Pour lutter contre l’inflation, les États-Unis ont relevé leurs taux d’intérêt. Mais cela a un impact partout dans le monde où les pays doivent rembourser des dettes libellées en dollar US. Certains se sont ainsi trouvés pris à la gorge. Et lorsque le FMI intervient avec ses plans de sauvetage, ce n’est pas seulement pour redresser l’économie, mais aussi (et surtout ?) pour écarter la Chine. Explications. (IGA)
En février dernier se tenait un symposium de l’académie militaire de West Point intitulé « Ordre, contrordre et désordre ». Michael Kao et Michael St. Pierre y ont présenté une étude sur « La primauté du dollar américain à l’ère de la guerre économique ». Ils y plaident l’utilisation d’un dollar US plus fort comme levier géopolitique :
« Les effets des hausses de taux d’intérêt sont amplifiés dans d’autres pays en raison d’une multitude de fragilités économiques structurelles et particulières à chacun de ces pays. De plus, la convergence entre une large adoption du dollar et sa force cyclique fait du dollar un puissant levier géopolitique sous de faux airs de lutte nationale contre l’inflation. Ainsi, le pouvoir national confère au dollar US une position dominante à travers son adoption [dans les échanges internationaux]. Tandis que la lutte opportuniste contre l’inflation confère au dollar US une force cyclique qui lui permet d’exercer un effet de levier géopolitique. »
Les États-Unis et les institutions qu’ils dirigent tentent déjà d’écarter la Chine dans les pays qui luttent pour rembourser leur dette. Ces efforts devraient se poursuivre à mesure que les taux d’intérêt augmentent et que de plus en plus de pays du Sud se trouvent incapables de rembourser leurs emprunts. Un document récent du PNUD indique que 52 pays en développement souffrent de graves problèmes d’endettement.
La Chine est le plus grand créancier bilatéral au monde. Cela est particulièrement vrai pour les pays qui font partie de l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie [BRI] et/ou pour les pays qui possèdent des ressources naturelles d’importance stratégique. Washington estime que le montant total des prêts chinois va de 350 milliards de dollars à un trillion de dollars.
Ces dernières années, les responsables et les médias occidentaux ont intensifié leurs critiques à l’égard des pratiques de prêt de la Chine. Ils affirmaient que Pékin cherchait à faire mainmise sur des pays, à freiner leur développement et à accaparer des actifs offerts en garantie.
Deborah Bräutigam, directrice de l’initiative de recherche sur la Chine et l’Afrique à la Paul H. Nitze School of Advanced International Studies, a écrit qu’il s’agissait d’un « mensonge, un mensonge puissant ». Elle a écrit que « nos recherches montrent que les banques chinoises sont disposées à restructurer les conditions des prêts existants et qu’elles n’ont jamais saisi les actifs d’un pays ».
Même les chercheurs de la Chatham House admettent que les prêts accordés par la Chine n’ont rien d’infâme, expliquant qu’ils ont plutôt créé un piège de la dette… pour la Chine elle-même! Cette situation devient de plus en plus évidente à mesure que les pays sont incapables de rembourser, en grande partie à cause des retombées économiques de la pandémie, de la guerre par procuration de l’OTAN contre la Russie en Ukraine, de l’inflation et de la hausse des taux d’intérêt.
Cette confluence d’événements frappant les pays en développement implique la Chine dans des discussions multilatérales qui incluent également des institutions soutenues par les États-Unis comme le FMI. La préférence de Pékin a toujours été d’essayer de résoudre les problèmes de remboursement de la dette au niveau bilatéral, généralement en prolongeant les échéances plutôt qu’en acceptant des réductions de valeur sur les prêts.
Mais la secrétaire d’État au Trésor US, Janet Yellen, ainsi que d’autres, continue de répéter que les prêts accordés par la Chine nuisent aux pays emprunteurs. Elle souligne également que l’Occident et la Chine se trouvent de plus en en plus souvent en désaccord dans les pays incapables de rembourser leurs dettes internationales.
En 2020, les pays du G20 ont créé le Cadre commun pour le traitement de la dette afin d’aider les pays endettés. L’idée était notamment d’établir un « partage équitable du fardeau » entre tous les créanciers. La réticence de Pékin à accepter un tel « partage » s’illustre par le cas de la Zambie.
