Grève chez un géant du nettoyage : «Il existe une forme d’esclavagisme moderne» (reporterre-10/11/23)

Khadija, déléguée syndicale au sein d’Onet. Depuis le 13 septembre, une quarantaine de femmes de ménage sont en grève. – © David Richard / Reporterre

Cadences infernales, bas salaires… À Montpellier, les salariées d’Onet, géant du nettoyage, sont en grève depuis 2 mois. Pour elles, « le mépris, ça suffit ».

Par Lorène LAVOCAT et David RICHARD (photographies)

Montpellier (Hérault), reportage

Devant l’entrée de l’hôpital, les ambulances se faufilent entre les drapeaux rouges de la CGT. Là, une petite troupe se serre autour d’un thermos de café chaud. Certaines ont les traits tirés. « Ça va faire soixante jours qu’on est en grève, ça commence à se sentir », glisse Fatima. Depuis le 13 septembre, une quarantaine de femmes de ménage d’Onet – numéro 1 de la propreté en France – ont cessé leur activité. « On veut juste pouvoir vivre dignement de notre travail », explique Claire.

À ses côtés, Agnès opine du chef. 25 ans dans le métier, dont 14 ans au sein d’Onet. « On se lève tous les jours à 4 h 30 du matin, on enchaîne les bureaux à nettoyer dans les hôpitaux, sans pouvoir prendre de pause, tout ça pour 900 euros par mois, décrit-elle. Je vieillis, j’ai les genoux qui ne tiennent plus, et on nous en demande sans cesse plus ! » Autour de la table de pique-nique, plusieurs grévistes acquiescent : mal de dos, douleur aux poignets. « Il y a pas mal d’arrêts maladies et d’accidents du travail », note Fatima.

Exposition à des substances cancérogènes

Travail de nuit, gestes répétitifs… D’après un rapport sénatorial paru cet été, « les répercussions du travail sur la santé des femmes sont encore largement méconnues et minimisées ». Les professionnelles du nettoyage sont notamment exposées, via les produits d’entretien, à sept agents cancérogènes en moyenne. Ces métiers pénibles et usants ne sont pas non plus reconnus. Comme les autres activités du care (le soin), qui sont « depuis toujours méprisées, car associées à des activités féminines et domestiques », rappelait la chercheuse Sandra Laugier en 2020. Avant « ce travail était fourni gratuitement. À présent, il s’est professionnalisé, mais il reste sous-valorisé, par rapport à d’autres activités vues comme “masculines” ».

« On se lève tous les jours à 4 h 30 du matin, on enchaîne les bureaux à nettoyer dans les hôpitaux, sans prendre de pause, tout ça pour 900 euros par mois. » © David Richard / Reporterre

Déjà difficile, la situation s’est peu à peu dégradée, remarque Agnès : « Il y a sans cesse des nouveaux protocoles, ou de nouvelles pièces à nettoyer, témoigne-t-elle. Ils nous demandent la lune, mais on n’est pas des machines ! » Déléguée syndicale au sein de l’entreprise, Khadija observe elle aussi « une surcharge de travail » : « On n’arrive pas à tout faire et les cadences deviennent infernales. »

La faute au système de sous-traitance, selon Jamil, qui représente la CGT lors des négociations au sein du secteur. « Pour remporter les marchés – notamment les gros marchés publics comme celui du CHU – les entreprises de nettoyage ont tendance à tirer les prix vers le bas, explique-t-il. Et l’humain, c’est la variable d’ajustement. » Résultat, d’après le syndicaliste : « On a une précarisation galopante, avec une multiplication des CDD, des temps partiels, des salaires à peine plus haut que le Smic, même après vingt ans de carrière. »

L’entreprise Onet est donc loin d’être un cas isolé : grèves et actions aux Prud’hommes sont récurrentes dans le secteur. « Dans la branche de la propreté, il existe une forme d’esclavagisme moderne », affirme Jamil.

« Il faut mettre en lumière ces métiers invisibles. On les a applaudis pendant le Covid, mais tout ça est bien vite retombé », dit Jamil, de la CGT. © David Richard / Reporterre

« La sous-traitance, c’est la maltraitance », dénonçaient en 2019 les femmes de chambre de l’hôtel Ibis Clichy-Batignolles, à Paris. Figure de ce combat remporté en 2020, Rachel Keke — désormais élue députée — travaille sur une proposition de loi pour améliorer le sort des 500 000 salariées de la sous-traitance : « Il faut qu’ils et qu’elles aient les mêmes droits que les salariés en interne, dit-elle à Reporterre. Les bas salaires, le travail surchargé, le mépris, ça suffit. »

Les négociations n’ont pour le moment rien donné

Dans sa quête de productivité, début septembre, Onet a voulu mettre en place un « dispositif de traçabilité ». Concrètement, « il fallait qu’on se géolocalise dans chaque nouvelle pièce, et qu’on scanne les lieux avec un smartphone, au début et à la fin du ménage, détaille Khadija. Et tout ça, du jour au lendemain, sans concertation ni formation. » Une forme de flicage, dénonce-t-elle. Pour les salariées, « c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ». Le 13 septembre, 43 des 115 agentes de service au CHU se mettaient en grève.

« On tient parce qu’on est ensemble »

Huit semaines plus tard, la colère n’est pas retombée, malgré la lassitude. Les négociations n’ont pour le moment rien donné, « c’est silence radio » côté direction. Contactée par Reporterre, Onet affirme avoir « pris plusieurs initiatives pour faire face à cette situation et avancer dans un dialogue constructif ». Elle a notamment « proposé le paiement d’une prime exceptionnelle de rattrapage ». Pas de quoi convaincre les salariées, qui réclament des augmentations de salaires et le versement d’un 13e mois. « J’ai du mal à voir une issue, ça donne des frissons et ça met les nerfs », lâche Mathias. Assis non loin, Jamil approuve : « C’est dur, mais c’est la dignité retrouvée, vous avez eu le courage de relever la tête, soutient le syndicaliste, venu de Paris pour soutenir le mouvement. Vous menez une lutte exemplaire. »

L’entreprise Onet est donc loin d’être un cas isolé : grèves et actions aux Prud’hommes sont récurrentes dans le secteur. © David Richard / Reporterre

« On tient parce qu’on est ensemble, et qu’il y a de la solidarité », estime Claire. Comité de soutien, caisse de grève, tractages et concert. Rachel Keke se rendra sur place jeudi 9 novembre « pour les encourager à ne rien lâcher. Elles peuvent gagner ! » soutient la députée, qui a fait grève pendant plus de vingt-deux mois, entre 2019 et 2021. Avec succès.

« Il faut mettre en lumière ces métiers invisibles, enchérit Jamil. On les a applaudis pendant le Covid, mais tout ça est bien vite retombé. » Au-delà d’une amélioration des conditions de travail, toutes les grévistes réclament « un peu de respect et de reconnaissance » : « Nous demandons juste à ne pas être sans cesse méprisées », résume Agnès.

Source: https://reporterre.net/2-mois-de-greve-pour-les-femmes-de-menage-d-Onet-On-veut-juste-vivre-dignement

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