FNSEA : Le pas de trop ? ( GlobalMagazine – 01/04/23 )

D’abord, la présidente nationale d’un syndicat agricole, la FNSEA, appelant à dissoudre un mouvement citoyen – Les Soulèvements de la Terre – et remettant en cause l’existence syndicale de son concurrent – la Confédération paysanne. Ensuite, une section départementale de cette même FNSEA, demandant au préfet que la Confédération paysanne soit exclue de toutes les instances officielles et ne perçoivent plus de subventions publiques. Les deux faits sont stupéfiants et marquent une rupture historique dans l’histoire du syndicalisme agricole et dans la relation du syndicalisme à la politique.

L’appel à l’élimination de la Confédération paysanne s’est fait à la tribune du 77ème congrès de la FNSEA, le 30 mars à Angers. La lettre au préfet du Morbihan est datée du 31 mars. Le syndicat agricole majoritaire demande au gouvernement la suppression de son concurrent ! Un syndicat se sent assez fort, ou assez complice avec le pouvoir, pour dire sur un ton comminatoire à son ministre de tutelle ce qu’il a à faire (« Monsieur le ministre de l’Agriculture, sanctionnez ! »). Une telle erreur de rôle de la présidente de la FNSEA – et la faute politique qu’elle induit – révèle l’habitude de dicter hors micro la politique agricole au gouvernement. Le passage cavalier à l’affirmation ouverte, dictatoriale, s’explique peut-être par l’envie de se saisir du moment politique ouvert par le ministre de l’Intérieur et sa volonté de dissoudre non pas un parti mais un mouvement. La gageure darmaniesque a-telle induit une abolition des limites objectives du dialogue social en démocratie qui dessinent l’espace où les acteurs de différentes opinions peuvent débattre ? Cet espace politique surréaliste a-t-il eu raison de la raison d’un acteur social ? Ou sommes-nous devant un témoignage d’allégeance, une manifestation de servilité ajoutant du désir au désir du maître ? Ou d’une bouffée collective délirante, une verbalisation du rêve de se débarrasser du seul syndicat opposé fondamentalement au modèle agro-industriel de développement défendu bec et ongles par la FNSEA ?

Déni d’existence

Extraits de la lettre du 31 mars de la FDSEA 56 et de JA 56 au préfet du Morbihan

L’origine de la crispation est peut-être bien là. L’impossible reconnaissance de l’altérité. Le point névralgique où la douleur de la remise en cause fait préférer la rage, l’envie de mordre, la haine. Cette négation de l’Autre expliquerait les amalgames et le ton des propos liminaires de la FDSEA et des JA du Morbihan dans leur adresse au préfet. Allusions et sous-entendus puisés dans le registre populiste contre les militants et paysans de l’agroécologie.  Jamais balayer devant sa porte mais décharger ses poubelles dans la cour de l’Autre. C’est vieux comme la politique politicienne.

Nous sommes en présence d’un syndicat né à la Libération, abreuvé par l’idéologie agrarienne et corporatiste, n’ayant jamais rompu avec la mentalité du camp retranché de la campagne assiégée par la ville. Un syndicat qui a expulsé ou poussé à la rupture celles et ceux de ses membres qui pensaient autrement.

La Confédération paysanne vient de cette rupture. C’est une organisation agricole dont la philosophie est de faire avec la ville, avec les mangeurs. Elle est l’organisation paysanne qui dans sa pratique agronomique, dans ses engagements citoyens, conteste le bilan de la FNSEA, soit soixante ans  de cogestion de la politique agricole du pays que l’on résumera brièvement par l’élimination démographique des paysans qui flirte avec l’ethnocide rural; les dérives de la malbouffe; l’organisation segmentée, industrielle, de l’agriculture; les alertes sanitaires à répétition; la maltraitance animale; la destruction de l’autosuffisance alimentaire du pays; la financiarisation de l’agriculture, dont les impacts climatiques et écologiques sont aujourd’hui au centre des débats. Bilan auxquels s’ajoutent la misère matérielle et morale de nombre d’agriculteurs aujourd’hui désemparés et seuls face à l’ampleur des défis de la transition.

Aux yeux de la FNSEA, ces qualités de la Confédération paysanne et de beaucoup de paysans non syndiqués, ne leur donnent pas droit de faire partie du monde agricole. C’est le sens de ces déclarations délirantes. Un refus de reconnaître une vision alternative de la sienne. Aussi, quand la FNSEA vante sa capacité à faire des compromis, cela se résume chez elle   à s’arranger avec ceux qui sont de son avis.