La Zambie est devenue le premier pays africain à faire défaut sur certaines de ses obligations libellées en dollars pendant la pandémie de Covid-19. C’est arrivé en novembre 2020, lorsque la Zambie n’a pas pu effectuer un paiement obligataire de 42,5 millions de dollars.
Plus d’un tiers de la dette du pays, qui s’élève à 17 milliards de dollars, est due à des prêteurs chinois. La Zambie a conclu un accord avec le FMI pour un plan de sauvetage de 1,3 milliard de dollars. Mais elle ne peut accéder à cette aide tant que sa dette sous-jacente n’est pas restructurée – ce qui inclut les dettes chinoises. Or, la prescription du FMI pour la Zambie est un coup dur pour Pékin. Voici quelques détails de l’accord, tirés de The Diplomat :
« La Zambie réorientera ses priorités en matière de dépenses, passant de l’investissement dans l’infrastructure publique – généralement financé par les parties prenantes chinoises – aux dépenses récurrentes. Plus précisément, la Zambie a annoncé qu’elle annulerait totalement 12 projets prévus. Parmi ces projets, la moitié devait être financée par la China EXIM Bank ; un autre de l’ICB portait sur une université ; un autre encore était financé par la Jiangxi Corporation afin de réaliser une autoroute à deux voies accédant à la capitale. Le gouvernement a également annulé 20 soldes de prêts non distribués. Certains étaient destinés à de nouveaux projets et d’autres à des projets existants. Certes, de telles annulations ne sont pas inhabituelles de la part de la Zambie. Mais les partenaires chinois représentent ici l’essentiel de ces prêts…
Si certaines de ces annulations ont pu être initiées par les prêteurs chinois eux-mêmes, en particulier là où il y avait des arriérés, la Zambie n’avait sans doute pas besoin d’annuler autant de projets. Depuis 2000 d’ailleurs, la Chine a annulé une plus grande partie de la dette bilatérale de la Zambie que n’importe quel créancier souverain, soit 259 millions de dollars à ce jour.
Néanmoins, l’équipe du FMI a justifié la manœuvre en estimant – tout comme le gouvernement zambien probablement – que les dépenses en infrastructures publiques n’ont pas généré une croissance économique ou des recettes fiscales suffisantes. Précisons toutefois que le rapport du FMI n’apporte aucune preuve à cet égard. »
La Zambie va également réduire les subventions aux carburants et à l’agriculture. Ainsi, au lieu d’investir dans les infrastructures et le social, le pays file droit vers l’austérité. En outre, l’accord passé avec le FMI relègue la Chine au second plan. En effet, le FMI autorisé la poursuite de 62 projets de prêts concessionnels, dont deux seulement impliqueront la Chine. La grande majorité des projets seront administrés par des institutions multilatérales et concerneront des dépenses récurrentes plutôt que des projets d’infrastructure.
Même si tout prouve le contraire, lors d’un voyage en Zambie en février dernier, Yellen a prétendu que les prêts chinois « peuvent laisser aux pays emprunteurs un héritage de dettes, le détournement de ressources et la destruction de l’environnement ». Elle a reproché à Pékin d’être un « obstacle » à la résolution de la crise de la dette de ce pays, important producteur de cuivre. Elle a ajouté enfin qu’il avait déjà fallu beaucoup trop de temps pour la résoudre.
Les efforts déployés par les États-Unis pour mettre la Chine sur la touche en Zambie interviennent au moment même où Washington tente de renforcer son contrôle sur les ressources de la région. En décembre dernier, les États-Unis ont signé des accords avec la République démocratique du Congo et la Zambie (sixième producteur mondial de cuivre et deuxième producteur de cobalt en Afrique). Selon ces accords, les États-Unis soutiendront les deux pays pour développer une chaîne de valeur destinée aux véhicules électriques.
Plutôt que d’être seule à le faire, Pékin insiste pour que les prêteurs multilatéraux acceptent également des décotes sur les prêts. La plupart des pays débiteurs sont d’accord avec cette position. De leur côté, le FMI et ses partenaires craignent que l’argent du renflouement n’aille simplement aux créanciers chinois, dont beaucoup sont des banques d’État de plus en plus touchées par des créances douteuses.
