Incendies-Christophe Govillot, pilote de Canadair : “Nous avons des pannes récurrentes”(marianne.net-18/7/22-15h50)

Alors que les feux de forêt font toujours rage en Gironde (ce 18 juillet-NLHR), la polémique enfle : les moyens aériens consacrés à la lutte contre les incendies sont-ils suffisants ? Christophe Govillot, pilote de Canadair engagé sur ces feux et porte-parole du Syndicat national du personnel navigant de l’aviation civile, dresse un état des lieux pour « Marianne ».

Marianne : Quel est l’état de la flotte de bombardiers d’eau aujourd’hui ?

Christophe Govillot : Nous avons un problème de disponibilité : concrètement, nous ne pouvons pas nous servir de nos moyens. Nous voulons qu’on nous permette de voler sur nos machines. Nous alertons depuis longtemps sur ce problème. Le système était bancal jusque-là, mais fonctionnait malgré tout, parce que nous n’avions pas affaire à de très gros feux. Désormais on en voit clairement les limites.

Les mécaniciens font le maximum pour faire voler les avions, mais sur 12 Canadair, seulement 7 sont disponibles ce matin. Aujourd’hui, pour la première fois, nous avons 6 Dash disponibles – habituellement c’est plutôt trois ou quatre. C’est une satisfaction et nous espérons que cela va durer. Hélas, le septième est cloué au sol pour des raisons administratives incompréhensibles. Nous ne sommes pas des enfants gâtés, nous ne demandons pas des milliards : nous voulons seulement pouvoir être « vertical » sur les feux pour aider nos amis pompiers.

N’est-il pas normal que des avions soient immobilisés pour la maintenance pendant que d’autres volent ? N’est-ce pas le cas dans toutes les unités aériennes ?

Non, parce que nous avons des pannes récurrentes : la même avarie survient à J +0 et à J +1, alors qu’elle devrait être réparée. Imaginez que vous alliez chez le garagiste pour un problème de radiateur et que le radiateur tombe à nouveau en panne à la sortie du garage… Il ne faut pas oublier que toutes les grosses maintenances sont effectuées l’hiver, justement dans le but que tous les avions soient disponibles l’été. Ils sont donc sortis de maintenance le 25 juin en état de vol.

Sans remettre en cause la qualité du travail des mécaniciens, force est de constater que Sabena Technics, la société privée à qui la maintenance est déléguée, n’est pas au rendez-vous. Contractuellement, on doit avoir 100 % de disponibilités. Certes, les Canadair sont vieillissants, mais cette société connaissait l’âge des avions en signant son contrat avec l’Etat.

La maintenance souffre-t-elle, elle aussi, d’un manque de moyens ?

Les techniciens sont-ils assez nombreux ? Y a-t-il assez de pièces détachées ? Je ne sais pas, ce n’est pas mon métier : je constate seulement que les avions ne peuvent pas voler. A la sécurité civile, nous avons un échelon technique qui vérifie que nous puissions monter dans les avions en sécurité. Ils font un travail remarquable de surveillance, mais ils ne peuvent pas être « dans » les avions pour savoir si la maintenance a bien été faite.

Au-delà de l’urgence de la disponibilité de la flotte actuelle, celle-ci est-elle suffisamment importante pour les années à venir ?

Nous demandons depuis des années que la France se positionne sur l’achat de nouveaux Canadair, parce que c’est un processus long, et pourtant, à l’heure où l’on se parle, la France n’achète pas d’avions. C’est l’Europe qui le fait. Avec le réchauffement climatique, les besoins vont certainement augmenter. Nous installons des infrastructures de plus en plus au nord de la France, parce que le risque feu de forêt s’étend de plus en plus. Donc oui, il va falloir sérieusement réfléchir à augmenter la taille de la flotte.

Les efforts d’acquisition ces dernières années ont essentiellement porté sur les Dash plutôt que sur les Canadair. Est-ce une bonne stratégie ?

Nous avons acheté les Dash pour compenser la fin des vieux Trackers, qui étaient à bout de souffle. Ces deux avions sont très complémentaires, nous avons besoin des deux. Le Dash est un avion plus « préventif » : il fait en priorité de la surveillance, des patrouilles lors desquelles il peut « tomber » sur n’importe quel feu en train d’éclore et bombarder un produit retardant. En revanche le Dash doit se poser sur un « pélicandrome » pour se réarmer. La grande force du Canadair, c’est justement de pouvoir écoper, et donc de revenir à intervalles très réguliers sur un même feu. C’est un avion de lutte qu’on envoie sur les points les plus « chauds ». L’inconvénient, c’est qu’il faut de grandes quantités d’eau pour être efficace, donc il faut être au moins quatre sur un feu.

Notre doctrine d’emploi – utiliser les bombardiers d’eau très tôt, grâce à une surveillance étroite du territoire, pour contrer les feux naissants – est-elle adaptée à des feux tels que ceux qui se déroulent aujourd’hui en Gironde ?

Oui, parce que le fait de prépositionner des moyens, comme nous le faisons en France, nous permet d’être extrêmement réactifs et de concentrer nos forces au besoin. La doctrine n’est pas en cause : avec les pompiers au sol, les bombardiers d’eau permettent d’éviter qu’un grand nombre d’incendies ne dégénèrent.

Y a-t-il assez de pilotes à la sécurité civile ?

Le nombre de pilotes actuel n’est pas suffisant : nous sommes 16 commandants de bord alors qu’il en faudrait 22. C’est un problème récurrent depuis plusieurs années. Nous n’arrivons pas à former suffisamment de pilotes – je parle bien de nombre, et pas de qualité. Le ministère de l’Intérieur a bougé là-dessus au printemps : nous avons signé un protocole, qui devrait augmenter nos capacités de formation et rendre le métier plus attractif en le rémunérant mieux. Nous allons enfin être reconnus comme métier à risque, ce qui n’était pas le cas jusqu’ici. Ce protocole est une très bonne chose.

Nous ne sommes pas naïfs, nous savons très bien que les pilotes ne vont pas arriver tout de suite : il faut 5 ans pour former un commandant de bord sur Canadair. Mais il est inutile d’être dans la polémique gratuite, et l’administration actuelle n’est pas comptable de ce problème.

Entretien réalisé par Louis NADAU

source: https://www.marianne.net/christophe-govillot-pilote-de-canadair-nous-avons-des-pannes-recurrentes

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