
Âgé aujourd’hui de 93 ans, Jacques Auffret avait huit ans lorsqu’un bus rempli de réfugiés espagnols s’est arrêté à Callac (22), le 28 août 1937. Parmi eux : sa future belle-sœur, Maria Magdalena Reina. « Accueillir l’autre, cela reste notre devoir », assène le vieux militant communiste.
Il est trop vieux pour avoir couru aux deux manifestations en faveur de l’accueil des réfugiés et du projet Horizon de Callac. Mais, de son pavillon situé à deux pas de l’ancien collège Saint-Laurent, racheté par la municipalité, Jacques Auffret, 93 ans, ne rate pas une miette de cette actualité qui secoue son bourg natal, depuis le printemps 2022.
« Noir, blanc ou jaune, on s’en fout. Un réfugié qui a dû fuir son pays mérite d’être accueilli. Ici, à Callac, on a toujours su ouvrir notre porte. Ceux qui ne le supportent pas n’ont rien compris ! », s’empourpre, à ce sujet, l’ancien agent GDF, qui a l’histoire locale « dans son cœur et dans sa chair ».
Aujourd’hui veuf, le nonagénaire est aussi l’un des derniers témoins vivants de l’arrivée de ces autres réfugiés espagnols en Centre-Bretagne, il y a 75 ans. Eux fuyaient la guerre civile et le pilonnage des républicains par le régime franquiste. Un bus, en provenance du camp de transit du Gouédic, à Saint-Brieuc, s’est arrêté à Callac. « C’était le 28 août 1937. J’avais huit ans, je suis tombé sur eux, place de l’Église, en rentrant avec le pain de la boulangerie. Il faisait presque nuit, raconte-t-il. Je me souviens d’une forte effervescence et de prises de parole, avec le maire (rouge et radical !) Louis Toupin. Il fallait savoir qui allait héberger ces familles ».

Noir, blanc ou jaune, on s’en fout. Un réfugié qui a dû fuir son pays mérite d’être accueilli. Ici, à Callac, on a toujours su ouvrir notre porte. Ceux qui ne le supportent pas n’ont rien compris !
« Aider ces braves gens, c’était normal »
Chez les Auffret, il y aura, momentanément, les deux jeunes garçons, Esteban et Marie Luisa. « On s’est partagé nos lits en alcôve pendant une semaine. On allait à l’école tous les matins ensemble, c’est comme ça que j’ai appris à compter en espagnol ». Femme de chambre à l’hôtel Toupin, la mère de Jacques Auffret avait eu onze enfants (dont trois mort-nés) et ne gagnait pas large. « Mais c’était une fervente militante communiste. Aider ces braves gens, c’était normal », résume l’avant-dernier de la grande fratrie, les larmes aux yeux.

Une cinquantaine de personnes ont d’abord été réparties, qui aux grands haras de Callac, qui chez Marie Geffroy, la charcutière, qui chez le facteur, Monsieur Daniel. « Six mois plus tard, beaucoup n’étaient déjà plus là. Trois familles se sont durablement installées. Elles se sont tellement bien intégrées que, dix ans plus tard, tout le monde avait oublié d’où elles venaient ». Jacques Auffret a très bien connu les Salviejo. Et encore plus les Reina. « La maman, Francisca, était arrivée le fameux 28 août 1937, avec ses trois filles Magdaleina, Carmen et Pepita, et son fils Manolito. Le papa, militant républicain, a passé sept ans en prison, avant de les rejoindre, en 1947. Magdaleina, devenue Madeleine, s’est mariée à mon frère Job (Joseph), en avril de la même année. Ils ont ensuite tenu une pâtisserie au bourg ».
De l’espagnol au breton !
Tous les deux sont décédés aujourd’hui. De même que Julia Salviejo, qui a su faire fructifier après-guerre son atelier de couture : « Elle habillait tout le monde, de Callac jusqu’à Saint-Brieuc ! », se souvient Jacques Auffret. Lui aussi militant (il a été secrétaire des jeunesses communistes de Callac, avant de devenir secrétaire général CGT de la base GDF de Villemomble, en région parisienne), le retraité vante, encore aujourd’hui, les capacités d’adaptation de sa belle-sœur, et de tous les autres réfugiés espagnols.
« Un an après son arrivée, à 14 ans, Madeleine passait son certificat d’études, elle qui ne parlait jusqu’alors pas un mot de français. Elle s’est aussi mise au breton. Jeune fille, c’est elle qui allait chercher les cochons dans les fermes pour la charcutière ! »

Bien sûr, il y a aussi eu de l’animosité à Callac, en 1937. Cela venait surtout des défavorisés, qui avaient peur de se retrouver moins bien lotis, à cause de l’aide aux réfugiés. Il n’en a rien été
« Il y a aussi eu de l’animosité en 1937 »
Cette histoire, Maria Magdalena Reina l’a longuement léguée, par écrit, dans un numéro du Cahier du Poher, publié sept ans avant sa mort, en 2012. Elle y évoquait ses souvenirs « humbles mais tragiques ». « En Espagne, sous l’implacable dictature de Franco, quelle aurait été ma vie ? Si tant est que je sois restée vivante ! Puisse mon modeste témoignage éveiller la vigilance de la jeunesse d’aujourd’hui, en ce début du XXIe siècle déjà si perturbé, afin que ne ressurgisse pas le fascisme, avec toutes les horreurs qui l’accompagnent ».

Des mots qui font trembler les mains de Jacques Auffret. « Bien sûr, il y a aussi eu de l’animosité à Callac, en 1937. Cela venait surtout des défavorisés, qui avaient peur qu’on ne leur donnerait plus ce que l’on donnerait aux républicains espagnols. Il n’en a rien été », témoigne-t-il. Et de revenir à la polémique autour du projet Horizon. « L’esprit revanchard affiché aujourd’hui par certains me rappelle de très mauvais souvenirs et me désole. Je suis pour la tolérance et contre l’ignorance, termine-t-il. Tant que je suis en vie, je ferai tout pour aider les réfugiés ».
Auteur : Sophie Prévost