Fondateur du groupe de réflexion Anbound, basé à Pékin, Gong Chen estime que si les pays ne veulent pas ou ne peuvent pas rembourser leurs dettes à la Chine, les conséquences seraient désastreuses :
« Une évasion généralisée de la dette aurait un impact significatif sur la stabilité financière de la Chine », a-t-il déclaré, « et nous craignons que certains pays n’essaient d’éviter de rembourser leur dette en utilisant la géopolitique et la rivalité idéologique entre l’Est et l’Ouest. »
Lors de la récente réunion des responsables financiers du G20 en Inde, Yellen et ses collègues ont tenté d’exercer une pression accrue sur Pékin. Mais cette tentative est restée lettre morte, tout comme les efforts déployés par l’Occident pour détourner la réunion et la transformer en une table ronde sur les sanctions contre la Russie.
Entre-temps, la Zambie a interrompu les travaux sur plusieurs projets d’infrastructure financés par la Chine, notamment la route Lusaka-Ndola. Elle a également annulé les prêts non décaissés, conformément à la prescription du FMI pour résoudre son problème d’endettement.
Les entreprises chinoises tentent désormais de contourner ces obstacles en s’orientant davantage vers des partenariats public-privé. Par exemple, un consortium chinois prévoit actuellement de construire une route à péage de 650 millions de dollars reliant la capitale zambienne et la province riche en minerais de Copperbelt, ainsi que la frontière avec la République démocratique du Congo.
La situation en Zambie n’est pas de bon augure pour les autres pays qui ont besoin d’un allégement de leur dette. En effet, pendant que l’Occident et la Chine s’affrontent, les choses prennent du retard. Ce qui se traduit par une pression accrue sur les finances publiques, les entreprises et les populations.
De plus, si en proposant des allégements de dette, l’objectif principal de l’Occident est de mettre Pékin sur la touche, comme cela semble être le cas en Zambie, la conséquence sera une réduction drastique des projets d’infrastructure et à la place, l’austérité. Tiré de Sovdebt Oddities :
« De manière générale, comme le note Mark Sobel, l’architecture financière internationale actuelle est mal équipée pour faire face à un créancier récalcitrant majeur bénéficiant d’un effet de levier (géo)politique hors du commun. S’il reste illusoire d’isoler les restructurations souveraines des considérations géopolitiques, il existe un risque qu’elles se transforment en un jeu de qui se dégonflera le premier, avec la Chine d’un côté, et le FMI et le Club de Paris de l’autre. Le problème est que si aucun des joueurs ne cède, cela impliquera juste davantage de difficultés économiques et sociales pour le pays débiteur coincé au milieu. »
À l’évidence, la même chose se produit dans deux pays qui sont des points clés des Nouvelles Routes de la Soie : le Pakistan et le Sri Lanka.
Voici l’état de la dette d’Islamabad, avec l’aimable autorisation de l’économiste pakistanais Murtaza Syed de The International News :
« Pour chacune des cinq prochaines années, le Pakistan doit au reste du monde 25 milliards de dollars rien qu’en remboursement de capital. Il aura également besoin d’au moins 10 milliards de dollars pour financer le déficit des comptes courants, ce qui portera le total des besoins de financement extérieur à 35 milliards de dollars par an d’ici 2027. Nos réserves de change ne s’élèvent qu’à 3 milliards de dollars. Au cours de chacune des cinq prochaines années, le gouvernement devra débourser 5 % du PIB pour assurer le service de la dette qu’il doit aux résidents et aux étrangers. Nos recettes fiscales totales ne représentent que 10 % du PIB.
