Entretien-Uber : « À San Francisco, j’ai vu ce qui nous attendait en France » (H.fr-4/12/23)

Brahim Ben Ali revient de San Francisco, où il s’est rendu devant le siège d’Uber pour faire valoir ses revendications.
© Ayoub Ben Karroum

Le secrétaire du principal syndicat de VTC français, Brahim Ben Ali, revient juste de San Francisco, où il est allé à la rencontre des chauffeurs, et porter ses revendications directement au siège de la multinationale.

Entretien réalisé par Pierric MARISSAL

Brahim Ben Ali, secrétaire national d’INV VTC, a porté la parole des chauffeurs Uber français directement au siège de la plateforme, en Californie. Il représentait aussi des organisations européennes, dont le puissant syndicat néerlandais FNV.

La situation des chauffeurs à San Francisco est-elle comparable à celle des Français ?

Comme on fait partie d’un réseau international de syndicats et d’associations de chauffeurs, j’ai pu rencontrer un grand nombre d’entre eux. Ce qui m’a le plus étonné c’est qu’ils étaient pour beaucoup sans papiers, des Pakistanais, Palestiniens, Maliens…

Des intermédiaires qui ont des sociétés enregistrées auprès d’Uber les font travailler, ils se prennent d’importantes commissions, souvent fournissent les voitures et inscrivent eux-mêmes les chauffeurs sur les plateformes, parfois sous de fausses identités.

Comme ils sont en situation irrégulière, les chauffeurs ne peuvent pas se permettre de se plaindre. Uber peut les déconnecter sans justification et, s’ils dénoncent ce système, ils risquent l’expulsion… J’ai rencontré des chauffeurs qui s’entassaient à 11 dans des petits appartements. Ils sont terrifiés. Donc, la situation est bien pire là-bas. Ce que je crains, en fait, c’est d’avoir vu en Californie ce qui nous attend ici. En France, Uber Eats exploite déjà des sans-papiers pour livrer des repas.

Ce voyage a-t-il rempli ses promesses ?

Oui et non. J’ai fait de belles rencontres, qui devraient permettre de renforcer la coopération internationale entre les chauffeurs. On prévoit d’ailleurs de revenir à San Francisco, avec des représentants des syndicats européens. La déception évidemment est que je n’ai pas pu rencontrer le patron d’Uber. Parce que ce projet remonte à il y a plus de deux ans maintenant.

La direction France m’avait alors invité à une réunion pour apaiser la situation, me promettre que l’entreprise avait changé. En toile de fond, il y a aussi le fait qu’Uber commence à avoir peur de la concurrence. Car quand nos mobilisations entachent sa réputation, Bolt gagne des parts de marché.

Moi, je suis arrivé avec mes revendications : la présomption de salariat, l’exigence de transparence des algorithmes et la régulation de l’utilisation des données personnelles des chauffeurs. Sauf que la direction France m’a répondu qu’elle n’avait aucun pouvoir de décision sur ces questions, car tout se passait à San Francisco. Mais elle s’était personnellement engagée à organiser une rencontre, si je me rendais au siège californien. Force est de constater qu’elle n’a pas tenu parole.

J’ai tout de même déposé la liste écrite et argumentée de nos revendications. Je suis retourné tous les jours devant le siège, j’ai déplié ma banderole qui dit, en anglais, « Ne laissez pas Uber faire la loi », signée des syndicats européens que je représentais. Au début, la sécurité me regardait d’un mauvais œil. Au bout de quatre jours, des policiers m’ont demandé de partir au prétexte que j’intimidais les salariés…

La période est aussi riche en mobilisations. Quelles sont vos principales revendication?

Oui, ce week-end, une centaine de chauffeurs ont même participé à une opération escargot à Lille, notamment en soutien à la grève des livreurs Uber Eats. On prépare aussi une grosse mobilisation le 14 décembre, nous avons déjà 7 000 personnes inscrites. Je suis même devenu étudiant en droit pour peaufiner nos revendications, en particulier ce que porte la directive européenne sur les travailleurs des plateformes : la présomption de salariat.

On mobilise aussi beaucoup sur la décision de la Mairie de Paris d’exclure les VTC du plan transports pour les JO, ce qui a vraiment mis les chauffeurs en colère. Le prétexte est qu’on ne serait pas une profession assez réglementée. Mais on ne demande que ça ! On voudrait même un numerus clausus pour garantir une certaine sécurité financière, ce qu’ont obtenu les VTC belges.

Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/chauffeurs-vtc/uber-a-san-francisco-jai-vu-ce-qui-nous-attendait-en-france

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