Interview d’Olivier Terrien secrétaire général CGT CHU Nantes. (sitecommunistes.org – 06/09/23)

olivier terrien

N° 837 06/09/2023 La CGT du CHU de Nantes, 1er syndicat de l’établissement conforte régulièrement sa place à chaque élection en augmentant en nombre de voix et en pourcentage.

Communiste Hebdo 1. Que penses-tu de la situation en général, après ces longues luttes contre la réforme des retraites adoptée en utilisant tous les outils disponibles dans la Constitution, article 40, article 49-3, malgré une forte opposition de la population, l’inflation qui flambe et aggrave les difficultés des salariés, des jeunes, des retraités, le remaniement ministériel et la nomination d’un nouveau ministre de la Santé ?

Olivier Terrien : Contre la réforme des retraites la CGT du CHU, a été fortement mobilisée, non seulement lors des journées intersyndicales mais aussi avec un soutien effectif aux entreprises en grève reconductible, présence sur les piquets de grève des entreprises en lutte et lors des blocages d’entreprises. La position de l’intersyndicale qui a appelé à des journées de manifestations et de luttes calquées sur le calendrier parlementaire pose des interrogations fortes. Les grèves reconductibles ne sont pas « un fantasme », comme l’a déclaré Maryse Léon, la secrétaire de la CFDT, mais un moyen pour inverser le rapport des forces en faveur des travailleurs, de ceux qui luttent. C’est un moyen pour faire plier le gouvernement et le capital. Les luttes passées nous ont monté qu’il fallait les toucher au « porte-monnaie », qu’il fallait attaquer leurs profits.

L’inflation est durement ressentie pour de nombreux foyers, pour le personnel hospitalier c’est dramatique, la France est à la 28ème position sur 32 pays dans le classement des rémunérations des infirmières et infirmiers à l’hôpital. En juillet le point d’indice a été revalorisé de 1,5%, passant de 4,85€ à 4,9227€, même pas 5€ !!! Le gouvernement a annoncé « une prime pour certains agents de la fonction publique hospitalière ». C’est pas pour des primes qu’on se bat mais pour des augmentations de salaire, pour le rattrapage du gel du point depuis plus de 10 ans. Avec l’augmentation du prix de l’énergie, de l’essence, des produits alimentaires, beaucoup n’arrivent plus à boucler les fins de mois, ce qui crée des angoisses qui s’ajoutent aux conditions de travail de plus en plus dures.

C’est pas la nomination d’un nouveau ministre de la santé qui changera quoi que ce soit, les options politiques sont les mêmes. A. Rousseau a déjà fait ses preuves lors de son passage à l’ARS[1] de l’Île de France : il a favorisé la fermeture de lits, les restructurations de services et le développement du secteur privé. Il appliquera la politique de Macron qui accélère la destruction de l’hôpital public. Ce n’est que par la lutte qu’on aura un service public de santé répondant aux avancées scientifiques et techniques du 21ème siècle, un service de santé public financé à 100% par la sécurité sociale et 100% gratuite.

Communiste Hebdo 2. Quelle est ton analyse de la situation de l’hôpital public aujourd’hui, situation résultant d’une politique de santé qui part de loin, avec un but bien précis que tu as déjà évoqué lors de plusieurs de tes interventions dans les média et lors des luttes pour défendre l’hôpital public.

Olivier Terrien : Les Français sont très attachés à l’Hôpital Public et à la Sécurité sociale ; les attaquer de front était voué à l’échec aussi tous les gouvernements de droite, socialiste de coalition, sont contraints d’avancer « masqués ». Mais dès les premières réformes le but était fixé : casse de l’hôpital public, privatisation du système de santé et chaque réforme permettait d’aller plus loin.

Sous Sarkozy on a eu : « Le plan Hôpital 2007, avec la T2A[2]», « Loi HPST, création des ARS, mise en place des Communautés hospitalières de territoire », sous Hollande : la « Loi Modernisation de Notre Système de Santé, (Marisol Touraine) », avec l’obligation de créer des Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT) et d’y associer « les établissements privés[3] », avec Macron : la « Loi Ma Santé 2022, Buzyn,[4]», puis le « Ségur de la santé ».

Ces différentes lois mettent tout en œuvre pour casser le service public hospitalier et pour le livrer aux mains de la finance. Le service public hospitalier n’est pas le seul à être attaqué, tous les services publics sont concernés. Tous les gouvernements appliquent la même stratégie : déléguer une partie des activités des services publics au privé, qui, peu à peu les phagocyte.

Macron poursuit la même politique que les gouvernements précédents il veut finir ce que ses prédécesseurs ont commencé : la casse de l’hôpital public pour le livrer au privé. Depuis longtemps ils ont préparé la population à cette privatisation de l’hôpital public.

