Frédéric Farah : “Au lieu d’une absurde réforme de l’assurance-chômage, il faut améliorer salaires et conditions de travail” ( Marianne – 27/07/22 )

Olivier Dussopt a annoncé une nouvelle réforme de l’assurance-chômage à la rentrée.
PHOTOPQR/LE PARISIEN/MAXPPP

Dès la rentrée, le gouvernement entend poursuivre sa réforme de l’assurance-chômage en modulant les indemnités versées en fonction de la conjoncture économique. L’objectif affiché est de parvenir au plein-emploi. « Le gouvernement va soumettre des individus qui sont en situation de grande précarité à des calculs plus ou moins savants », dénonce l’économiste Frédéric Farah.

Comme annoncé par Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle, le gouvernement entend relancer la décriée réforme de l’assurance-chômage. Dès 2019, un premier pan a instauré un allongement de la durée nécessaire de travail pour être indemnisé, et de nouvelles règles qui tendent à réduire le montant des indemnités versées. Par la voix d’Olivier Dussopt, le ministre du Travail, le gouvernement explique vouloir prolonger ces mesures controversées et faire dépendre le montant des indemnisations en fonction de la situation économique.

L’objectif serait d’atteindre le « plein-emploi » en 2027, en remettant en route une réforme de l’assurance-chômage à la rentrée. En clair, si la conjoncture économique est jugée favorable, les règles seront durcies, et inversement si la situation semble se détériorer. Un projet inspiré du Canada, explique Olivier Dussopt, dans le Parisien ce mercredi 27 juillet. Cette idée est jugée « absurde » par l’économiste Frédéric Farah, qui plaide au contraire pour améliorer les conditions de travail et de revenus pour lutter contre le chômage. Entretien.

Marianne : Le gouvernement semble décidé à poursuivre sa réforme de l’assurance-chômage, en considérant qu’une modulation des indemnités en fonction de la conjoncture économique permettra de parvenir au plein-emploi, en comblant les difficultés de certains employeurs à recruter. Ce raisonnement vous paraît-il efficace ?

Frédéric Farah : Non et pour plusieurs raisons. D’abord, le gouvernement joue sur une amnésie. Entre 1992 et 2001,il y a déjà eu un dispositif semblable, qui s’appelait l’allocation unique dégressive, qui reposait déjà sur l’idée que les chômeurs choisissaient les loisirs plutôt que le travail. Mais des études ont montré que les résultats de cette allocation n’étaient pas probants du tout. Et le gouvernement socialiste a fini par la supprimer en 2001.

Ensuite, ce projet de réforme repose sur un raisonnement extrêmement simpliste. Le problème du chômage serait une affaire d’offre et de demande. Comme si un métallo qui a été licencié à Florange peut se transformer en webmaster. C’est absurde.

Il y a enfin une autre raison plus technique. Sur le papier, le projet du gouvernement a l’air très simple. Mais comment va-t-on déterminer quels sont les signes qui nous prouvent que la reprise est durable ? Que les instruments de mesure sont les bons ? La réalité c’est que le gouvernement va soumettre des individus qui sont en situation de grande précarité à des calculs plus ou moins savants.

Ce qui est extrêmement périlleux dans une période aussi incertaine que la nôtre. Au contraire, l’allocation-chômage a été créée en 1958 en considérant qu’il fallait laisser un délai d’indemnisation important dans le temps pour que l’individu trouve un travail qui soit digne et dans lequel il s’inscrive dans la durée.

Au fond, ce projet de réforme ne vous semble-t-il pas justifié par l’idée de faire des économies alors que le système de l’assurance-chômage est grevé d’une dette importante qui devrait s’établir à 63,2 milliards d’euros à la fin 2022 ?

L’Union Européenne attend des économies, Ursula von der Leyen a d’ailleurs félicité la France pour la première partie de la réforme. Il s’agit encore de faire des économies sur le dos des plus vulnérables, sur le fondement d’une idéologie fausse et ancienne.

Au moment où l’inflation revient à un niveau inédit depuis les années 1980, on risque de faire peser le poids sur des chômeurs, alors que la hausse des prix concerne particulièrement des dépenses très importantes dans leur budget : l’énergie et l’alimentation. On est face à un problème économique de répartition de la charge de l’inflation, et clairement de lutte des classes.

Une récente étude de la Dares (Direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques) montre que les bas salaires et les mauvaises conditions de travail sont la principale cause des problèmes de recrutement dans les secteurs en tension. Serait-il préférable d’agir vers ces leviers pour lutter contre le chômage ?

C’est certain. Le chômage n’est pas une affaire individuelle, c’est une question de forces productives, et donc de conditions de travail et de rémunération. Il faut d’ailleurs noter que la première réforme de l’assurance-chômage assèche les travaux épisodiques et saisonniers qui sont en tension. Les travailleurs rechignent à aller vers ces emplois temporaires puisqu’ils risquent de ne pas pouvoir leur ouvrir des droits au chômage. Il semble nécessaire d’engager des négociations dans les branches professionnelles, et notamment dans les secteurs en tension pour que les salariés obtiennent des revalorisations. Il faut arrêter de raisonner en termes de compression et changer de logiciel.

Aujourd’hui, il est essentiel d’augmenter le Smic mais pas seulement. Il faut à tout prix éviter une « smicardisation » de la société. Il y a toute une série d’entreprises dont les taux de marge n’ont jamais été aussi élevés. Ces marges doivent fondre pour être distribuées aux salariés. Si on observe de-ci de-là des augmentations sporadiques, elles sont souvent bien loin de compenser l’inflation qui est évaluée autour de 6 %. Avec le retour de l’inflation, un accord tacite a volé en éclat. Il y avait auparavant une faible inflation et donc des salaires qui augmentaient peu. C’est fini.

Comment faire pour que les salariés ne se trouvent pas dans une position défavorable au moment de négocier ?

Il appartient à l’État de jouer un rôle d’arbitre pour que les individus ne voient pas leur condition se dégrader. Mais on se trouve dans un cadre économique volontairement contraint, avec des outils qui ont disparu. Certains mériteraient d’être réactualisés, comme les conférences de revenus qui réunissaient les partenaires sociaux et l’État.

Source : “Au lieu d’une absurde réforme de l’assurance-chômage, il faut améliorer salaires et conditions de travail” (marianne.net)

Par Pierre Lann

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