Italie. En Toscane, les fascistes avancent masqués(l’Huma.fr-26/07/22)

Le 7 juin, à la veille des élections, Giorgia Meloni, la cheffe de Frères d’Italie, est venue à Pistoia soutenir Alessandro Tomasi.

Italie-À Pistoia, jadis place forte de la gauche, Frères d’Italie, le parti qui caracole en tête pour les législatives du 25 septembre, a conquis le pouvoir. Réélu maire triomphalement en juin, son représentant surjoue la modération, se payant le luxe de récupérer la Résistance.

Pistoia (Toscane, Italie), envoyé spécial.

Le temps passe, lasse, casse, et tout s’efface à une vitesse. Il y a un peu plus d’un mois, la ville de Pistoia, au nord de la Toscane, était encore pleine d’affiches électorales pour les municipales. Là, tout a été nettoyé, elles ont disparu. Pas remplacées, déjà, par d’autres en prévision des législatives anticipées, provoquées par la chute du gouvernement de Mario Draghi – il est un peu tôt encore, même si, comme le scrutin est prévu le 25 septembre, ça viendra sans doute vite. Aujourd’hui, çà et là, la cité n’est pavoisée que de drapeaux des quartiers pour la Giostra dell’Orso. Une forme locale de compétition à cheval sur la place du Duomo, aux origines médiévales un peu floues, voire douteuses, une « tradition » qui, célébrée le 25 juillet pour la fête du saint patron de la cité, San Jacopo, sert à la fois la cocarde et le tourisme.

Haut lieu de la résistance à Mussolini et aux nazis, fief communiste pendant des décennies et laboratoire des politiques parmi les plus progressistes d’Italie, notamment sur l’éducation et la petite enfance, Pistoia a, dès le premier tour, le 12 juin, réélu Alessandro Tomasi, avec 51 % des voix. Une énigme ? Hélas, non ! Après leur première victoire en 2017, Giovanni Donzelli, un des dirigeants de Frères d’Italie (FdI), avait exulté devant ce qui restait alors une divine surprise : « Après soixante-dix années de règne sans partage de la gauche, nous sommes parvenus à ravir Pistoia. Cela démontre notre sérieux et notre capacité à parler clairement aux citoyens, en supplantant leurs projets idéologiques hors d’âge. »

Un maire proche d’un groupuscule mussolinien

À présent, en vue des prochaines élections, Giorgia Meloni, la présidente du parti directement héritier du mouvement fasciste de l’après-guerre, décline, au niveau national, un refrain entremêlant banalisation de sa ligne politique décrite comme simplement conservatrice et attaques contre l’échec quasi séculaire de la gauche. « La campagne va être dure à notre encontre, mais nous ne nous laisserons pas intimider, affirme-t-elle. Je pense que la gauche va avoir besoin d’inventer un nouveau canon à boue contre nous, parce qu’elle ne peut rien nous reprocher de concret et de vrai. Nous n’aurons pas besoin d’un tel engin parce qu’il nous suffit de raconter les désastres qu’ils ont produits en Italie depuis des années. »

À Pistoia, Alessandro Tomasi tient à merveille ce rôle de néofasciste au-dessus de tout soupçon. En dehors d’une certaine fixation contre Don Massimo Biancalani, qui organise un accueil des migrants, il gère, sans durcir ni hausser le ton, toujours attentif et affable. Tout glisse sur lui : il a été très proche, voire membre de CasaPound, un groupuscule ouvertement mussolinien. En 2009, conseiller municipal sous l’étiquette d’Alliance nationale qui deviendra FdI ensuite, le désormais maire se trouvait dans le local de ce parti lors d’une « attaque par des anarchistes » et, à l’époque, il en avait témoigné lui-même. « Mais il ne faisait que passer pour profiter des toilettes, c’est sûr », raille une de ses opposantes aujourd’hui. Deux ans plus tard, c’est du même cercle que partira un militant pour aller mitrailler des immigrés à Florence – deux Sénégalais furent tués dans cet attentat.

Une extrême droite au pouvoir en tenue de camouflage

Cette année, Lorenzo Berti, le leader local de CasaPound, candidat sur la liste de la Ligue, alliée de FdI, aux municipales de juin, a fait scandale en qualifiant le 25 avril, date de la libération du nazisme et du fascisme en Italie, de « jour de deuil national ». De quoi ulcérer Alessandro Tomasi qui a immédiatement pris ses distances, lui qui vante en permanence ses « bons rapports » avec l’association représentant la mémoire des partisans (Anpi) ou avec la Cgil, lui qui a donné aussi une sépulture monumentale à Silvano Fedi, un des héros de la Résistance à Pistoia, mais qui, toutefois, ne trouve rien à redire aux vitrines de CasaPound présentant, en plein cœur de la ville, via della Madonna, une collection d’ouvrages et tee-shirts apologétiques du fascisme italien…

“la grande affaire politique à Pistoia, ce n’est plus l’emploi, ce n’est pas la santé, ce ne sont pas les services publics ou les biens communs, ce sont les trous sur les routes.”

En réalité, avec cette extrême droite au pouvoir en tenue de camouflage, la grande affaire politique à Pistoia, ce n’est plus l’emploi, ce n’est pas la santé, ce ne sont pas les services publics ou les biens communs, ce sont les trous sur les routes. À la fois carburant de leur victoire et preuve de leur efficacité, avec Frères d’Italie et son maire, on rebouche à tous crins.

