ENTRETIEN. « Toute activité de pêche a un impact, il faut désormais des politiques ambitieuses » (OF.fr-31/03/24)

Olivier Guyader, spécialiste des approches sociaux-économiques de la gestion des pêcheries de l’Ifremer, à Brest.
Olivier Guyader, spécialiste des approches sociaux-économiques de la gestion des pêcheries de l’Ifremer, à Brest. | IFREMER

Économiste à l’Ifremer, Olivier Guyader a tenté l’impossible à l’occasion de la sortie en kiosque du troisième numéro de notre magazine Océan : donner une vue d’ensemble et factuelle de la situation de la pêche et de l’exploitation de la ressource halieutique à l’échelle mondiale. Entre enjeux écologiques, économiques et sociaux, il conviendra de faire des choix, dit-il.

Entretien réalisé par Mathieu COUREAU

Économiste à l’Ifremer, Olivier Guyader a tenté l’impossible à l’occasion de la sortie en kiosque du troisième numéro de notre magazine Océan : donner une vue d’ensemble et factuelle de la situation de la pêche et de l’exploitation de la ressource à l’échelle mondiale. Entre enjeux écologiques, économiques et sociaux, il conviendra de faire des choix, dit-il. Entretien.

La part des stocks halieutiques surexploités augmentent à l’échelle de la planète, selon l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Faut-il le prendre comme une fatalité ?

Les données de la FAO à l’échelle mondiale sur l’état des populations halieutiques attestent d’une dégradation, en effet. Mais les situations sont différentes selon les seize zones principales observées. Le pourcentage des populations dont l’exploitation est considérée comme durable peut aller de 73 % en Atlantique nord-est, contre 37 % en Méditerranée et Mer Noire, 33 % dans la zone du Pacifique sud-est. Il n’y a pas d’homogénéité dans la surexploitation. En revanche, ce qui est caractéristique au niveau de la planète, c’est que la production halieutique stagne depuis les années 90 à un peu moins de 100 millions de tonnes débarquées.

Ce qui montre quoi ? Les limites de l’océan à nous apporter des ressources exploitables par la pêche ?

Oui. Et ce que je trouve intéressant de souligner, c’est que la population mondiale est passée de 5 à 8 milliards de personnes, soit plus de 60 % d’augmentation. Si l’aquaculture a en partie compensé cela, elle fait aussi face à des problèmes de durabilité. L’enjeu de l’alimentation durable est donc important. Ainsi, l’équation globale n’est pas facile à résoudre. Est-ce une fatalité ? Je ne le pense pas. Quels que soient les océans, les facteurs qui conduisent à la surexploitation des ressources halieutiques sont connus depuis cent ans. Sans une gouvernance collective et efficace s’appuyant sur des mesures de conservation et des mécanismes de régulation de l’accès à ces ressources, la tension perdurera.

On observe partout dans le monde que la tendance est au développement de capacités de pêches excessives par rapport à la disponibilité des ressources.

Qu’entendez-vous par « mécanique de régulation » ?

Je pense aux licences de pêche qui limitent l’accès à un secteur. Aux quotas qui répartissent les possibilités de capture entre pêcheurs. Sans ses mécanismes, on observe partout dans le monde que la tendance est au développement de capacités de pêches excessives par rapport à la disponibilité des ressources. On l’a bien vu en Europe : jusqu’au début des années 80, la capacité de pêche a explosé, favorisée par le libre accès et des politiques de subvention massives pour aider les pêcheurs à construire des bateaux.

Les effets ont été néfastes. Ces aides ont été interdites à l’échelle européenne en 2004, une décision comprise d’ailleurs par de nombreux pêcheurs car elles menaient à des distorsions de concurrence. Globalement, on a donc développé des surcapacités qui ont conduit à une surexploitation de la ressource. Puis on a fini par casser beaucoup de bateaux pour réduire la pression sur les populations de poissons. Dans l’Hexagone, la flotte de pêche a été divisée par deux depuis 1990, passant de 9000 à 4 200 bateaux professionnels. Les impacts économiques et sociaux n’ont pas été neutres.

D’autres mesures, parallèles, ont été prises localement.

Oui : en relation avec l’administration, les professionnels, au travers de leurs instances (comités, organisations de producteurs, prud’homies,) ont mis en place un encadrement de leur activité. L’effort s’est partagé à différents échelons.

Quand les marins ne sont pas à virer le chalut ou à travailler le poisson, ils s’occupent du chalut. | OUEST FRANCE ARCHIVES

Les mesures, dans leur globalité, ont-elles été suffisantes ?

Non. Le volume du débarquement des espèces en bon état progresse ou stagne depuis dix ans. En 2021, 50 % des flottilles exploitaient des stocks en bon état, 65 % avaient une situation économique considérée comme satisfaisante. Cela montre qu’atteindre les 100 % de population pêchée au rendement maximum durable sera difficile dans un futur proche. Mais il y a des voies d’amélioration possibles.

Comment mieux équilibrer capacités de pêche et populations de poissons ?

En proposant des plans d’action pour remédier à ces déséquilibres à l’échelle européenne, nationale ou même régionale. L’Ifremer mène en ce sens des travaux pour éclairer la décision des pouvoirs publics, pour mieux cibler les problématiques de surcapacité et de surexploitation.

Il est important selon moi de casser le mythe de la croissance infinie pour satisfaire la demande

L’aquaculture, la réduction des flottes, l’évolution des techniques… Quelle est la meilleure équation pour répondre à la demande croissante de produits de la mer tout en maintenant une exploitation durable ? La solution est-elle politique ?

