Jeux olympiques 2024 : 45 000 bénévoles qui ressemblent fort à des salariés. (Mediapart – 1/08/23)

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Des volontaires posent sur l’esplanade du Trocadéro, en septembre 2017, après que le Comité International olympique ait nommé Paris ville hôte des Jeux olympiques d’été 2024. © CHRISTOPHE SIMON / AFP

En 2024, les Jeux olympiques feront appel à plus de 45 000 bénévoles. « Le plus grand programme de volontaires jamais réalisé en France », s’est réjoui le président du comité d’organisation. « Une campagne de travail dissimulé », rétorquent ses opposants. 

ansDans un an, la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques 2024 s’ouvrira à Paris. La ministre des sports, Amélie Oudéa-Castéra, l’expliquait récemment sur France Inter : « C’est un vrai projet pour notre pays… Il faut qu’on arrive à projeter cette image d’un pays qui est audacieux, qui est confiant en lui-même et qui est conquérant. » En effet, plus qu’une compétition sportive, l’organisation des Jeux dit beaucoup du projet de société que porte le gouvernement : urbanisation à marche forcéegentrificationtension sécuritaire… et travail gratuit. 

En mai dernier, le comité olympique annonçait la fin de la période de candidature pour devenir bénévole. Alors qu’il cherchait 45 000 personnes, ce sont près de 300 000 candidat·es qui se seraient manifesté·es. « Pour une grande part, ce sont des passionnés de sport ou des sportifs eux-mêmes, qui ont déjà participé à au moins une expérience de volontariat. Il y a aussi des novices, qui ont envie de s’engager pour la première fois dans cette expérience unique, découvrir les dessous d’un grand évènement et contribuer à sa réussite », assure l’organisation auprès de Mediapart. Les JO 2024 s’inscrivent donc dans une longue tradition des Jeux olympiques, qui d’édition en édition, s’appuient sur des petites mains non rémunérées, au nom de la passion du sport.  

« Le plus grand programme de volontaires jamais réalisé en France », s’est réjoui Tony Estanguet, le président du comité d’organisation. « Une campagne de travail dissimulé », rétorquent ses opposants. Ils insistent sur le fait que les Jeux s’installent en Seine-Saint-Denis où le taux de chômage est déjà important, culminant, au premier trimestre 2023, à 9,8 %, soit presque 3 % au-dessus de la moyenne nationale. 

Une procédure de candidature lourde

Parmi ces milliers de candidat·es bénévoles, Emma, étudiante de 22 ans en licence de sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS). Elle a été sollicitée par courriel par sa fédération de volley en août 2022 pour devenir bénévole pour les Jeux olympiques, et son enthousiasme est quelque peu retombé. « C’est long, ça fait déjà plus d’un an que je suis dans les procédures de candidatures », explique-t-elle. 

Le 22 mars 2023, le portail des candidatures ouvre. De mai à août, les candidatures sont examinées, « certains candidats se verront proposer des tests et entretiens complémentaires ». Et ce n’est qu’en fin d’année que les volontaires seront fixé·es sur leur sort. 

Et le parcours pour devenir bénévole relève quasiment des douze travaux d’Hercule : la première phase ressemble à s’y méprendre à une candidature pour un emploi. Sont demandés, entre autres, le niveau d’études, le niveau en langues, les expériences professionnelles passées en lien avec le sport. Dans un deuxième temps, un questionnaire visant à évaluer la personnalité et la motivation a été envoyé aux candidat·es, il comportait plus de 90 questions. « Je pensais que cette étape me prendrait quelques minutes, j’y ai passé une demi-heure,sourit Emma. Je ne m’attendais pas à ce qu’on me demande autant d’informations pour un bénévolat. » 

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Extraits d’un document de Paris 2024 pour les bénévoles. © Document de Paris 2024

D’un revers de main, le comité balaie les critiques selon lesquelles le processus de candidature ressemblerait à celui pouvant déboucher sur un emploi : « Nous avons un double objectif : mieux connaître les personnes pour les orienter vers des missions qui pourraient leur correspondre et répondre aux besoins du programme… Pour autant, et sauf dans de très rares exceptions lorsqu’il faut chercher des compétences spécifiques (comme la maîtrise d’une langue étrangère), il n’y a pas de profil type. » 

Ce n’est pas tout. Pour être bénévole aux Jeux olympiques, il faut aussi être disponible pendant dix jours au minimum, pour une durée pouvant aller jusqu’à 48 heures par semaine, soit la durée légale maximale de travail. 

Financièrement, je ne peux pas me permettre de louer un appartement à Paris pour être bénévole.

Emma, étudiante et candidate pour être bénévole aux JO 2024

Il faudra aussi pouvoir se loger par ses propres moyens en région parisienne, alors que les coûts de location sur cette période atteindront des sommets, puisque le comité olympique « par principe […] ne prend pas en charge les éventuels frais d’hébergement », comme l’indique leur charte« Mon frère habite à Paris mais s’il n’y habite plus d’ici l’été 2024 je n’aurai pas de moyen de me loger sur place,reprend Emma, et, financièrement, je ne peux pas me permettre de louer un appartement à Paris pour être bénévole. » Interrogé à ce sujet, le comité assure que loger les bénévoles « n’est pas la norme dans ce type de missions » et de rappeler que quelque 5 000 volontaires seront mobilisé·es hors de l’Île-de-France. 