Repliés lundi midi dans une oasis de fraîcheur – un cercle associatif de l’Arci qui fait restaurant au bord d’un petit lac dans la montagne proche de Pistoia –, Francesco Branchetti, Mattia Nesti et Greta Bonacchi, les trois élus au conseil municipal pour la liste de gauche alternative « Prendersi cura, fare politica » (« Prendre soin, faire de la politique ») rassemblant communistes, écologistes et gauche du parti démocrate (PD), décrivent les ressorts de l’adhésion à leurs adversaires. « La droite s’affiche comme modérée et efficace, rapporte Francesco. En plus des trous sur la chaussée, ils interviennent sur le quotidien, tondent les pelouses, mettent des jeux dans les parcs, refont les cimetières… Ce sont des choses que les citoyens attendent, et Tomasi leur propose une réponse immédiate. Pendant la campagne, les gens nous parlaient de ça, et ils ont raison, il faut le faire, avec de la planification. Mais dans les conversations, à un moment donné, je demandais à mes interlocuteurs : “Mais vous, quelle communauté vous êtes ? ”  Et là, souvent, les mots manquaient, et plus grand monde n’arrive à se penser collectivement. C’est de là aussi que vient le succès de gens comme Tomasi, Meloni et les autres. Et, nous, à gauche, on doit absolument rouvrir une possibilité de collectif, de société. »  Greta ajoute : « Moi, les prochaines élections, je ne les sens pas bien du tout, je dois dire. La droite parle directement à l’estomac des jeunes comme moi, beaucoup vivent dans l’instant, sans penser au futur et encore moins au passé, bien sûr. La précarité est galopante. Évidemment, des gens comme Berlusconi, Salvini et Meloni l’alimenteront, mais ils font diversion en essayant de rendre les étrangers coupables de la situation… »

Illustration de ce sans-gêne néofasciste à Lamporecchio

Même dans ce lieu reculé et préservé, emblématique de la gauche toscane, avec ses drapeaux « Paix » et ses affiches en soutien à la lutte des ouvriers de la GKN, une usine florentine occupée depuis près d’un an, les néofascistes prennent désormais leurs aises. Rosalia Billero, militante de Refondation communiste et cheffe en cuisine, rapporte qu’une adjointe d’Alessandro Tomasi est venue ces derniers jours. « Puis, il y avait ce gars avec des tatouages fascistes partout qui était là, je n’en croyais pas mes yeux, mais on pouvait même pas le jeter au lac parce qu’il aurait pollué », raconte-t-elle à ses camarades.

Autre illustration de ce sans-gêne néofasciste à Lamporecchio, lundi soir, pour une fête organisée en mémoire de la « pâte antifascistes » offerte par les frères Cervi à l’occasion de la chute du fascisme, le 25 juillet 1943. Après avoir rappelé le « symbole de liberté et d’humanité » de l’événement, Roberta Mazzei, la présidente de l’antenne locale de l’Anpi, s’avance à pas comptés sur le présent. « Pour l’antifascisme, aujourd’hui, la lutte principale, c’est contre les souverainistes et les populistes, argue-t-elle. Le problème, plus que le FdI en tant que tel, c’est plus les gens comme CasaPound qui viennent occuper les espaces que la gauche a abandonnés. On doit faire très attention quand on voit qu’ils se mettent à faire les courses, à aider aux devoirs, à aider les personnes âgées, c’est une stratégie très dangereuse… »

À Lamporecchio, l’extrême droite n’a pas encore pris le pouvoir, mais le temps où, comme le rappelle l’ancien maire PD, Aldo Morelli, le Parti communiste faisait 90 % des suffrages et comptait un adhérent pour six habitants paraît bien plus éloigné encore. Présent à la soirée « pâtes antifascistes », Ivano Bechini, secrétaire provincial de Refondation communiste, glisse également un mot, au diapason du climat général. « Le problème de l’Italie, c’est cette mémoire courte. À Pistoia, l’extrême droite dit qu’elle va couper le gazon, puis ce sont les espaces de démocratie qu’elle va couper. Ces gens-là sont aussi dangereux parce qu’ils ont étudié Gramsci et qu’ils déclinent leurs concepts désormais en appliquant son raisonnement. » Trous dans la chaussée, trous de mémoire : l’extrême droite avance en Italie.

Thomas LEMAHIEU

source: https://www.humanite.fr/monde/italie/italie-en-toscane-les-fascistes-avancent-masques-759003

__________________________________________________________________________________________________________

Législatives. Giorgia Meloni, la cheffe de Frères d’Italie, s’impose à droite.

Après la démission de Mario Draghi, lâché en fin de semaine dernière par le Mouvement 5 étoiles (M5S), puis par la Ligue et Forza Italia, la recomposition politique italienne est lancée à la hâte. Au centre gauche, le Parti démocrate (PD) se cherche des alliés en lorgnant surtout l’aile sociale-libérale de Matteo Renzi. Les « anti-système » du M5S se définissent comme « progressistes » et dénoncent un « virage libéral » du PD. Derrière Luigi de Magistris, l’ancien maire de Naples, Refondation communiste, Potere al Popolo et quelques ex-5 Étoiles ont lancé une coalition baptisée Union populaire juste avant la chute du gouvernement. Si rien n’est prêt encore à gauche, les jeux paraissent d’ores et déjà faits à droite : quasi assurés de l’emporter grâce à une loi électorale qui leur est plus que favorable et donnés ensemble à 40-45 % dans les sondages, les représentants de Frères d’Italie, de la Ligue et de Forza Italia se retrouvent, ce mercredi, pour sceller leur alliance et, même si les berlusconiens font mine de renâcler, faire allégeance à la favorite, Giorgia Meloni.

__________________________________________________________________________________________________________

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *