Été de tous les désastres : le gouvernement rate l’épreuve du feu. ( Mediapart – 12/08/22 )

La première ministre, Élisabeth Borne, visite un centre de pompiers près de Hostens (Gironde), le 11 août 2022. © Photo Philippe Lopez / Pool / AFP

Le début du second quinquennat Macron n’aura même pas fait illusion sur ses intentions écologiques. Depuis le début de cet été catastrophique – canicules, feux, sécheresse –, les ministres s’en tiennent à des déclarations superficielles, évitant de s’attaquer aux causes premières des dérèglements climatiques et de l’assèchement des sols.

Il aura donc fallu à peine un mois pour que les ambitions écologiques renouvelées lors du remaniement du gouvernement début juillet s’effondrent.

Les velléités de planifier la transition et de faire de la France une « grande nation écologique » semblent s’être écrasées sur le mur de la réalité climatique actuelle. Celle d’un monde qui est entré de plain-pied dans les dérèglements planétaires.

« L’écologie n’est ni de droite, ni de gauche. Nous allons nous efforcer d’incarner l’écologie de l’action, du concret et du quotidien », avait pourtant assuré dès sa nomination le 4 juillet le ministre de la transition écologique Christophe Béchu.

Une dizaine de jours plus tard, 20 000 hectares de forêts brûlaient en Gironde – soit deux fois la superficie de Paris – et plus de 35 000 personnes étaient évacuées. Le 18 juillet, une soixantaine de records locaux de températures sont tombés en France, avec par exemple 42,6 °C à Biscarrosse (Landes) ou 40,5 °C à Rennes (Ille-et-Vilaine).

Mais Christophe Béchu s’est cantonné à saluer le travail des sapeurs-pompiers et, en matière climatique, à des déclarations d’intention. « Les incendies en Gironde nous le rappellent : lutter contre le réchauffement climatique qui assèche nos sols et la végétation est une urgence », a-t-il asséné le 14 juillet. Ou encore, le 18 juillet, lors d’une visite en Ehpad : « Nous lutterons sans relâche contre le changement climatique et pour la protection des Français face à ses effets. »

Contre les mégafeux, le chantre de « l’écologie de l’action » s’est contenté, fin juillet, d’annoncer 300 000 euros supplémentaires à destination des campagnes de prévention sur les incendies.

Discours vagues

Depuis la reprise des feux en Gironde amorcée le 9 août, Christophe Béchu a vite été éclipsé, trois jours plus tard, par le déplacement sur zone, à Hostens, du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, et d’Élisabeth Borne.

Tout comme Béchu, la première ministre y a brillé par des propos sonnant creux face à ce désastre climatique, arguant que le gouvernement va « continuer à travailler sur le renforcement des moyens de la sécurité civile ».

Puis d’ajouter, sans nulle autre précision : « On doit réfléchir à la façon dont on doit replanter la forêt, aux espèces, à la façon de gérer la forêt demain […]Il faut que l’on continue à lutter plus que jamais contre le dérèglement climatique. »

La veille, le ministre de la transition écologique était demeuré tout aussi vague lors d’un entretien donné à Libération « Si on ne veut pas lutter chaque été contre ces phénomènes, nous devons nous organiser bien en amont, prendre les mesures et faire les travaux qui évitent que nos forêts s’enflamment. »

Face aux vagues de chaleur et aux catastrophes climatiques, il faudra attendre septembre pour savoir comment la France compte réduire drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre. Les ministres ont en effet répété en boucle que la rentrée sera marquée par la présentation de la « trajectoire globale en matière de transition écologique » du gouvernement pour diminuer nos émissions de 55 % d’ici à 2030.

En attendant, plus 50 000 hectares ont déjà brûlé en France. Et 2022 pourrait s’annoncer, après 1976, comme la deuxième pire année depuis que les incendies sont comptabilisés.

Sobriété individuelle

En parallèle, et alors que trois vagues de chaleur se sont déjà abattues sur la France depuis la mi-juin, la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a communiqué en grande pompe sur son plan de sobriété énergétique, annoncé aussi pour fin septembre. Il vise, d’ici à 2024, à réduire notre consommation d’énergie de 10 %.

Fin juillet, elle s’est félicitée de la signature de décrets sur la réduction de la publicité lumineuse et l’obligation pour les magasins climatisés de fermer leurs portes. Deux mesures sur lesquelles l’État a pourtant déjà légiféré en 2012 et au printemps dernier.

Ce qui ne l’a guère empêchée de clamer le 23 juillet : « La clim porte ouverte, ce n’est plus acceptable. »L’injonction à la sobriété a même été relayée par le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, qui a appelé« l’ensemble des Français » à« débrancher un maximum de prises électriques »et à « couper le wifi »durant leurs vacances.

« Malheureusement, la vision française de la sobriété se limite à sa dimension énergétiqueet ignore les autres composantes de la sobriété identifiées dans le rapport IIIdu Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [le GIEC – ndlr] »explique Yamina Saheb, une des auteurs et autrices du rapport du GIEC sur l’atténuation du changement climatique.

L’étude des expert·es de l’ONU définit les politiques de sobriété comme étant « un ensemble de mesures et de pratiques du quotidien qui évitent la demande en énergie, matériaux, sol et eau tout en assurant le bien-être pour tous dans les limites planétaires ».

« Réduire la sobriété aux changements de comportement des individus serait une erreur fatale, car les citoyens sont en vérité enfermés dans les solutions autorisées par les politiques publiques », poursuit Yamina Saheb.

