Grand oral d’Élisabeth Borne sur France 2 : cinq mensonges en cinq minutes (Charlie Hebdo, 03/02/2023)

Déficit, économie, démographie : hier soir, Elisabeth Borne a eu tout faux, tout à son souci d’alimenter des peurs infondées afin de justifier sa réforme. Une drôle de conception de la « responsabilité ».

Un système aujourd’hui en déséquilibre, ah bon ?

Élisabeth Borne : « J’entends ceux qui nous disent : « c’est pas le moment ». Mais le déséquilibre de notre système de retraites, il est là, l’avenir de notre système de retraite, il est maintenant. »

Faux : le système est en excédent cette année. Pierre-Louis Bras, le président du Conseil d’orientation des retraites, l’a dit : « Les dépenses de retraite ne dérapent pas, elles sont relativement maîtrisées ». À l’inverse, à l’automne dernier, le gouvernement a fait adopter « en responsabilité », comme le disait à l’époque la Première ministre, un budget de l’État en déficit de 160 milliards d’euros pour la seule année 2023 !

Un problème démographique ? Pitié…

Élisabeth Borne : « Pourquoi les recettes ne sont pas là ? Parce qu’il y a une réalité démographique dans notre pays. Dans les années 1970, il y avait 3 actifs pour financer la pension d’un retraité. Dans les années 2000, il y avait 2 personnes par pensionné. Aujourd’hui, on est à 1,7 et demain on va avoir moins d’actifs pour payer les pensions des retraités ».

Ces chiffres sont exacts (heureusement, hein). Mais, contrairement à ce que souhaite la Première ministre, sa démonstration montre que le problème n’est justement pas démographique. Nous avons réussi à verser les retraites alors que le ratio entre jeunes et vieux s’est en effet effondré.

C’est une réussite incroyable ! Comment ? D’abord, en augmentant fortement les cotisations et aussi, un peu, grâce à l’allongement de la durée de cotisation. Second problème pour son argumentaire : à l’avenir, puisque le papy-boom de 1945 est derrière nous, le ratio actifs/retraités ne va plus beaucoup baisser, pour passer de 1,7 à 1,2 puis se stabiliser à ce niveau. Il n’y a donc aucun effondrement démographique à venir, contrairement à ce qu’Élisabeth Borne veut nous faire croire.

Une opposition sans proposition ? Euh…

[À propos du débat au Parlement] Élisabeth Borne : « J’entends que tout le monde n’est pas dans le débat. On [la Nupes] n’est pas non plus en train de dire aux Français ce que l’on propose comme alternative ».

C’est tout de même très faux de dire cela. Certes, Élisabeth Borne a raison de railler les milliers d’amendements déposés par la France Insoumise, méthode puérile qui ne grandit personne. Mais, ainsi que la presse s’en est fait l’écho depuis des mois, la majorité s’est justement caractérisée par sa fermeture et son refus de toute réelle concertation, jusqu’à s’aliéner la CFDT, ce qui est quand même très fort.

Enfin, de nombreuses personnes, y compris des élus de droite, ont souligné que le gouvernement ne propose aucune solution sérieuse au faible emploi des plus de 50 ans, qui est, de l’avis de tous, la principale hypothèque sur l’avenir de notre protection sociale.

Sans réforme, demain, une hausse du chômage ?

Élisabeth Borne : « Ma responsabilité, c’est de dire la vérité. La vérité est que si on ne fait rien, cela veut dire que l’on sera amené demain à baisser les pensions, à augmenter massivement les impôts, les cotisations, à casser la dynamique de créations d’emplois dans le pays, donc c’est baisser le pouvoir d’achat et augmenter le chômage. »

Cette tirade de la Première ministre me rend très triste. Comment une femme aussi sérieuse peut-elle mentir à ce point ? Un : il y a mille façons d’éviter une baisse future des pensions. Deux : dans aucun scénario il n’y a pas de hausse « massive » des impôts de prévu. Trois : il est malhonnête de sa part de confondre les impôts, destinés au budget de l’État, et donc pas concernés par les retraites, et les cotisations sociales. Si elle recourt à ce terme, c’est, à l’image de la pire droite conservatrice américaine, en espérant que cela va attiser le sentiment anti-impôts, déjà dramatiquement élevé dans le pays.

Quatre : si elle veut lutter contre le chômage, qu’attend-elle pour créer les centaines de milliers d’emplois manquants dans l’écologie, la santé et l’éducation ? Cinq : ici, Élisabeth Borne alimente sciemment la peur du lendemain, au lieu de nous rassurer sur l’avenir de nos retraites. Je vous laisse deviner à quel parti cela profite.

Covid, Ukraine, climat ? Pas grave, on fonce tête baissée ?

– Question de Caroline Roux : « Ils sont fatigués les Français, est-ce que vous le sentez ? »

– Élisabeth Borne : « Bien sûr que nous avons traversé une crise Covid qui a été difficile, durant laquelle nous avons accompagné les Français, les entreprises. Bien sûr que la guerre en Ukraine a un impact sur nos vies. Bien sûr que la crise climatique elle est là, et on l’a vu l’été dernier. Mais nous avons un bien précieux, le système de retraite par répartition, qui est très précieux, et dont on doit assurer l’avenir. »

Autrement dit : le pays va très mal, ainsi que ne cessent de le hurler les professionnels de la santé mentale depuis des mois. Mais je mène quand même une réforme inutile sur le plan financier, injuste sur le plan social, dont je sais qu’elle va entraîner de grandes inquiétudes chez les plus fragiles, et des protestations massives durant des semaines.

Et ce alors que, par ailleurs, je laisse s’effondrer les services publics tout en faisant s’envoler la dette publique par mes cadeaux aux riches et aux entreprises. Mais cette dette-là, la Première ministre la trouve trop bien – alors que le seul paiement des intérêts nous a coûté 40 milliards l’an dernier, soit le budget du ministère de la Défense nationale.

Par ailleurs, comment parler de « crise Covid » sans évoquer les 160 000 personnes décédées, les étudiants à l’avenir brisé, les personnes qui n’ont pu enterrer leurs parents ou enfants emportés par la pandémie ? La même chose vaut à propos de la guerre en Europe et du climat. La froideur qu’a dégagée Élisabeth Borne au moment où elle a balayé ces sujets, secondaires à ses yeux face au pathétique épouvantail du tout petit déficit financier futur du système de retraites, m’a glacé le sang.

Source: https://charliehebdo.fr/2023/02/economie/elisabeth-borne-france-2-mensonges-reforme-retraites-jacques-littauer/?utm_source=sendinblue&utm_campaign=NEWS%20QUOT%20-%20LARTICLE%20WEB%20-%20030223%20-%20ABONNES&utm_medium=email

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