François Ruffin : “Vous faites pitié.”

Vous faites pitié. Après le tunnel de la crise Covid, de la guerre en Ukraine, des factures qui bondissent, quelle lumière allumez-vous pour les Français ? Aucune. Juste cette petite chose, banale, mesquine : une réforme des retraites. Quelle médiocrité ! Vous faites pitié.

Vous faites pitié.

Oui, Monsieur le ministre, mesdames et messieurs les députés, et Monsieur le président ici absent, vous faites pitié. Voilà le sentiment que vous m’inspirez.

Notre pays vient de traverser la crise Covid, nous en sortons usés, fatigués, exaspérés. Derrière, nous plongeons dans la guerre en Ukraine, avec l’essence à plus de 2 €, avec les factures d’énergie qui bondissent. Dans ce tunnel, quelle lumière allumez-vous pour les Français ? Aucune.

Quelle espérance ? Quel projet ? Quel désir d’avenir ? Rien. Rien. Juste cette petite chose, banale, mesquine : une réforme des retraites.

Quelle médiocrité !

Vous faites pitié.

A l’Elysée, Emmanuel Macron vante – je cite – « sa grande ambition réformatrice ». Quelle magnifique ambition, en effet ! C’est très concret.

Ce jeudi, j’étais à Dieppe, et j’y ai retrouvé Véronique, une auxiliaire de vie. Elle a 61 ans, et à force de porter des personnes âgées, elle souffre d’une hernie. Elle suit des tas de traitements, avec des aiguilles, des cachets, de l’ostéopathie. Elle aime son métier, mais il est devenu pour elle une quotidienne douleur. Nous avons fait la simulation sur mon ordinateur : elle prend quinze mois, à cause de ses trois enfants et de sa carrière hachée, elle prend quinze mois. A toutes les Véronique qui ont tenu le pays debout, aux infirmières, aux caissières, aux manutentionnaires, à cette France qui se lève tôt et qui va au boulot, qu’offrez-vous ? Deux ans. Deux ans ferme.

Formidable ambition ! Vous faites pitié.

Que serait, aujourd’hui, que serait une véritable ambition réformatrice ? L’hôpital, pilier de l’Etat social, est en lambeaux. L’école, pilier de la République, recrute ses hussards noirs en job-dating. Qu’on les remette sur pied, l’un et l’autre, voilà une véritable ambition réformatrice.

Pour nos réacteurs, on manque de soudeurs, on fait appel à des Canadiens, des Américains. Et nos trains, les TER comme les RER, n’arrivent plus à l’heure faute de conducteurs. Qu’on les remette sur pied, voilà une véritable ambition réformatrice.

Mais surtout.
La France, comme l’Humanité, doit affronter son plus terrible défi : le choc climatique. Il nous faut bouleverser notre agriculture, nos logements, notre industrie, nos déplacements… Voilà qui réclame une véritable ambition réformatrice ! Et pour réussir ce pari prodigieux, périlleux, nous devons réunir, rassembler, canaliser toutes les énergies du pays, tous les capitaux, toute la main-d’œuvre, tous les savoir-faire, toutes les intelligences… Mais à la place, que faites-vous ? Vous bloquez le pays, vous l’embourbez. Et tout ça pour quoi ? Pour économiser 0,1 point de PIB ! Voilà votre priorité ! Vous êtes dérisoires.

Et dire que Gérald Darmanin espère, avec ça, entrer dans l’histoire ! Je le cite : « Nous ne travaillons pas pour le journal, mais pour le livre. » Parce qu’Edouard Balladur est entré dans les livres d’histoire, vous trouvez ?
Ou François Fillon, ses costumes exceptés ?

Vous faites pitié.

Vous prétendez entrer dans les livres d’histoire, vous ne resterez même pas dans les livres de comptabilité. Ou alors, comme des naufrages financiers. Car en vérité, malgré vos mines sérieuses, vous ruinez le pays ! 169 milliards ! Voilà notre déficit commercial, qui bat tous les records, 169 milliards, du jamais vu, ce n’est plus un trou, c’est un gouffre, gigantesque, 169 milliards, c’est le prix de notre dépendance géante à la Chine, à l’Arabie. Résorber cette hémorragie, recouvrer notre indépendance, voilà qui serait une véritable ambition réformatrice.

Mais non, à la place, nous avons droit à votre chipotage, votre bricolage, sur les index séniors et les comptes de pénibilité. Vous êtes pénibles.

C’est Monsieur Bruno Thatcher qui le répétait ce matin, je cite : « Il n’y a pas d’alternative crédible à la réforme ». Pas d’alternative vraiment ?

Le jour où vous présentiez votre réforme des retraites, le même jour, le 10 janvier, le journal patronal les Echos titrait : « Dividendes records pour le CAC 40 en 2022 : 80 milliards d’euros », du jamais vu, jamais connu, là encore, record de tous les temps. Et les deux tiers de ces dividendes, deux tiers de ces 80 milliards, ne vont pas au 10% les plus riches, ne vont pas aux 1% les plus riches, mais aux 0,1% les plus riches. A eux, vous ne toucherez pas. Mais vous toucherez à Maryvonne, femmes de ménage, des bandages aux poignets, et qui prend deux ans de plus.

« Au service de qui êtes-vous ? » C’est le syndicat des cadres qui vous a interpelé ainsi, en Commission. Je le cite : « Entre 1997 et 2019, la part revenant aux salariés dans la valeur ajoutée a baissé de 59 à 55 % :
moins 4 points. Pendant que la part revenant aux actionnaires a triplé, passant de 5% à 15 %. » Et le syndicat des cadres, encore et toujours, vous interrogeait : « Votre politique, vous la menez pour qui ? Pour les salariés français, ou pour les fonds de pension anglo-saxons ? »

Vous faites pitié.

