Infatigable militant, pilier du combat des ouvriers de Lip, Charles Piaget est décédé à Besançon (France3/Régions-4/11/23)

Charles Piaget en 2020 • © Denis Colle-France Tv

Par Isabelle BRUNNARIUS

Le leader charismatique du conflit Lip, Charles Piaget, est décédé ce samedi 4 novembre 2023 à l’âge de 95 ans. Le militant s’en est allé l’année même où les 50 ans du conflit des ouvriers de la manufacture horlogère Lip de Besançon sont célébrés dans la capitale comtoise.

S’il y a un homme à Besançon qui incarne le combat des LIP, c’est bien Charles Piaget. Le Bisontin a été l’un des leaders du conflit LIP, lutte sociale emblématique des années 70. Le Bisontin décède un peu plus de deux mois après Claude Neuschwander, célèbre patron de Lip après le conflit de 1973.

Charles Piaget lors du conflit Lip de 1973
Charles Piaget lors du conflit Lip de 1973

« On fabrique, on vend, on se paie » : le slogan des LIP a fait le tour du monde. Un conflit hors normes indissociable du parcours de Charles Piaget. Un syndicaliste à la parole limpide et charismatique.

L'usine Lip à Besançon
L’usine Lip à Besançon • © Lip, autoportrait par les ouvriers grévistes

La force du collectif

L’homme reconnaissait son rôle de leader, mais a toujours préféré mettre en avant le collectif. Pour lui, c’est la réelle force de cette lutte qui refusait les licenciements annoncés pour la manufacture horlogère LIP. Voilà ce que Charles Piaget déclarait en septembre 2020 à nos collègues :

En fait il faut relativiser tout cela. J’ai dû avoir quelques qualités pour arriver à avoir ce rôle pivot mais un combat, c’est éminemment collectif.Charles Piaget

Ce sens du collectif est au cœur de l’engagement de Charles Piaget.

Assemblée générale lors du conflit Lip de 1973
Assemblée générale lors du conflit Lip de 1973

Après avoir vécu l’aventure LIP jusqu’au bout, le Bisontin a pris sa retraite en 1983 et s’est retiré de la vie publique pendant dix ans avant de s’engager de nouveau. Cette fois-ci, c’était au côté des chômeurs avec le collectif AC !

À chaque combat, Charles Piaget s’appuie sur ses trois piliers : refus de la fatalité, force du collectif et dénonciation de la concurrence, qu’il surnomme “la recette du désastre”.

Charles Piaget, c’était aussi un esprit vif, une brillante mécanique intellectuelle. Retour sur la vie d’un Bisontin lucide, honnête et combatif.

Refus de la fatalité

Charles Piaget est né à Besançon en 1928. Son père était d’origine suisse. Fritz Piaget était venu s’installer dans la capitale comtoise et il a travaillé à son compte comme horloger. « Un « rhabilleur » capable de tout réparer dans une montre » raconte le journaliste Joël Mamet dans sa biographie de Charles Piaget, publiée en 2020. Dans ce livre, tout un pan inconnu de la vie du leader de LIP est dévoilé. On découvre que Charles Piaget n’a jamais connu sa mère, qu’il n’a même pas une photo d’elle.

L’épouse de Fritz Piaget était partie du foyer quelque temps après la naissance du petit Charles. Il passera les premières années de sa vie chez les Ubbiali, une famille bisontine qui l’adoptera à la mort de Fritz Piaget. Charles avait 15 ans lorsqu’il a perdu son père.

Embauché chez Lip à 18 ans

Dix ans plus tard, Charles épousera Annie Billot. À cette époque, il travaillait déjà chez LIP. Après une formation à l’École d’horlogerie de Besançon, il avait été embauché comme outilleur dans la célèbre manufacture l’année de ses 18 ans.

Un peu plus de 20 ans plus tard, il devient chef de fabrication aux ébauches. « Cela m’a plu, il y avait plein de problèmes à résoudre » peut-on dans le livre de Joël Mamet. Charles Piaget confie même à l’ancien journaliste de l’Est Républicain rêver de son travail, mais pas forcément de ses luttes syndicales.

Avec son épouse Annie, il milite à l’Action Catholique Ouvrière. L’un des fondements de ce mouvement est de « Placer l’homme au cœur de la société ». Une démarche que Charles Piaget gardera définitivement ancrée en lui.

Ce mouvement particulièrement formateur est en quelque sorte les prémices de son engagement ultérieur auprès de la CFDT et du PSU, le Parti Socialiste Unifié, incarnant la « Deuxième gauche » à partir de 1960.

En 1968, la France est en grève et rêve d’une société débarrassée de ses carcans sociétaux. Charles Piaget est le principal animateur de la grève de 68 chez Lip. Une sorte de répétition générale avant le grand conflit de 73.

