des raisons inhérentes à cette discipline. Et les causes des cancers sont multifactorielles, ce ne sont pas des choses que l’on pourra montrer de façon aussi évidente que tel médicament est responsable de tel effet secondaire.

Dans votre livre « Le suicide de l’espèce », vous expliquez que notre société est une fabrique à maladies chroniques, notamment de cancers. Pourquoi ?

Parce qu’aujourd’hui une partie de l’économie repose sur la production de « risques » [pour notre santé], soit de façon directe avec la vente de « risques » comme le tabac, l’alcool ou l’alimentation de mauvaise qualité. Soit de façon indirecte quand une industrie exerce des retombées négatives sur l’environnement, parce qu’il est moins cher de produire en polluant, que sans.

Pendant longtemps, la médecine a permis d’atténuer les effets de ces risques. Elle a progressé et permis de traiter les maladies et de continuer à progresser en espérance de vie. Aujourd’hui, c’est moins le cas, voire ce n’est plus le cas du tout. Dans beaucoup de pays, y compris dans les pays riches, la mortalité augmente, de même que les maladies chroniques, dont les cancers.


Vous parlez aussi d’entreprises — alimentaires ou industrielles — pathogènes, c’est-à-dire productrices de maladies, comme les cancers. Comment les rendre moins néfastes ?

Les industries produisant des risques et des maladies doivent être régulées et taxées pour qu’il y ait à la fois un effet de loi et de marché. Elles ne devraient pas avoir le droit de produire certains risques — vendre des produits délétères pour la santé, comme l’alimentation trop transformée, des polluants chimiques, etc. ou contaminer l’environnement .

On l’a déjà fait : on a interdit le plomb dans l’essence et dans la peinture. Aujourd’hui, tout le monde trouve cela normal. Certaines industries continuent à produire certains « risques », qui ne sont pas moins nocifs que le plomb.

Un panneau représentant une femme ayant souffert du cancer du sein, devant une rue de Marseille, dans le cadre d’Octobre rose, en 2008. © AFP/Anne-Christine Poujoulat

Ensuite, dans l’alimentation notamment, on peut envisager une intervention économique qui passerait d’abord par une détaxation des produits frais et qui serait associée à une taxation des produits trop toxiques — notamment les aliments trop sucrés ou trop transformés. L’objectif est d’obtenir une incitation économique très forte à manger des choses qui ne rendent pas malades.

C’est aussi ne plus faire peser sur l’individu seul la responsabilité de ces maladies chroniques ?

Oui, on demande aux gens d’éviter des « risques » qu’on laisse librement proliférer dans la société. C’est injuste et ne marche pas. Les gens ne peuvent pas passer leur journée à éviter des risques qui sont disséminés autour d’eux.

Quand même l’air que vous respirez, l’eau que vous buvez et que la seule nourriture que l’on vous propose à un prix décent sont susceptibles de nuire à votre santé, il ne faut pas s’étonner que les gens finissent par tomber malades.

Source: https://reporterre.net/Pollution-et-malbouffe-les-cancers-explosent-chez-les-jeunes

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