«Ils se détériorent de l’intérieur» : les oiseaux marins victimes du plastique (reporterre-9/05/25)

Dans le Morbihan, l’association Piafs soigne les oiseaux blessés pour leur permettre de retrouver la vie sauvage. – © Juliette Pavy / Reporterre

Nids recouverts de détritus, nouvelles maladies : les effets délétères du plastique se multiplient sur les oiseaux marins. Dans le Morbihan, des actions sont menées pour réduire la pollution et sauver ceux qui peuvent l’être.

Par Violaine COLMET-DAÂGE & Juliette PAVY (photographies)

Languidic, Damgan (Morbihan), reportage

Une hirondelle argentée brille à l’oreille de Didier Masci. Le bijou lui rappelle ses années passées à sauver les oiseaux mazoutés. D’abord sur les plages bretonnes, suite au naufrage de l’Erika en 1999, puis en Afrique du Sud, deux ans plus tard. Il en avait rapporté sa première boucle d’oreille, « un manchot », sourit-il, attablé dans le foyer de Piafs, le centre de soins pour animaux sauvages qu’il a fondé en 2007 à Languidic (Morbihan).

Il y soigne désormais des oiseaux blessés et mutilés par les activités humaines et se retrouve parfois démuni face à des maladies émergentes pour lesquelles aucun traitement n’existe. Car, après les marées noires, une nouvelle menace s’est installée, plus sourde, mais tout aussi ravageuse : celle des déchets plastiques.

Un guillemot de Troïl coincé dans des filets. © Les Mains dans le sable

Jadis, Didier Masci recueillait jusqu’à 250 oiseaux marins en même temps. Aujourd’hui, ils sont à peine quelques poignées dans ses volières. L’effondrement des populations est spectaculaire : entre 1950 et 2010, 70 % des oiseaux marins ont disparu dans le monde. En Bretagne, 43 % des oiseaux sont aujourd’hui « menacés » ou « quasi-menacés » sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature. À la prédation, aux tempêtes et aux captures accidentelles s’ajoute désormais le plastique. Omniprésent, insidieux, souvent mortel.

Des oiseaux blessés souvent retrouvés trop tard

Sous un timide soleil printanier, Olivia, stagiaire dans l’association, fait voler quatre goélands en convalescence. Les volatiles obtempèrent cahin-caha, trois d’entre eux ayant désormais une aile atrophiée. Plus loin, dans l’infirmerie, un pigeon est soigné pour une plaie infectée : il s’est emmêlé dans un ruban en plastique. « Il faudra lui couper un autre doigt », regrette Jimmy, soigneur bénévole, observant que l’extrémité ne réagit plus et gène l’animal. Celui-là a de la chance car, souvent, les oiseaux blessés par le plastique sont retrouvés trop tard.

Une étude estime que 90 % des oiseaux marins sont susceptibles d’ingérer du plastique. © Juliette Pavy / Reporterre

Entre 2021 et 2024, dans le cadre du projet européen de sciences participatives Life Seabil, des bénévoles ont comptabilisé les oiseaux retrouvés morts sur les littoraux français, espagnol et portugais. Des autopsies ont été pratiqués sur les oiseaux en bon état pour évaluer la quantité de plastique dans leur estomac. D’autres tissus (sang, cellules cérébrales) ont été prélevés et pourront servir pour d’autres études.

Empêtrés dans des morceaux de filet

Ce projet se poursuit désormais au niveau national par le biais du réseau Réoma (Réseau échouage des oiseaux Manche Atlantique). « Sur la plage, on trouve principalement des fous de Bassan avec des pattes cassées ou pris dans des filets », note le coordinateur breton du projet, Esteban Vilboux. Ces grands oiseaux migrateurs ont l’habitude de prélever des algues dans la mer pour confectionner leurs nids, « mais ils les confondent souvent avec des morceaux de filets de pêche à la dérive ou échoués ». Résultat : ils s’y empêtrent et n’arrivent plus à se libérer.

Pire, leurs nids sont désormais constitués pour partie de ces filaments extrêmement solides. Quand leurs pattes ou celles de leurs petits s’y emmêlent fermement, impossible d’y échapper. Des chercheurs estiment que les îles de reproduction des oiseaux constituent même des puits où s’accumulent les déchets plastiques marins.

Une buse variable, au centre de soin de l’association Piafs, à Languidic (Finistère). © Juliette Pavy / Reporterre

Sur l’île Rouzic, vierge de toute présence humaine et qui abrite la plus grande colonie française de Fous de Bassan (entre 11 500 et 14 000 couples) au large de Perros-Guirec (Côtes-d’Armor), « environ 30 individus meurent chaque année » piégés par ces filets, a déploré Ségolène Fabre, coordinatrice de projet à l’Office français de la biodiversité, à l’occasion de la restitution du projet, en novembre 2024.

L’état du site est si désastreux qu’un programme européen a été lancé pour le dépolluer. Il faudra cinq ans pour le remettre en état. Un premier travail a été effectué cet hiver, lorsque les oiseaux avaient migré, et les premiers déchets plastiques ont été évacués par hélitreuillage.

