Par Sibylle LAURENT
Elle s’appelait Anne Créquer. Née en 1917 à Locmariaquer (Morbihan), décédée en 1998 à Guyancourt (Yvelines), cette jeune Morbihannaise a été, à la fin de la guerre, une figure de la Résistance bretonne. Et n’a jamais voulu en parler. Des recherches ont permis à sa famille de remettre à jour sa vie.
« À ses trois petites filles, elle disait qu’elle avait été pirate… » Et au reste de sa famille, Anne Créquer n’a « jamais parlé » de son passé. Et pourtant… Pourtant, Anne Créquer, fille d’une ostréicultrice et d’un marin, née en 1917 à Locmariaquer (Morbihan), est une héroïne de la Résistance bretonne. « Elle était soldat. Elle voulait se battre pour la France. A combattu armes au poing», résume son ex-belle fille, Michèle Chevalier.
Anne Créquer est décédée en 1998 à Guyancourt (Yvelines), après une riche vie et quatre enfants. Mais sans avoir jamais vraiment voulu évoquer cette guerre. Hormis une poignée de notes, jetées en vrac sur une vingtaine de pages, vingt ans après les faits. Il a fallu un peu de temps, et sans doute la parenthèse du Covid, pour que Michèle Chevalier, historienne, aidée par la famille d’Anne Créquer, se plonge dans cette histoire, avec l’envie de la mettre noir sur blanc. « Il est peut-être temps de laisser une trace d’Anne dans l’Histoire, glisse Michèle Chevalier. Cette femme a eu un passé assez extraordinaire, à un point que l’on ne soupçonnait pas. Elle a combattu armes à la main. Elle a été emprisonnée, torturée, fusillée à blanc. Parler d’elle, c’est aussi une façon de mettre en lumière ces femmes résistantes, fortes, courageuses, qui, après-guerre, ont été remisées dans leur foyer, et sont devenues les grandes oubliées de l’Histoire. »
Armes à la main
Anne Créquer semble avoir eu 1 000 vies. En janvier 1943, alors institutrice à Nantes (Loire-Atlantique), elle entre en résistance comme soldat. Armes au poing, c’est ce qu’elle veut. Elle a 25 ans. Elle intègre la compagnie de Ploërmel, le 8e bataillon FFI (Forces françaises de l’intérieur). Comme les autres, elle participe à des actes de sabotages, de transport d’armes, de missions de liaisons. Femmes, parmi les hommes, elles sont peu. Anne Créquer est ainsi la seule femme à combattre, « armes à la main », à une bataille qui secoue la Bretagne : les combats du maquis de Saint-Marcel, le 18 juin 1944 ; première bataille des forces françaises après le Débarquement. Pour la première fois, l’Allemagne est tenue en échec.
Anne Créquer se met alors au service des parachutistes ; devient agent de liaison et secrétaire du commandant Pierre Marienne, chargé par Londres de collecter des renseignements en vue d’un second débarquement sur la presqu’île de Rhuys. Dans ses notes, Anne Créquer peste : « Agent de liaison ! J’enrageais de me voir classer dans cette catégorie ! Combattante, je l’étais, je voulais le reste. En attendant, je ne refusais pas de rendre service, il n’y avait rien d’autre à faire. » Et écrit : « Jamais je n’aurais eu l’impression de servir avec autant d’intensité qu’à cette époque. » Sur son vélo, Anne abat chaque jour sa centaine de kilomètres, transportant des documents dont un seul d’entre eux peut l’envoyer à la mort.
« Joie des camarades retrouvés »
Elle est arrêtée le 11 juillet 1944. Elle a sur elle une carte d’état-major de la région, un peu d’argent et sa carte d’identité. Suspect. Elle est emprisonnée à Josselin. Elle y est « questionnée, violemment torturée, et fusillée à blanc ». Mais ne dit rien. Elle écrit même : « Le moral est bon, excellent même. Je dirai que les tortures, la certitude de la mort, le renforcent. » Force d’âme. Fin juillet, elle est transférée à Pontivy, échappe de peu à la déportation en Allemagne, s’échappe de son camion près de Savenay, en Loire-Atlantique, est à nouveau internée… Elle finit par quitter le camp le 12 septembre avec une dizaine de prisonniers… pour se faire emprisonner par les Américains. Elle est finalement libérée le 8 septembre. Entre-temps, la Bretagne a été libérée. « Joie des camarades retrouvés. Plutôt que demander le nom des morts, il y en a trop, je préfère demander ceux des vivants. Il y a encore du travail : Saint-Nazaire, Lorient… »
Car Anne Créquer ne s’arrête pas. Nommée sous-lieutenant FFI, elle rallie l’état-major à Vannes, fait partie des premières forces françaises de l’Ouest, se fait à nouveau arrêter le 23 novembre lors d’une mission de renseignement à l’intérieur des lignes allemandes de Lorient, enfermée à la citadelle de Port-Louis jusqu’en janvier 1945. Une vie, quelle vie ! Folle vie, tout entière animée par cet « esprit de liberté ». « Au fond, cela ne présente guère d’intérêt, et j’en ai assez de remuer des cendres… », écrit pourtant Anne Créquer, en dernières phrases. Plutôt réveiller les mémoires.
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