Environ quatre cinquièmes de cette dette extérieure sont dus au secteur officiel, répartis à peu près de manière égale entre les organismes multilatéraux (comme le FMI, la Banque mondiale et la BAD) et les organismes bilatéraux (des pays comme la Chine, l’Arabie saoudite et les États-Unis). Le cinquième restant est dû au secteur commercial. Il se répartit lui aussi à peu près de manière égale entre les émissions d’euro-obligations et de sukuk[1] d’une part, et les emprunts auprès des banques chinoises et du Moyen-Orient d’autre part. Par région, nous devons environ un tiers de notre dette extérieure à la Chine et 10 % au réseau des vieux copains du Club de Paris, qui comprend l’Europe et les États-Unis. »
En outre, l’année dernière, la roupie pakistanaise a chuté de près de 30 % par rapport au dollar US. Tout porte à croire que le FMI utilise les négociations de renflouement pour faire pression sur le Pakistan afin qu’il s’éloigne de la Chine et qu’il relance son partenariat avec les États-Unis. Quelques informations de WSWS :
« Le gouvernement de l’ancien Premier ministre Imran Khan a été rapidement démis de ses fonctions en avril 2022 lorsque, confronté à des protestations dans tout le pays, il a annulé les réductions de subventions qu’exigeait le FMI. Khan avait auparavant mis en œuvre deux trains de mesures d’austérité parmi les plus sévères de l’histoire du pays. Au cours de la dernière année de son mandat, Khan a réorienté la politique étrangère du pays vers une alliance plus étroite avec la Russie. Il a également resserré les liens avec la Chine, ce qui a suscité l’inquiétude et la colère de Washington.
La Ligue musulmane (PML-N) de Sharif et le Parti du peuple (PPP) ont pris le pouvoir au sein d’une coalition. Coalition approuvée par l’armée qui a longtemps été l’acteur politique le plus puissant du pays et le pivot de l’alliance entre la bourgeoisie pakistanaise et l’impérialisme US. L’objectif explicite du nouveau gouvernement était de mettre en œuvre les mesures d’austérité du FMI, ce qu’il a fait. »
L’austérité prescrite par le FMI et imposée par les élites pakistanaises vise également Pékin. La Chine est le plus grand créancier du Pakistan, et ce pays est sans doute le plus important dans les projets des Nouvelles Routes de la Soie. En effet, le Pakistan offrirait à la Chine un potentiel corridor vers le port maritime de Gwadar, dans l’océan Indien. Cette ligne d’approvisionnement réduirait la distance entre la Chine et le Moyen-Orient. Aujourd’hui, la liaison dépend de milliers de kilomètres de voies maritimes peu sûres. Avec le Pakistan, elle serait réduite et plus sécurisée par voie terrestre. Les dépenses de Pékin au Pakistan en témoignent, puisque les 53 milliards de dollars que la Chine a consacrés à l’initiative « Nouvelles Routes de la Soie » (BRI) dans le pays arrivent en tête de tous les pays de la BRI.
Pourtant, de nombreux projets de l’initiative n’ont pas été réalisés. Et la situation économique actuelle du Pakistan fait qu’il est peu probable qu’ils se concrétisent de sitôt. La Chine a considérablement réduit ses investissements, ce qui correspond à son approche plus prudente des projets de la BRI. Entre-temps, une inflation élevée depuis des décennies, une mauvaise gestion économique et les inondations bibliques de l’année dernière ont conduit Islamabad à épuiser ses réserves de devises étrangères pour rembourser ses dettes. Les États-Unis accusent la Chine.
« Nous avons exprimé très clairement nos préoccupations, non seulement ici au Pakistan, mais aussi ailleurs dans le monde, au sujet de la dette chinoise ou de la dette due à la Chine », a déclaré Derek Chollet, conseiller du département d’État US, aux journalistes de l’ambassade des États-Unis à Islamabad, après avoir rencontré des responsables pakistanais en février.
En outre, Chollet a rapporté les mises en garde de Washington contre les « dangers » d’une relation plus étroite d’Islamabad avec Pékin.
Selon le Times of India, de nombreux responsables pakistanais se sont ralliés au point de vue des États-Unis et accusent également le projet de corridor économique Chine-Pakistan (CPEC), un réseau de 65 milliards de dollars de routes, de voies ferrées, de pipelines et de ports reliant la Chine à la mer d’Arabie. Ils estiment que le projet a aggravé la crise de la dette du pays. Extrait de l’Indian Express :
« Le Pakistan a augmenté sa capacité de production d’électricité dans le cadre du programme de corridor économique Chine-Pakistan (CPEC). Mais cette expansion a eu un coût élevé, tant en termes de rendements élevés garantis aux producteurs d’électricité indépendants chinois (IPP) qu’en termes de dette coûteuse en devises étrangères. Le Pakistan n’a pas été en mesure d’honorer ses paiements auprès des producteurs indépendants d’électricité dans le cadre des accords d’achats à long terme. Et la dette du secteur de l’électricité a atteint le montant stupéfiant de 8,5 milliards de dollars.