Un conflit qui fait le tour du monde

Pendant neuf mois, les femmes et les hommes de cette manufacture horlogère que l’on surnomme déjà les « Lip », inventent chaque jour des actions originales pour faire vivre leur lutte sociale. Un conflit extrêmement novateur qui va faire le tour du monde.

Nous, on a dit non, pas question. Sur notre lancée de tout ce que l’on avait acquis depuis des années et des années de collectif et de démocratie, on a dit que l’on refusait la fatalité. On n’accepte pas, on veut autre chose.Charles Piaget

Une lutte qui incarne l’autogestion et fondée sur la participation de tous. Avec ce slogan qui fera date : « Ici on fabrique, on vend, on se paie » Tout devenait possible. Les salariés prenaient en main leur destinée en remettant en marche l’usine.

On était passible de prison, on était passible de ne pas retrouver d’emploi etc… Donc individuellement, c’était ingérable. Le collectif, lui, était capable de gérer dans les assemblées, on exposait la peur, les craintes et on essayait de raisonner autour de cette peur et de montrer qu’il y avait des possibilités de la vaincre.Charles Piaget

Dans les années 70, on l’a vu, ces idées sont portées par le PSU, le Parti Socialiste Unifié désormais incarné par Michel Rocard. Charles Piaget sera candidat aux législatives de 1978 pour le front autogestionnaire.

Charles Piaget et Michel Rocard en 1974
Charles Piaget et Michel Rocard en 1974

Le Bisontin aurait pu être candidat à la présidentielle de 1974, mais Michel Rocard se rallie finalement à Mitterrand dès le premier tour.

La suite de l’histoire est moins souvent racontée. En 1976, Charles Piaget mène à nouveau le combat pour tenter de sauver l’entreprise qui est en dépôt de bilan. Un conflit long, éprouvant, qui aboutira à la liquidation judiciaire de l’entreprise en 1977. Les 880 salariés de la société perdent leur emploi.  

On n’a pas réussi, mais pas Lip, c’est la gauche française, les organisations syndicales qui n’ont pas réussi à trouver la riposte qui était nécessaire au moment du choc pétrolier, de l’abandon de l’économie keynésienne vers autre chose.Charles Piaget

Les Lip continueront leur lutte en créant des coopératives.  

Le conflit Lip à Besançon
Le conflit Lip à Besançon

Charles Piaget travaillera pour l’une d’elles : Les Industries de Palente, spécialisées en mécanique de précision. Astucieusement, les trois lettres reprennent celle de la mythique marque horlogère : L.I.P. Il sera responsable technique jusqu’en 1983.

La retraite au Point du jour

Charles Piaget part en pré-retraite. Épuisé, il se retire de la vie publique et profite de sa maison du chemin du Point du jour. Une maison de maçon, construite en rentrant du travail avec l’aide de son père adoptif.

Les six enfants qu’il aura eu avec Annie grandiront dans cette maison. Son épouse décède en 1982 d’un cancer. Joël Mamet a longuement interrogé le leader syndical sur sa vie de famille. Charles Piaget reconnaît ne pas avoir su trouver un équilibre entre ses engagements et sa famille.

J’ai beaucoup culpabilisé. Vis-à-vis d’Annie et des enfants. J’ai passé trop de temps dans l’entreprise. Pendant le conflit, bien sûr. Et aussi avant, dans mon travail et mes responsabilités à l’outillage. J’ai réalisé, mais un peu tard, combien j’avais été amoureux de ma femme, et combien elle me manquait. Elle s’est tant investie pour nos enfants. Mes sentiments pour elle n’ont jamais faibli.Charles Piaget

En 1993, Charles Piaget sort de son silence pour une action concrète. Il participe à la création de l’association bisontine AC ! Agir ensemble contre le Chômage, une organisation qui rassemble chômeurs et actifs pour lutter contre le chômage. Un nouvel engagement qu’il tiendra pendant vingt ans.

Tout au long de sa vie, Charles Piaget n’a pas changé d’un ïota ses convictions. Le retraité continuera de participer à des débats et de suivre avec intérêt les initiatives contre le réchauffement climatique. Il est « devenu franchement écolo », observe Joël Mamet.

On n’a pas le choix. Dans la guerre économique, le maillon faible, c’est les salariés. Tout le monde se rattrape sur les salariés. Donc, c’est au maillon faible de s’organiser, de faire qu’ils puissent être capable de résister et d’appeler à la solidarité.Charles Piaget

Une cohérence qui force le respect de ses adversaires tout comme de ses admirateurs. Au printemps 2023, les manifestants contre la réforme des retraites avaient remarqué la présence discrète de Charles Piaget dans leurs rangs. Discret et toujours autant déterminé à combattre ce qu’il considérait comme injuste. 

Source: https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/doubs/besancon/infatigable-militant-pilier-du-combat-des-ouvriers-de-lip-charles-piaget-est-decede-a-besancon-1975558.html

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/infatigable-militant-pilier-du-combat-des-ouvriers-de-lip-charles-piaget-est-decede-a-besancon-france3-regions-4-11-23/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *