“Je ne suis pas un kleenex” : les soignants non vaccinés pas emballés par un retour à l’hôpital, Marianne (05/05/23)

Les députés ont adopté, ce jeudi 4 mai, une proposition de loi du groupe communiste prévoyant l’abrogation de l’obligation vaccinale contre le Covid-19. Prochaine étape : l’étude du texte au Sénat. Humiliation, dégoût, déception… Après 18 mois de suspension d’activité et de revenus, la plupart des soignants concernés, interviewés par « Marianne », n’envisagent pas un retour à l’hôpital

Pour la plupart des groupes parlementaires, c’est une victoire… mais qui sont les vrais vainqueurs ? L’Assemblée nationale a adopté, ce jeudi 4 mai, une proposition de loi du groupe communiste prévoyant l’abrogation de l’obligation vaccinale contre le Covid-19. Le gouvernement s’était opposé à cette mesure définitive, lui préférant la suspension de l’obligation par décret dont la parution est prévue le 14 mai. Selon le ministre de la Santé, François Braun, l’abrogation pure et simple de la loi du 5 août 2021, instaurant l’obligation vaccinale, « aurait des conséquences dangereuses » et « affaiblirait notre capacité de réponse ».

La proposition de loi du député communiste de Guyane, Jean-Victor Castor, a obtenu 157 voix pour (137 contre). Mais une question demeure : 18 mois après la suspension de quelque 4 000 soignants, dont 500 infirmiers, selon la Fédération hospitalière de France (FHF), cette loi va-t-elle réellement intéresser les principaux concernés ? Le sentiment des soignants interrogés par Marianne est pour le moins mitigé.

La résignation malgré l’humiliation

Certes, certains s’en réjouissent, à l’image d’Élisabeth, psychiatre à l’hôpital de Bayonne : « Je suis très contente. Même s’il reste l’étape de l’étude du texte par le Sénat, cela montre une prise de conscience au niveau de nos élus. » À six mois de la retraite, la soignante n’a pas hésité longtemps avant de prendre la décision de revenir, ne serait-ce que pour conserver sa propre dignité : « J’y retourne pour avoir la tête haute », affirme Élisabeth, qui avoue s’être sentie « humiliée » pendant ces 18 mois de suspension.

Même ressenti pour Anna*, infirmière en clinique dans les Hautes-Alpes, qui confie à Marianne avoir « pleuré de joie face à la reconnaissance d’une partie des députés ». Mais elle a rapidement déchanté : « Hier, ma supérieure m’a appelée pour me donner trois jours de travail, se rappelle Anna. J’étais contrariée : seulement trois jours ? J’espère qu’elle va me rappeler pour me réintégrer à 100 %, c’est-à-dire à hauteur de 125 heures par mois. » Comme l’ensemble des soignants concernés, l’infirmière pourra réintégrer sa clinique à partir du 15 mai, au lendemain de la publication du décret.

Double suspension

Mais les positions d’Élisabeth et d’Anna sont loin de faire l’unanimité. Les sentiments d’injustice, de déception voire de dégoût prennent le dessus sur le désir de ces anciens soignants de retrouver leurs fonctions. « Ils nous ont traités comme de la merde, nous ont virés comme des malpropres et maintenant qu’ils ont besoin de nous, on doit revenir comme des fleurs à notre poste ? Je ne suis pas un mouchoir qu’on prend, qu’on jette puis qu’on reprend », s’insurge une aide-soignante. D’autant que depuis le 15 septembre 2021, aucun soignant suspendu n’a été rémunéré par son employeur. Pis, aucune indemnisation n’est prévue à leur retour, de quoi finir de démoraliser nombre d’entre eux.

« Cette double suspension – de l’activité d’une part, et de la rémunération d’autre part – est une innovation de la loi de 2021. Cela n’était jamais arrivé auparavant », se désole Me David Guyon, avocat en droit public au barreau de Montpellier. Le conseiller, qui dénombre parmi ses clients près de 250 soignants non vaccinés, a pu le constater : pour eux, « la vie a continué ». Comprendre, au cours de ces 18 mois, certains se sont reconvertis, d’autres ont enchaîné les petits boulots pour combler l’absence de salaire.

« Après trois mois sans revenus, je n’ai pas eu le choix regrette Gwendoline, ex-infirmière en psychiatrie. J’ai dû multiplier les rendez-vous à Pôle emploi pour espérer toucher le revenu de solidarité active (RSA). Actuellement, je travaille en tant que chargée d’accueil dans le secteur de l’automobile. » Pour autant, elle n’envisage à aucun moment de retrouver son ancien travail, et surtout ses anciens collègues : « J’éprouve une immense rancœur envers tous ceux qui ont promis de me soutenir, et aux yeux desquels je suis peu à peu devenue une inconnue. »

Pour certains d’entre eux subsiste l’espoir d’obtenir réparation pour ces nombreux mois d’absence de revenus. « Il existe la possibilité d’être indemnisé de l’application d’une loi, fusse-t-elle légale, à la condition que le préjudice subi soit anormal et spécial », souligne Me Guyon. Si la possibilité d’être dédommagé n’est pas prévue par la proposition de loi des députés communistes, les soignants ont toujours la possibilité de faire appel à un avocat pour intenter un procès à leur employeur. « J’ai tout de même une crainte, glisse l’avocat. Ce serait qu’une nouvelle loi intervienne spécifiquement pour empêcher la réparation des soignants suspendus. » La goutte d’eau qui ferait déborder la seringue ?

Par Cloé Sémart

Source: https://www.marianne.net/societe/sante/je-ne-suis-pas-un-kleenex-les-soignants-non-vaccines-pas-emballes-par-un-retour-a-lhopital

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