Elle est politique oui. Mais on le voit bien : il y a plusieurs équations dans l’équation. Et aucune n’est facile à résoudre. S’agissant des ressources naturelles comme des ressources halieutiques, il est important selon moi de casser le mythe de la croissance infinie pour satisfaire la demande. Même si on peut imaginer des améliorations possibles en réduisant la surpêche, il faut plutôt raisonner en termes de rationnement de l’offre halieutique au niveau mondial. Je dis cela sans compter tous les facteurs externes non maîtrisés.

Par exemple ?

Les effets du changement climatique sur les populations de poissons, ou encore les prix des carburants. Sur ce point, il faut en moyenne un litre de gasoil pour débarquer 1,9 kg de poissons. Ça montre que la pêche est très énergivore mais aussi vulnérable. Selon les années et les flottilles, cela représente 15 à 30 % du chiffre d’affaires des navires qui part en fumée. C’est énorme, beaucoup trop y compris pour les pêcheurs. Une augmentation significative du prix du pétrole pourrait mettre de nombreux navires à quai. Ce sont des éléments de contexte qui, une fois posés, doivent permettre même si c’est difficile de trouver les bons compromis entre une activité viable et des écosystèmes en bonne santé.

Les chaluts de fond sont couramment utilisés par les pêcheurs professionnels qui pratiquent au large pour capturer des espèces vivant sur le fond ou à proximité du fond, telles la sole, la langoustine ou la baudroie. | DUGORNAY OLIVIER

L’optimisme est encore de mise ?

Toute activité de pêche a un impact et leur minimisation reviendrait à arrêter la pêche. Il faut simplement éviter les visions court-termistes et se projeter dans des politiques ambitieuses en discutant et en précisant les objectifs. Ce sont des choix politiques, qui engagent des mutations profondes. Les écologues, économistes ou autres sciences sociales peuvent contribuer à cette réflexion pour établir les diagnostics et étudier les impacts de stratégies de gestion sur les pêcheurs, les filières et les consommateurs.

La pêche industrielle est-elle encore, à ce jour, la solution pour nourrir la planète à moindre coût ?

Il faut la contextualiser au niveau mondial, on touche ici aux enjeux de sécurité alimentaire dans un contexte d’internationalisation des marchés des produits aquatiques. La globalisation des échanges s’opère depuis les années 80 et concerne tous les secteurs. Les exportations de produits d’origine aquatique ont été multipliées par cinq en quarante ans. C’est énorme. En 2020, elles totalisaient 60 millions de tonnes pour une valeur de 150 milliards de dollars. Elles représentent autant que celles des viandes de volaille, porcine et bovine réunies.

La pêche industrielle n’est pas le seul moyen d’assurer l’alimentation mondiale

Et dans l’Union européenne ?

L’Union européenne est le plus grand marché avec 34 % de la valeur mondiale des importations.

L’Europe ne se nourrit donc quasiment pas de sa pêche.

En gros, trois poissons sur quatre consommés en Europe et en France sont importés. C’est dire l’interdépendance de nos économies, la dépendance de notre consommation de produits de la mer au commerce international. Ça ne peut pas s’arrêter du jour au lendemain.

Quelle est la part de production mondiale des flottilles dites industrielles là-dedans ?

On ne la connaît pas et il n’y a pas de définition claire. Au niveau européen, si l’on considère les navires de plus de 40 mètres, ce qui se discute, ils sont au nombre de 300 environ soit 1 % de la flotte communautaire, représentent 4 000 emplois soit 5 % du secteur, 1,5 million de tonnes débarquées soit 43 % du total, 1,4 milliard de chiffre d’affaires soit 25 % de la valeur débarquée globale. La plupart sont la propriété de grands groupes, incluent parfois la transformation et la commercialisation.

On parle souvent de la valeur ajoutée créée par les navires industriels. Mais elle n’est pas forcément représentative de la valeur ajoutée cumulée tout du long de la filière. Les indicateurs doivent être pris avec précaution. Comme dans d’autres secteurs économiques, la pêche industrielle est capitalistique, c’est-à-dire plus intensive en capital qu’en travail. L’idée sous-jacente c’est que l’augmentation de la taille des entreprises ou des navires permet de réduire les coûts de production et donc potentiellement les prix proposés aux consommateurs.

Une fois qu’on a dit cela, il est tout de même assez logique de s’interroger sur les conditions dans lesquelles s’exerce l’activité de ces flottilles de pêche comme pour tous les autres types de flottilles d’ailleurs. Il faut considérer les effets négatifs sur les ressources, la question du partage équitable des possibilités de pêche ou encore les distorsions de concurrence liées notamment aux subventions. La pêche industrielle n’est cependant pas le seul moyen d’assurer l’alimentation mondiale. Dans certains pays, le maintien de la pêche traditionnelle est un enjeu majeur de sécurité alimentaire.

Contentera-t-on un jour tout le monde ?

Probablement pas. Les sciences de la durabilité des socio-écosystèmes comme la pêche enseignent que l’on ne peut atteindre en même temps tous les objectifs qu’ils soient écologiques, économiques et sociaux. Ça nécessitera de faire des choix mais l’on sait déjà que certaines trajectoires sont préférables à d’autres. Dans un premier temps, objectivons déjà bien les choses.

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Source: https://www.ouest-france.fr/mer/la-mer-notre-avenir/entretien-toute-activite-de-peche-a-un-impact-il-faut-desormais-des-politiques-ambitieuses-c307111c-cb4c-11ee-be0b-364738a87aaa

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/entretien-toute-activite-de-peche-a-un-impact-il-faut-desormais-des-politiques-ambitieuses-of-fr-31-03-24/

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