Haïti: Qu’ils retirent leurs pattes de nos ressources ( Bolivar Infos – 25/11/22 )

Par Gladys Stagno

Le dirigeant populaire haïtien Jean Clebert Eloius raconte la crise déclenchée dans les rues de Port-au-Prince qu’il décrit comme “planifiée”. Après avoir survécu aux trois balles qu’il a reçues il y a quelques jours, il affirme : “Le chaos est financé”. Et il détaille une histoire de violence dans laquelle les États-Unis sont les acteurs.

Immergé dans ce que le monde décrit comme une crise sociale, politique et sanitaire grâce à une épidémie de choléra, le peuple d’Haïti occupe les rues de sa capitale, Port-au-Prince, depuis deux mois.

« La crise a plusieurs dimensions et s’aggrave chaque jour, mais les gens doivent comprendre que la crise est créée, elle a été très bien planifiée par l’impérialisme. C’est bon pour eux qu’il y ait de l’instabilité dans le pays, ils financent le chaos. Ces mots sont de Jean Clebert Eloius, militant social, référent de l’organisation Mundo Haití et du Collectif 18NOVANM1803, en référence à la date de la dernière bataille des forces révolutionnaires haïtiennes.

Haïti a été la première nation du continent à obtenir son indépendance et, selon Eloius, elle souffre encore à cause de son audace. « Haïti continue de payer un prix élevé pour cela. Non seulement cette petite nation noire a eu son indépendance, mais elle a changé l’histoire du monde moderne. Parce que l’indépendance d’Haïti était contagieuse”, affirme-t-il dans un dialogue avec Canal Ouvert.

Malgré cela, Haïti est aujourd’hui considéré comme le pays le plus pauvre d’Amérique et l’un des plus pauvres du monde, en grande partie grâce au fait que son histoire récente est traversée par une violence que le dirigeant populaire considère comme implantée et qui ensanglante ses rues tous les jours.

« Ce qui s’est passé dans la nuit du 6 juillet 2021 dans la résidence du président Jovenel Moise était non seulement l’assassinat d’un président, mais un coup d’État, et ceux qui ont porté ce coup sont ceux qui sont actuellement au pouvoir, précise-t-il. Nous avons un Gouvernement illégitime dont le Premier ministre (Ariel Henry) est l’un des assassins présumés de l’ancien président. Et ce qui aggrave la situation, c’est que la communauté internationale, en particulier les États-Unis, la France et le Canada, soutient ce Gouvernement que le peuple rejette, ne reconnaît pas. Ce sont eux qui sont responsables et ceux qui veulent qu’il y ait une instabilité permanente en Haïti. Ils en ont besoin pour nous enlever nos ressources, car pour que le pillage n’attire pas l’attention du monde, ils doivent créer le désordre.

L’assassinat du président auquel Eloius fait référence a aggravé une crise qui durait depuis de nombreuses années. Ce jour-là, un groupe de commandement d’une trentaine de personnes est entré dans la chambre du président et l’a assassiné. Bien qu’il y ait environ 40 détenus pour cette affaire plus d’un an après et que les responsables politiques ne soient pas encore identifiés, on a pu établir que le commandement a été engagé par l’agence de sécurité CTU, basée à Miami.

Un chaos planifié

Depuis lors et de plus en plus, ce qui est diffusé comme “affrontements entre gangs” a déjà fait des centaines de morts, dont beaucoup de dirigeants populaires, et plus de 50 viols collectifs de femmes ont été commis. En août, l’ancien sénateur Yvon Buissereth a été brûlé vif dans un quartier de la capitale. Le Online Media Collective (CMEL) a dénoncé le meurtre de 8 journalistes dans l’exercice de leurs fonctions jusqu’à présent cette année. Et, selon Eloius, “il y a beaucoup plus de morts que ceux dont on parle dans l’actualité”.