Peur, haine, négation de la réalité

Un aveu de peur qui, mauvaise conseillère comme chacun sait, pousse à se saisir du langage des autres pour le vider de son sens. Ainsi du concept de « souveraineté alimentaire », emprunté à l’internationale paysanne Via Campesina dont est membre la Confédération paysanne mais pas la FNSEA. Comment s’en revendiquer sans verser dans la schizophrénie quand en même temps on focalise ses efforts sur l’agriculture d’exportation destructrice de la souveraineté des agricultures des pays importateurs ? Ou sur la défense de l’élevage intensif français et européen qui, d’une part se nourrit de la déforestation amazonienne au détriment de la souveraineté alimentaire sud-américaine, d’autre part est dénoncé par les scientifiques pour ses impacts climatiques et environnementaux ?

Est-ce la peur ou la haine qui fait surgir la vulgarité et la médiocrité intellectuelle à traiter de « ventre plein » les partisans de l’agriculture vivrière et à réduire les positions des paysans agro-écologistes à une expression de l’égoïsme ? À déconsidérer les militants de la décroissance ? Être décroissant n’est ni un crime, ni une honte, et, en démocratie, c’est une opinion qui mérite d’être entendue au même titre que celle de la FNSEA.

Est-ce la peur ou la haine qui fait écrire une idiotie du genre « une réserve d’eau quelle que soit sa taille n’est pas de l’accaparement » en faisant le silence sur le mode de remplissage, sur l’usage, sur le contexte environnemental ? Ou là encore l’aveu pathétique de ne pas vouloir partager l’espace naturel avec le reste de la société, de s’en vouloir les seuls maîtres au prétexte d’y labourer ?

Est-ce la peur, et le vertige qui la suit, d’avouer et de s’avouer son ignorance de la biologie des sols, des cycles du carbone et de l’eau, bref de la vie des écosystèmes qu’elle exploite, qui pousse la FNSEA à refuser d’admettre qu’elle est arrivée au bout de son savoir-faire qui se résume au cocktail biologiquement délétère de la chimie, des biotechnologies et des machines ? Un refus des vérités scientifiques qui l’empêche de répondre avec honnêteté et enthousiasme aux défis du réchauffement climatique et de la chute de la biodiversité. Par son coût carbone et ses atteintes écologiques et sanitaires, un entêtement nuisible à l’ensemble de la société. Le syndicat qui prétend nourrir l’humanité attente ainsi à la Terre entière.

Malhonnêteté ou inculture ?

Est-ce de la malhonnêteté intellectuelle ou de l’inculture historique qui « au nom des droits et des devoirs » font la FNSEA s’horrifier sur « la violence insupportable et inadmissible contre les forces de l’ordre et les agriculteurs » en passant sous silence un demi-siècle de manifestations violentes de la FNSEA, blessant des forces de l’ordre et détruisant des biens publics, la plupart du temps sans poursuite judiciaire ? Je ne résiste pas à un bref et très incomplet rappel des exactions contre les biens publics et les atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique.

–        1961 : les manifestants des Fdsea de Bretagne prennent d’assaut la sous-préfecture de Morlaix et la mettent à sac.

–        De 1962 à 1971, 135 manifestations violentes de la FNSEA.

–        Trois exemples, rapportés par Nathalie Duclos dans la revue Cultures et Conflits n°209 :

2 octobre 1967 à Quimper. “En quelques minutes seulement, un commando fortement organisé, défonçait la porte d’entrée du local d’un député UNR. Les agriculteurs procédèrent à une véritable mise à sac, brisant les meubles, les jetant dans la rue…(Puis, ils) avancent vers la préfecture d’où sortent des CRS, qui chargent (..). On détruit des bancs, on abat les poteaux de signalisation, une DS brûle. Les manifestants mettent le feu au mobilier de la maison d’un gardien de la préfecture. Deux motos de la gendarmerie mobile sont incendiées (Arrivent les sapeurs-pompiers). Des manifestants assaillent la voiture, cassent les vitres, coupent les tuyaux, crèvent les pneus, malmènent les sapeurs-pompiers. La seconde voiture n’aura pas meilleur sort (..) Survient un camion de militaires. Le véhicule est cerné, les vitres cassées, les bâches déchirées. Les militaires sont arrachés de leurs sièges (..)” Au terme de ces affrontements, qui durèrent plusieurs heures, on dénombrera 179 blessés parmi les forces de l’ordre, dont 10 hospitalisés, l’un d’eux souffrant d’une fracture du crâne. Côté manifestants, on relèvera 80 blessés, dont 18 hospitalisés, l’un d’eux ayant également un traumatisme crânien.