Les oiseaux meurent de faim

Mais le risque plastique n’est pas toujours aussi visible. Selon une étude publiée en 2020, au moins 180 espèces d’oiseaux marins (soit 44 % des espèces étudiées) en avalent couramment. Les prévisions sont encore plus alarmantes : selon une étude publiée en 2015, 90 % des oiseaux marins sont susceptibles d’en ingérer et, si la pollution plastique se poursuit au même rythme, ils seront 99 % en 2050.

L’ingestion de microplastiques peut entraîner l’apparition de maladies récemment découvertes, dont les symptômes se rapprochent de celles d’Alzheimer ou de Parkinson. © Juliette Pavy / Reporterre

« L’ingestion de déchets plastiques peut conduire à l’occlusion des voies respiratoires et l’étouffement des individus, détaille le coordinateur français de Life Seabil, Guillaume Le Hétet. Le plastique peut aussi s’accumuler dans l’estomac et provoquer une sensation de satiété chez l’animal, qui va cesser de s’alimenter, et donc mourir de faim. » Lors de l’opération de nettoyage de la plage, les cadavres d’oiseaux récupérés par les bénévoles étaient globalement très émaciés.

« De l’extérieur, tout laisse à penser qu’ils vont bien, alors qu’ils se détériorent de l’intérieur »

« Leur masse était deux fois inférieure à ce qui pourrait être attendu. La cause de leur mort était très certainement l’affaiblissement lié au manque de nourriture, note Jérôme Fort, qui a pratiqué les autopsies au laboratoire de La Rochelle. Les contenus stomacaux étaient particulièrement vides. » Étonnamment, peu de morceaux de plastique visibles à l’œil nu ont été retrouvés dans les spécimens français. Mais les premiers résultats suggèrent la présence de microplastiques. Dans la péninsule ibérique, les résultats sont plus nets. Les fous de Bassan espagnols sont ainsi les plus touchés : 59 % contiennent des morceaux de plastique dans leur estomac et 92,3 % des microplastiques.

Didier Masci, fondateur du centre de soin pour animaux sauvages Piafs à Languidic (Morbihan). © Juliette Pavy / Reporterre

« Les autopsies que nous pratiquons pour des programmes de recherche révèlent des boulettes d’engrais, des plastiques, c’est monumental ! se désespère Didier Masci, à Languidic. On voit des estomacs, des foies bizarres. » En 2023, une étude menée en Australie sur des poussins de puffins à pieds pâles nourris au plastique par leurs parents a révélé que les oiseaux avaient développé une nouvelle maladie, baptisée « plasticose ». « L’accumulation de plastiques dans l’estomac du poussin provoque des déchirures stomacales, explique Marie-Morgane Rouyer, chercheuse au CNRS et spécialiste des oiseaux marins. De l’extérieur, tout laisse à penser qu’ils vont bien, alors qu’ils se détériorent de l’intérieur. »

Lire aussi : « Plasticose », la nouvelle maladie des oiseaux marins

Dans une nouvelle étude parue mi-mars, la même équipe a montré que les microplastiques induisent la dégénération de tissus cérébraux. Des symptômes similaires à ce que l’on peut observer dans les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson. « C’est nouveau et très inquiétant », pointe la spécialiste.

Couper la contamination à la source

Selon une étude parue dans Nature Geosciences, 500 000 tonnes de plastiques aboutissent dans les océans chaque année. Fin 2024, les négociations internationales sur les déchets plastiques ont malheureusement échoué à Busan (Corée du Sud).

Lire aussi : Traité sur le plastique : aucun accord trouvé, mais de plus en plus d’États ambitieux

La fin de la contamination à la source semble encore loin, regrettent la quinzaine de volontaires venus prêter main forte à l’association Les Mains dans le sable pour nettoyer la plage de Damgan, mi-avril. Ce jour-là, la moisson était plutôt légère : quelques grosses palettes de bois et de menus déchets plastiques, de verre ou de ferrailles en tout genre, pour un total de 100 kg.

Des déchets plastiques à Damgan (Finistère). © Violaine Colmet Daâge / Reporterre

« Pas de quoi remplir le bingo des déchets, un jeu consistant à cocher tous les types de déchets rencontrés afin d’en évaluer la diversité » , sourit l’un des participants. Ces séances restent une goutte d’eau face à l’océan de plastique, mais elles ont le mérite de sensibiliser la population, de mieux comprendre le déplacement des déchets en mer et leurs origines.

À Languidic, un faucon crécerelle file d’un bout à l’autre de la volière, prêt à retrouver la vie sauvage. Mais ce jour-là, il sera le seul oiseau à s’envoler. « Il y a quelques années, nous pouvions en relâcher une centaine en même temps », se désole le septuagénaire à l’oreille percée.

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Source: https://reporterre.net/Ils-se-deteriorent-de-l-interieur-les-oiseaux-marins-victimes-du-plastique

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