En permettant l’activité libérale de la médecine à l’hôpital et en autorisant les dépassements d’honoraires, on a introduit non seulement une inégalité de traitement entre patients, ceux qui peuvent payer sont pris en charge plus rapidement, mais aussi c’est la gratuité des soins qui est battu en brèche : si on paye dans le public pourquoi ne pas aller dans le privé.

Les Groupement coopératifs sanitaires (GCS) public-privé font rentrer le privé dans l’hôpital public. Au CHU de Nantes, à Saint Brieuc, à Maubeuge, etc. a été mis en place une mutualisation du service d’imagerie médicale (scanner, radio, IRM), les rendez-vous sont pris du jour au lendemain, dans le privé, pour l’hôpital public il faut attendre un mois et parfois plus. Le GSC a le droit de recruter du personnel de droit privé. L’hôpital public n’a pas vocation à privatiser ses missions et son personnel

Les GHT mettent en concurrence l’hôpital public/clinique privée. Les services désignés comme « doublons » seront fermés. Les GHT accélèrent les fermetures de services, de lits et suppriment des milliers d’emplois publics. Ils ont comme objectif : la réduction des coûts de santé, la casse du statut des personnels hospitaliers. C’est une dégradation sans précédent de l’offre et de la qualité publique de soins.

Le désengagement de l’État dans les investissements des hôpitaux, les pousse à souscrire des emprunts toxiques. Par exemple, le CHU de Nantes a contracté 3 emprunts dits « toxiques » dont un indexé sur le franc Suisse qui l’oblige à faire des provisions d’un montant de 43 millions d’euros pour assurer des taux d’intérêt incontrôlables. Dans le même temps, les ARS facilitent les réorganisations du secteur privé lucratif en lui accordant des autorisations d’activité sans les contraintes du service public et en subventionnant ses opérations de restructuration.

L’enveloppe des dépenses est bien inférieure aux coûts qui augmentent, aucun financement ne lui permet de tenir le coup. Le budget 2023 est en baisse du fait de l’inflation et va entraîner de nouveau des plans d’économies, des fermetures de lits des suppressions de postes. Pour boucler le budget c’est une rallonge de plus de 3 milliards d’euros qu’il faudrait.

L’ARS et les directeurs d’hôpitaux misent sur l’ambulatoire, pour faire des économies, là aussi c’est une concurrence déloyale avec le privé. Dans le privé on fait un tri des patients et on ne garde que ceux qui rapportent, les autres sortent, ce qui libère des lits, et c’est l’hôpital public qui assure le suivi des patients des cliniques privées.

Le développement de l’ambulatoire a multiplié la suppression de lits d’hospitalisation traditionnelle, et donc une diminution du nombre de lits d’aval pour les urgences. D’où la crise des urgences, il n’y a plus assez de lits pour les accueillir.

Le ministère, l’ARS, les directions des hôpitaux publics pratiquent une politique de renonciation aux soins. Le gouvernement a lui-même créé la pénurie de personnel pour justifier les fermetures de lits, on rallonge les délais de prise en charge et ceux qui ont les moyens vont dans les cliniques privées, les autres renoncent aux soins.

Les restructurations des hôpitaux se traduisent systématiquement par des fermetures de lits. L’ARS quand elle décide d’une restructuration d’un hôpital oblige à des réductions de lits et sous dimensionne la superficie des nouveaux bâtiments, ce qui entraine une diminution de l’activité. C’est le cas de l’hôpital Nord Franche Comté, où il manque 200 lits, de l’hôpital Grand Paris Nord à Saint Ouen qui doit regrouper les hôpitaux de Bichat (Paris) et Beaujon (Clichy), 200 lits d’hospitalisation conventionnelle supprimés et 1 200 places en maternité en moins, au CHU de Nantes, la reconstruction sur l’Île de Nantes, est sous dimensionnée pour regrouper les différents services transférés sans qu’il n’y ait aucune de possibilité d’extension.

Des services entiers sont livrés au privé, c’est le cas du service de chirurgie de la main du CHU de Nantes qui a été transféré intégralement à « la Clinique de la main » du groupe Elsan[5] auquel le CHU verse une dotation pour les urgences.

Depuis plusieurs décennies les soignants luttent pour exiger des créations de postes, des ouvertures de lits, la revalorisation des salaires. Le manque d’effectif met en danger l’hôpital public et si la crise est plus marquée aux urgences, elle n’épargne aucun service. Lors du Ségur 15.000 recrutements avaient été promis pour l’hôpital public, on les attend toujours !

Il n’y a plus personne sur le marché du travail, le personnel soignant est épuisé, les arrêts de maladie, l’absentéisme explosent, les soignants n’en peuvent plus. Il y a davantage de démissions que d’embauches.