17 juillet 1974. “Armés de barres de fer, des agriculteurs ont forcé les grilles d’un abattoir de Vannes et ont pénétré à l’intérieur des bâtiments, où ils ont découpé, scié et enlevé des carcasses d’animaux et arrosé de fuel les autres, soit 120 tonnes de viande. Puis des feux ont été allumés devant les grilles de la préfecture pour y brûler les carcasses. Des pierres, boulons et autres projectiles ont brisé fenêtres et vitres de la préfecture. Des manifestants ont également cassé, à l’aide de barres de fer, les parcmètres de la place. Après dispersion certains agriculteurs se sont rendus dans l’exploitation d’un éleveur-expéditeur, ont saccagé son étable, après que les bêtes aient été détachées. D’autres ont déposé un mouton mort dans la propriété de M. Grimaud, député-maire”.

22 avril 1983. “Les manifestants attaquent la prison de Quimper (..) Poursuivis par les CRS, ils déferlent dans la ville. Armés de barres de fer, ils arrachent des panneaux de signalisation, des corbeilles à papier, des feux tricolores. Puis c’est l’accalmie. (..) Revenant de la manifestation, une centaine d’agriculteurs ont envahi la sous-préfecture de Châteaulin. Deux gendarmes qui tentaient de raisonner des manifestants furent violemment pris à partie et ont dû être hospitalisés. Leur voiture a été jetée dans un canal. Les agriculteurs ont pénétré dans la sous-préfecture, après avoir brisé le rideau métallique du garage et la porte d’entrée à l’aide de barres à mine et de masses. Ils ont mis à sac plusieurs bureaux et incendié des dossiers”.

–        En 1982, une manifestation de la FNSEA séquestre dans une ferme du Calvados la ministre de l’Agriculture, Édith Cresson, la conspue de remarques sexistes, lui jette des mottes de terre et des œufs pourris jusqu’à son évacuation en hélicoptère.

–        En 1999, des militants de la FNSEA envahissent le ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement et dévastent le bureau de la ministre de l’époque, Dominique Voynet

–        En 2004, les légumiers de la FNSEA forcent l’hôtel des impôts de Morlaix et détruisent mobilier et ordinateurs (60 000 euros de dégâts) et un policier est grièvement blessé à la tête.

–        En 2013, la section départementale de la FNSEA attaque le siège du Parc national du Morvan : creusement de tranchées, épandage de fumier, déversement de lisier, feux de pneus et de paille. Les militants départementaux sont des Bonnets rouges qui démontent les « portiques écotaxe ».

–        En 2014, la FDSEA Île-de-France bloque des axes routiers autour de Paris. Blocage marqué par deux accidents de la route, dont un mortel.

–        En 2015, saccages en série lors de la « nuit de l’élevage en détresse ». Près de Saint-Brieuc, les manifestants ont arraisonné et vidé un camion de charcuterie espagnole. À Quimper, un Lidl est saccagé et un feu allumé près d’une laiterie. A Rennes, des bennes sont déversées devant la préfecture.

“Nuit de l’élevage en détresse”, Saint Brieuc 2015 ©DR

–        Février 2023, la FDSEA 31 déverse des tonnes de fumier et des vieux pneus devant la Maison de l’environnement de Midi-Pyrénées à Toulouse.

Alors quand la présidente de la FNSEA parle d’une « clique d’irresponsables politiques » on s’interroge si c’est une part d’autocritique tardive ou une perte de mémoire gravissime nuisant à ses responsabilités européennes.

Arrêter les dégâts !

Au chapitre de la responsabilité, est-ce de la filouterie ou de l’irresponsabilité citoyenne d’encaisser les milliards annuels d’argent public allant à l’exercice agricole sans en accepter les conditions d’usage, de choix de développement réclamées par la société et la science ?

Au terme de ce court rappel de la trajectoire du « syndicat majoritaire » représentant un quart de la population agricole mais prétendant en représenter la totalité et surtout imposer au pays sa vision de l’agriculture, en regard de la disparition de plus de deux millions de fermes, de la désertification rurale, de l’atteinte à l’autosuffisance alimentaire du pays, de l’utilisation massive des pesticides avec leurs conséquences sanitaires, des pressions politiques suivies d’effets pour rétablir l’usage de ces poisons (cf. la déclaration scandaleuse du ministre de l’Agriculture remettant en cause l’autorité scientifique de l’ANSES), de la pollution des sols, de l’eau et de l’air, de la diminution de la biodiversité domestique et sauvage, des 20% d’émissions de gaz à effet de serre altérant la qualité de vie des générations à venir, ne serait-il pas judicieux de dissoudre la FNSEA pour enfin sortir du déni de ses errements et mettre la campagne et la ville au travail de la transition écologique ?

Auteur : Gilles Luneau

Source : Le pas de trop ? | GLOBAL magazine

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