En décembre dernier, le gouvernement a accepté de rembourser cette dette en plusieurs fois. Mais cela a déplu au FMI qui en août 2022, attendait du gouvernement qu’il renégocie les accords d’achat d’électricité. Le Pakistan a essayé, mais les Chinois ont refusé. »
Le FMI a prolongé le programme d’aides actuel à la condition qu’elles ne partent pas vers les IPP chinoises. Plus d’informations dans Nikkei Asia :
« Les observateurs estiment que la façon dont le Pakistan gère la question de l’électricité risque d’irriter la Chine, car le gouvernement de M. Sharif s’est engagé auprès du FMI à rouvrir les contrats d’électricité sans mettre les entreprises chinoises dans la confidence. Le Pakistan est également revenu sur sa promesse de mettre en place un compte séquestre pour assurer le bon déroulement des paiements aux producteurs d’électricité chinois.
Le FMI exige que le Pakistan rationalise les paiements aux IPP chinois conformément aux concessions obtenues précédemment des producteurs d’électricité privés locaux…
Le FMI souhaite maintenant que le Pakistan négocie une augmentation de la durée des prêts bancaires de 10 à 20 ans, ou qu’il réduise la majoration des arriérés dus aux IPP chinois de 4,5 % à 2 %. »
Il est à noter que le FMI semble moins disposé à faire des concessions que les 22 fois précédentes où le Pakistan a sollicité son aide depuis 1959. Curieusement, Pékin fait pression pour qu’un accord soit conclu entre Islamabad et le FMI. De plus, la Chine a récemment accordé un prêt de 2 milliards de dollars au Pakistan. D’après le Middle East Institute :
« Il est intéressant de noter, par exemple, que des fonctionnaires chinois auraient exhorté Islamabad à rétablir les liens avec le FMI – si cela est vrai, cela indique que Pékin considère la reprise du programme de prêt du Fonds comme essentielle pour atténuer le risque de défaillance du Pakistan.
Il est également révélateur que le Pakistan semble plus enclin à accepter de nouveaux financements de la part de la Chine que cette dernière ne l’est à lui fournir. Alors même que l’économie vacille sous le poids d’une lourde dette et d’autres problèmes aigus, les responsables pakistanais ont sollicité le soutien de la Chine pour moderniser la ligne ferroviaire principale 1 (ML-1). Selon eux, l’ensemble du système ferroviaire pourrait s’effondrer si ce projet de modernisation n’est pas entrepris. Les défis et les priorités économiques internes de la Chine pourraient la faire hésiter à répondre aux appels d’Islamabad. D’un autre côté, le projet ML-1 pourrait répondre aux normes plus exigeantes de Pékin et à l’importance croissante accordée aux projets d’infrastructure de « haute qualité » dans le cadre de la BRI. »
Le récent rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite pourrait laisser le Pakistan sur la touche et le rendre encore plus dépendant des États-Unis. Selon Andrew Korybko :
« Le Royaume [d’Arabie saoudite] est susceptible de se concentrer davantage sur des investissements mutuellement bénéfiques avec l’Iran plutôt que sur le déversement de milliards dans des plans de sauvetage pakistanais apparemment sans fin qui ne lui ont jamais rien apporté en retour. Par conséquent, Islamabad deviendra, comme on peut s’y attendre, plus dépendant du FMI contrôlé par les États-Unis. La Chine fournira toujours le strict minimum requis pour maintenir le Pakistan à flot dans le pire des scénarios. Mais même elle semble aujourd’hui se dégonfler pour diverses raisons. Ce qui signifie que l’influence des États-Unis pourrait encore s’accroître.