Vous dirigez la France, notre France, avec ses siècles d’histoire, avec ses cathédrales et ses Révolutions… Mais vous la dirigez avec vos petites mesures, vos petits calculs, votre petite politique… Avec votre petitesse, vous enlisez la Nation dans la boue du dégoût… Mais où est la grandeur ?

Elle demeure dehors. Elle est chez les citoyens, les citoyennes, qui soignent et qui enseignent, qui conduisent et qui construisent. La grandeur, elle est chez les travailleuses, les travailleurs, qui maintiennent encore le pays debout, malgré vous. Elle est chez ces Français qui ne réclament que décence et bon sens, qui nous disent : « Nous voulons vivre de notre travail. Notre travail présent, le salaire. Notre travail passé, la retraite. » La grandeur, elle est chez ces gens qui ne sont rien, mais qui font tout, et qu’aujourd’hui comme hier vous négligez, vous méprisez, vous écrasez.

Vous faites pitié.

Vous faites pitié, mais vous êtes des dangers. Oui, quand tous les syndicats unis vous disent « non », quand sept Français sur dix vous disent « non », quand neuf salariés sur dix vous disent « non », quand des manifestations à un, deux, trois millions, vous disent « non », quand même des patrons, des patrons de l’hôtellerie, des patrons du bâtiment, des artisans, vous disent « non », quand ils vous disent « c’est une bêtise », quand vous forcez malgré l’opinion, quand vous passez sur le corps social, vous êtes un danger pour le pays, pour sa démocratie. Oui, vous êtes des extrémistes. Oui, vous faites un mal immense à notre France, à une France divisée en trois blocs, on le voit ici, à une France qu’il faudrait réparer, soigner, ressouder, et qu’à l’inverse vous brutalisez, vous déchirez sur des peccadilles, sur des broutilles.

Vous n’entrerez dans aucun livre, dans aucune histoire, parce que vous êtes déjà inexistants au présent. Qui se souvient d’Heinrich Brüning ? Qui, ici ? Qui se souvient de Camille Chautemps ? Qui, ici ? Personne. Personne. (Vous irez regarder sur Wikipédia.) Pour le pire ou pour le meilleur, on ne se souvient que de leurs successeurs.

Bientôt, vous serez balayés, emportés par une histoire redevenue tragique, par une histoire qui va basculer dans le cauchemar ou dans l’espoir.

Nous sommes là, nous, pour que l’histoire bascule vers l’espoir, la lumière au bout du tunnel, c’est à nous de la rallumer. C’est à nous de conjuguer l’effort, oui, l’effort pour relever le pays, pour relever un pays que depuis quarante ans vous rétrécissez, que vous découragez, nous sommes là pour conjuguer cet effort avec le réconfort, la joie qui vient après la peine.

Nous sommes là pour renouer avec l’histoire, la grande histoire du mouvement ouvrier. Quelle est-elle ? C’est à la fois la fierté du travail, la dignité par le travail, gagner sa vie en travaillant, et en même temps, libérer du temps hors-travail. C’est la fin du travail des enfants, et nous avions déjà les mêmes, alors, vos ancêtres, qui criaient à la paresse, à la compétitivité. C’est le congé maternité. C’est le dimanche chômé. C’est le samedi à l’anglaise. Ce sont les congés payés. C’est la retraite, cette « nouvelle étape de la vie ». Et c’est enfin, en 1982, la retraite à 60 ans…

A cette époque, en 1982, quand on interroge les Français, quand on leur demande, à votre avis que va-t-il advenir avec les retraites ? Eux pensent, à une vaste majorité, que la retraite sera bientôt à 55 ans. Pourquoi ?
Parce que c’était le sens de l’histoire. Et c’est avec cette histoire que nous devons renouer. Une histoire où le travail, le travail nécessaire, le travail qui émancipe, où le travail se marie avec le droit au repos, le droit aux loisirs, le droit à l’oisiveté, que travail et repos se mêlent, s’épousent, pour accoucher d’un bel enfant : le bonheur.

C’était le premier jour de retraite, mercredi dernier, pour Jean-Marc. Qu’a-t-il fait ? Il s’est rendu au ping-pong, où le président du club l’a aussitôt harponné, pour qu’il devienne formateur, pour qu’il encadre les jeunes. Et il a rejoint le club de randonnée, quatorze kilomètres, ouf, c’était dur pour une première, il a souffert.

Eh bien voilà le bonheur. Le bonheur de s’inscrire pour une rando. Le bonheur de traverser la France à vélo. Le bonheur de préparer un gâteau au chocolat.
Le bonheur de prendre des cours de zumba. Le bonheur d’emmener sa petite-fille à la gym. Le bonheur de n’être pas usé, épuisé, essoré par le travail, mais d’avoir encore de belles années, de belles journées, en pleine santé, pour en profiter. Le bonheur.

Le bonheur qui, à entendre tous vos discours racornis, vieillis, tristes et sinistres, le bonheur qui demeure une idée neuve ici.

Vous faites pitié.

Auteur : François Ruffin

Source : Vous faites pitié (francoisruffin.fr)

Un commentaire

  1. Merci M Ruffin. Ils portent atteinte à notre santé physique et mentale. Je coupe le son dès que j’entends leur voix et leurs argumentaires pourris, parce qu’ils insultent notre intelligence et notre joie de vivre. Et je suis et je serai dans la rue avec ma pancarte, bien sûr.

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