En effet, comme une fraise d’un dessert explosif, en septembre, l’annonce par le Gouvernement d’Henry d’une augmentation importante du prix des combustibles a créé plus de mécontentement social et provoqué des manifestations presque quotidiennes qui réclament un Gouvernement de transition qui  organise des élections.

Loin d’entendre la plainte, Henry a demandé une aide internationale. En octobre, les États-Unis et le Canada ont envoyé des véhicules blindés qui ont suscité encore plus de rejet populaire.

Début novembre, Eloius lui-même a reçu trois balles après avoir été intercepté par des gangs armés alors qu’il se dirigeait vers l’aéroport international Toussaint Louverture. Deux de ses compagnons ont été tués dans cette attaque.

« Le peuple est au milieu d’une conspiration, il s’en rend compte et c’est pourquoi ils font taire les voix dissidentes. Ils tuent les opposants, ceux qui demandent de meilleures conditions de vie et de bien-être pour les masses, pour les plus vulnérables. Notre premier ennemi est l’ambassade américaine. Ariel Henry n’est rien de plus que sa marionnette”, dit-il, soulignant la complicité de l’oligarchie haïtienne qu’il décrit comme “cinq familles qui ont toutes les ressources ».

Dans les rues

Le 18 novembre – à l’occasion du 219e anniversaire de la bataille qui a expulsé l’armée de Napoléon Bonaparte d’Haïti – le peuple a manifesté dans les rues, devant le Palais national et le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) en rejet des troupes étrangères, dont ils soupçonnent les intentions.

Parce que, depuis le milieu des années 70, diverses études ont souligné le grand potentiel minier qui existe dans le sous-sol haïtien : pétrole, gaz, or et iridium, un minerai très rare utilisé dans la technologie spatiale.

« Ils financent le chaos, ils financent les groupes armés. Il n’y a pas d’industrie des armes en Haïti, la police ne peut pas acheter d’armes parce qu’il y a un blocus, l’État ne peut pas acheter d’armes pour l’armée, mais des milliers d’armes arrivent chaque jour par le port de Miami pour les gangs. Les États-Unis n’ont-ils pas le contrôle de leurs ports ? explique Eloius. Les bandits sont des gens qui ne voyagent pas, qui n’ont pas de passeport, ce sont des gens qui ne savent même pas lire, qui n’ont nulle part où vivre. Ils n’ont pas à manger mais ils ont une arme qui coûte entre 7.000 et 10.000 dollars étasuniens. Ils sont victimes du système, ils les utilisent.

« Nous ne voulons pas d’intervention, nous ne voulons pas de ce Gouvernement. Le peuple haïtien veut prendre son destin en mains. Il sait ce qu’il veut et nous préconisons une nouvelle alternative sociale et politique. Ce qui reste du Sénat haïtien, seulement dix sénateurs, a rejeté cette décision d’Henry et le peuple ne le reconnaît pas non plus. Il est important que les gens ouvrent les yeux sur les informations provenant des médias impérialistes et soient solidaires du peuple haïtien dans ses revendications qui sont justes”, souligne-t-il.

Et il termine : « Ce que nous voulons, c’est que les forces impérialistes partent et nous laissent prendre le destin de notre pays en mains. Nous voulons que les ressources de la terre servent au profit du peuple haïtien. Nous ne demandons pas d’aide, Haïti n’est pas ce qu’ils veulent faire croire. Il a une terre très fertile, nous pouvons produire la nourriture dont nous avons besoin. Nous n’avons pas besoin d’aide humanitaire, comme ils le font croire au monde, nous sommes autosuffisants. Ce dont nous avons besoin, c’est qu’ils retirent leurs pattes de nos ressources. Le peuple haïtien va toujours préférer mourir à vivre dans une situation inhumaine.

Traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos

Source en espagnol:

Source en français :

http://bolivarinfos.over-blog.com/2022/11/haiti-qu-ils-retirent-leurs-pattes-de-nos-ressources.html

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