À cet égard, le coup d’État postmoderne de l’année dernière a rétabli dans une large mesure la suzeraineté américaine sur le Pakistan. Ce qui fait désormais de ce pays une anomalie géopolitique de la région, compte tenu de la dérive de l’ensemble de la région par rapport à cet hégémon unipolaire en déclin. Le fait même que l’Arabie saoudite, auparavant alignée sur les États-Unis, ait réglé ses problèmes apparemment irréconciliables avec l’Iran grâce à la médiation chinoise renforce cette observation factuelle. Le Pakistan est désormais le seul vassal des États-Unis dans l’ensemble de la région. »
Le Pakistan est non seulement le plus endetté des partenaires de l’initiative BRI, mais il est aussi, avec le Sri Lanka, l’un des principaux bénéficiaires des prêts de sauvetage chinois. L’élite dirigeante pakistanaise craint de plus en plus que la crise sociale ne devienne incontrôlable et n’aboutisse à une situation similaire à celle qui s’est produite au Sri Lanka l’année dernière, lorsqu’un soulèvement populaire a renversé le gouvernement.
En raison des marchandages entre l’Occident et la Chine, le Sri Lanka attend depuis septembre la finalisation d’un plan de sauvetage après un accord de 2,9 milliards de dollars conclu en septembre avec le personnel du FMI. Pourtant, de nombreuses recommandations de l’accord ont déjà été mises en œuvre, avec un effet désastreux.
Le pays est confronté à la pire crise économique qu’il ait connue depuis son indépendance en 1948, avec notamment une pénurie de réserves et de produits de première nécessité. En février, le FMI a déclaré que le plan de sauvetage du Sri Lanka serait approuvé dès que le pays obtiendrait des garanties suffisantes de la part des créanciers bilatéraux, c’est-à-dire de la Chine.
Pékin semble désormais prêt à répondre à d’autres exigences du FMI, bien que les détails n’aient pas encore été communiqués. Dans une lettre envoyée en janvier, l’Export-Import Bank of China a proposé un moratoire de deux ans sur la dette, mais le FMI a estimé que ce n’était pas suffisant. Selon Reuters, la dette totale du Sri Lanka envers les prêteurs chinois représente environ 20 % de la dette totale du pays.
Le Sri Lanka est un autre point focal de l’initiative BRI en raison de sa position géographique, au milieu de l’océan Indien. L’objectif de la Chine était de transformer le pays en une plaque tournante des transports, car une grande partie de ses importations d’énergie en provenance du Moyen-Orient et de minéraux en provenance d’Afrique passent par le Sri Lanka. Pékin a déjà atteint une grande partie de ces objectifs. Par exemple, en 2017, une participation de 70 % dans le port de Hambantota a été louée à China Merchants Port Holdings Company Limited pour 99 ans, pour un montant de 1,12 milliard de dollars.
L’Occident reproche à l’initiative chinoise BRI au Sri Lanka d’avoir accablé le pays d’une dette insoutenable, mais est-ce vraiment le cas ? Les économistes politiques Devaka Gunawardena , Niyanthini Kadirgamar et Ahilan Kadirgamar écrivent sur Phenomenal World :
« Les problèmes associés au paquet de mesures du FMI ont été pris dans la rhétorique géopolitique. Les États-Unis prétendent que le Sri Lanka est victime du piège de la dette chinoise. En réalité, le Sri Lanka est pris au piège du FMI. Les conséquences structurelles de plus de quatre décennies de politiques néolibérales ont éclaté au grand jour avec le recul de l’État-providence, l’explosion de la facture des importations et les investissements sans retour dans les infrastructures, qui reposent tous sur l’afflux de capitaux spéculatifs. Le fait d’inscrire la crise du Sri Lanka dans le cadre d’une compétition géopolitique occulte les dilemmes fondamentaux de l’économie mondiale. Cet effondrement manifeste obligera-t-il à revoir l’ordre actuel ou servira-t-il de prétexte pour infliger de nouvelles souffrances ? »
Jusqu’à présent, il semble que ce soit la seconde hypothèse qui l’emporte.
Source originale : Naked Capitalism
Auteur : Conor Gallagher
Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action
Note:
[1] Titre financier islamique qui est l’équivalent d’une obligation dans la finance classique.