Pour la chercheuse du GIEC, le passage à une semaine de quatre jours de travail – expérimentée en Espagne, en Allemagne ou en Belgique –, réduirait fortement les besoins en transports et en énergie des bâtiments. Au Royaume-Uni, une étude a encore montré l’an dernier que travailler un jour de moins par semaine d’ici à 2025 équivaudrait à retirer tout le parc automobile privé du pays.

De même, des mesures de quasi-gratuité des transports publics comme prises récemment dans de nombreux pays européens seraient un réel levier de sobriété énergétique pour réduire les 60 % de trajets domicile-travail qui se font en auto dans un rayon de moins de 5 kilomètres.

Le paroxysme de ce hiatus entre gravité de la situation climatique et non-politique de transition écologique a toutefois été atteint le 9 août dernier. Agnès Pannier-Runacher, Christophe Béchu et Clément Beaune, en charge des transports, ont salué de concert le fait que les applications GoogleMap, Waze ou Mappy devront afficher les quantités de gaz à effet de serre rejetés lors de chaque trajet en voiture. Ou comment élever la lutte climatique au rang de vulgaire option GPS.

Sécheresse partout, plan d’action nulle part

Sur le sujet de la sécheresse record que la France traverse depuis le début de l’été – la plus importante depuis le début des mesures de Météo France, en août 1958 – le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, est resté extrêmement discret. Alors que son secteur représente 45 % de l’eau consommée en France et que les conflits sur l’usage de l’eau pointent à l’horizon, il n’a quasiment pas pris la parole sur le sujet.

Sa dernière intervention date d’il y a une semaine : les 5 et 6 août, quand on a appris qu’une centaine de communes en France n’avaient plus accès à l’eau potable, il s’est déplacé avec Christophe Béchu au lac-barrage de Sainte-Croix, dans les Alpes de Haute-Provence, puis est allé parlé sur RTL et BFMTV. Depuis, plus rien. « L’important pour l’instant, c’est gérer la crise et gérer l’urgence »a-t-il dit alors.

Quand un journaliste lui demande si cette catastrophe aurait pu être évitée, Fesneau lui répond que « les choses avaient été anticipées » « Depuis février-mars, le barrage sur lequel on était a peu produit d’énergie, voyant que la pluviométrie avait été très faible cet hiver, pour garder des réserves pour pouvoir irriguer ou pour pouvoir assurer l’alimentation en eau potable. » C’est d’ailleurs ce qui s’est passé également un peu plus au nord pour le lac de Serre-Ponçon, à la limite avec les Hautes-Alpes, aujourd’hui quatorze mètres plus bas que son niveau habituel.

Mais n’y a-t-il pas d’autres choses à organiser afin de réduire la consommation d’eau de l’agriculture ? Limiter par exemple les cultures nécessitant de l’arrosage, comme le maïs ? Réduire l’élevage intensif, un système très dépensier de la ressource hydrique ? Encourager davantage, par le système des subventions publiques de la PAC (Politique agricole commune), les modes de production qui favorisent la rétention d’eau dans les sols et la reconstitution de haies, d’arbres, de bosquets afin d’atténuer le ruissellement ?

Rien de tout cela n’est apparu dans les rares prises de parole du ministre arrivé rue de Varenne en mai dernier, qui considère qu’« il est un peu tôt » pour parler des sujets de fond. « L’urgence absolue c’est d’assurer aux éleveurs la capacité à pouvoir continuer à exercer leur activité », a-t-il dit sur RTL, au vu des rendements exceptionnellement bas des foins cet été. « Puis viendra le temps de sédimenter, de regarder le coût de tout cela, et à ce moment-là on verra les indemnisations soit par les assurances, soit par les systèmes classiques. »

Indemnisation, donc. Mais évolution du système de production, point. Une fois de plus, la ligne du ministre ne diffère pas de celle de la présidente de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitant·es agricoles), Christiane Lambert, qui communique tous azimuts depuis quelques jours pour tenter de contrer les préoccupations qui montent dans la société vis-à-vis de la culture du maïs et des méga-bassines qui pompent dans les nappes phréatiques. « Il faut sauver le soldat agriculture, il est en danger aujourd’hui », a-t-elle dit sur BFMTV.

La présidente du premier syndicat agricole prend d’ailleurs soin de ne pas utiliser les mots qui fâchent. Elle ne parle plus de bassines, mais de « stockage d’eau d’hiver ». Sur le maïs, c’est très clair : « Bien sûr qu’on va continuer à produire du maïs », dit-elle, avant de déplacer le débat pour ne pas répondre sur le fond. « Est-ce que vous préférez qu’on arrête le maïs, et qu’on importe de la viande d’Amérique du Sud ? […] Est-ce que c’est bien sérieux en termes d’empreinte carbone ? »

Il existe des alternatives, pourtant. Le sorgho, notamment, pourrait remplacer le maïs. Cette céréale cultivée en Afrique a des racines très profondes qui lui permettent d’aller chercher l’eau loin dans le sol. « Lirrigation de certaines cultures céréalières ponctionne une grande quantité d’eau au moment le plus critique : l’été. Tout cela relève de choix : certains modes de culture sont soutenus pour leur rendement en répondant à un modèle productiviste insoutenable. Nous pouvons faire autrement », écrit France Nature Environnement dans un communiqué diffusé jeudi.

Pas sûr que les ministres soient mieux inspirés à leur retour de vacances.

Auteur : Mickaël Correia et Amélie Poinssot

Source : Été de tous les désastres : le gouvernement rate l’épreuve du feu | Mediapart

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