Rien n’a été fait pour anticiper les départs en retraite, au contraire c’est un moyen utilisé pour fermer des services. Au centre hospitalier Erdre et Loire d’Ancenis, la directrice annonce la fermeture de la maternité en novembre, prenant prétexte du départ à la retraite d’un gynécologue obstétricien. Fermeture de la maternité, fermeture des urgences la nuit, diminution de l’offre de soin c’est l’hôpital d’Ancenis qui est menacé de fermeture.

Aucun plan de formation, aucun moyen financier à la hauteur des besoins. Il faudrait d’ici 2030 créer 110 000 postes d’infirmières et de sages femmes, 110 000 postes d’aides-soignant(es), 20 000 médecins. On est loin du compte !

La dégradation des conditions de travail, l’institutionnalisation de la maltraitance, les rémunérations poussent les soignants vers la sortie, 200 000 infirmières en âge de travailler ont quitté leur profession

Les sous-effectifs entraînent une dégradation de la qualité de vie au travail. L’intensification du travail, la course à l’activité pour être rentable conduisent à une déshumanisation des soins. Faute d’effectifs, les soignants doivent accélérer les cadences et passer moins de temps auprès des patients ce qui nuit au temps d’échange avec le patient. Il arrive qu’un soignant soit amené à prendre en charge 24 patients le jour et plus de 40 la nuit. C’est impossible de prendre soin des patients dans ces conditions. L’augmentation de la charge et du rythme de travail avec moins d’agents oblige de revenir travailler les jours de repos, d’enchaîner les gardes de l’après-midi avec celles du matin, d’effectuer des remplacements au pied levé. Ces conditions ont un impact tant physique que psychologique sur la santé(6) des agents.

Misère du secteur psychiatrique laissant des patients sans surveillance et sans suivi des traitements occasionnant des conséquences à la fois mentales et sociales, la pédopsychiatrie est la plus touchée, manque de personnel, délais de prise en charge de plusieurs mois, fermetures de lits et de places se poursuivent.

Les salaires insuffisants de l’hôpital public font que nombre de soignants ne résistent pas à l’offre des cliniques privées qui leur proposent « de tripler leur salaire en travaillant deux fois moins de nuits par mois ».

Les gouvernements successifs ont donné suffisamment d’outils pour casser l’hôpital public. Mais c’est sans compter sur la lutte, sur le dévouement des personnels hospitaliers qui tiennent à bout de bras l’hôpital. Les usagers ont un rôle déterminant dans ce combat contre cette politique de casse du gouvernement.

Communistes hebdo 3. Tu as bien montré comment depuis plusieurs années tout est fait pour livrer au privé l’hôpital public. Comment organiser la lutte ? Quelles sont les solutions ?

Olivier Terrien : L’hôpital public n’est pas la propriété des hospitaliers, l’hôpital public appartient aux usagers. C’est avec eux qu’on fera reculer le gouvernement et qu’on imposera un service public hospitalier qui réponde aux besoins de la société. Quand on parle de santé on touche à toute la société et il faut être réactif à chaque attaque, mobiliser non seulement les soignants mais aussi les usagers. Il faut aller beaucoup plus loin que la manifestation

Seule la lutte permettra d’arrêter la casse de l’hôpital public, d’obtenir les moyens financiers pour développer l’hôpital public. La santé doit être un service public avec un financement à 100% de la Sécurité sociale. Pour que l’hôpital public remplisse ses missions il faut augmenter ses moyens financiers, augmenter les salaires de tous les personnels, améliorer les conditions de travail, par un recrutement massif de personnels titulaires, développer la formation, pour que l’hôpital retrouve son attractivité il faut que les soignants aient de vraies perspectives d’évolution de carrière. Les moyens existent il faut arrêter de faire des cadeaux au patronat en supprimant les cotisations sociales. Il faut que la Sécurité Sociale soit financée par les cotisations sociales prélevées à part égale (50%) sur les salaires et les richesses produites par les salariés (part patronale), et que l’État compense à la Sécurité Sociale toute perte de recettes occasionnée par une décision de l’exécutif. Et ça c’est tous ensemble que nous pourrons l’obtenir. Toutes ces batailles sont absolument nécessaires, elles montrent ô combien un changement de société débarrassé de l’exploitation capitaliste est indispensable pour faire de la santé des travailleurs un sujet prioritaire et non celui des profits capitalistes.

[1]. Agence Régional de Santé

[2]. Tarification à l’activité

[3]. Cf Hebdo n° 399, avril 2015, Les socialistes accélèrent la casse du système de santé public

[4]. Cf Hebdo n° 599, février 2019, A. Buzyn veut en finir avec le service public hospitalier

[5]. Premier opérateur de santé privé de France.

    (6) Pour rappel : définition de la santé selon l’OMS : « état de complet bien être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité »

Source : Interview d’Olivier Terrien secrétaire général CGT CHU Nantes (sitecommunistes.org)

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