De la même manière, les volontaires qui n’habitent pas en région parisienne ne seront pas plus défrayés pour leurs déplacements jusqu’en Île-de-France puisque seuls « les frais de transports en commun locaux » seront pris en charge. Enfin, et avant d’être accrédités par le comité, les bénévoles seront aussi soumis à une enquête administrative des services de l’État. 

Par ailleurs, les bénévoles ne bénéficieront d’aucun traitement de faveur pour assister aux compétitions : pas de réduction sur des billets pouvant aller jusqu’à plusieurs centaines d’euros l’unité et pas, non plus, de places gratuites. Et le comité de répondre, à plusieurs reprises, comme un leitmotiv : « La première condition pour être volontaire, c’est d’être volontaire. » Il rappelle aussi que ce volontariat n’est pas une obligation, mais « une opportunité supplémentaire de vivre les Jeux en y participant directement ».

Des militants anti-JO se portent volontaires pour saboter les Jeux

Au terme juridique « travail dissimulé », la sociologue Maud Simonet, directrice de recherche au CNRS et autrice de Travail gratuit : la nouvelle exploitation ? (éditions Textuel), préfère l’acception plus politique de « travail gratuit » « Le travail gratuit est le travail qui n’est pas reconnu comme travail. Les exemples sont nombreux, et concernent souvent les femmes. Faire des masques pendant le Covid , ce n’est pas du travail, c’est de la solidarité. S’occuper de ses enfants, de la maison, ce n’est pas du travail, c’est de l’amour. Et pour les JO, remplir des missions de plus de dix jours pour les compétitions, ce n’est pas du travail, c’est l’engagement des jeunes pour le sport, c’est de la citoyenneté… » 

Dans cette affaire, le ministère du travail semble avoir donné un blanc-seing au comité olympique dans un « guide pratique » publié en fin d’année 2022 et introduit par le ministre Olivier Dussopt en ces mots : « Que serait le sport sans les bénévoles qui, tous les jours, assurent la gestion des clubs sportifs, la collecte des cotisations, la tenue des feuilles de match, l’organisation des déplacements, l’animation des entraînements ainsi que de la vie du club et le calendrier des rencontres ? » 

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Extraits du « Guide pratique à l’usage des organisateurs de grands évènements sportifs » publié par le ministère du travail en décembre 2022. © Ministère du travail

Pour Thomas Dessalles, inspecteur du travail et syndicaliste CGT du ministère du travail, « ce guide permet aux JO de se munir d’une présomption de bénévolat »,puisqu’il liste les « types de missions pouvant être confiées aux bénévoles » et nombre d’entre elles ressemblent à celles proposées par les Jeux. 

« Pour nous, c’est une vraie peau de banane que la direction générale du travail met sur le chemin des collègues qui contrôlent,souffle l’inspecteur. Ce guide ne contraint pas les agents mais, face aux juges, les avocats vont forcément se prévaloir des positions qui sont prises par l’administration. Ça peut décourager certains collègues. » 

Parmi les candidats au bénévolat, aussi, quelques trouble-fêtes. Octave*, salarié dans le domaine du tourisme en Seine-Saint-Denis et membre du collectif Saccage 2024, s’est porté « involontaire » : comme d’autres activistes, il s’est inscrit comme bénévole mais ne compte pas réellement se présenter sur place. « On a appelé les gens à se porter volontaire pour être bénévole pour les JO et, afin d’enrayer la machine, on a proposé plusieurs types de contestation possibles : s’y rendre et faire une action militante sur place, ne pas s’y rendre du tout, se mettre en grève ou faire la grève du zèle. »

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L’une des affiches du collectif Saccage 2024. © Saccage 2024

L’appel du collectif publié dans Basta Media est clair : « On sera des milliers, on formera un bon grain dans la machine olympique. » Et de lister les indices selon lesquels, pour eux, cette campagne de recrutement est en réalité une campagne de travail dissimulé : « Il y a des horaires, des contraintes, une hiérarchie, on ne peut pas décider de faire une pause tout seul, il faut répondre à des objectifs, reprend Octave. Il y a des missions qui correspondent à des fiches de poste qui existent dans le monde du travail. Sans bénévoles, les Jeux ne peuvent pas avoir lieu. » Il est, pour l’heure, très difficile d’avancer un chiffre sur le nombre de faux volontaires ayant postulé.

Cette initiative ne semble pas inquiéter outre mesure le comité d’organisation qui envisage « de constituer une équipe de volontaires mobilisables en cas de désistement ».

Une fois dûment sélectionnés, les bénévoles seront sollicités pour des missions réparties en trois grandes catégories. Plus de la moitié des bénévoles se placeront, dans la première catégorie, « au service de la qualité de l’expérience vécue par tous les acteurs des Jeux (spectateurs, athlètes, délégations sportives, journalistes) » : les bénévoles sont alors chargés de l’accueil, de l’information, ou même du transport des acteurs des Jeux. Des missions d’assistant dans les services médicaux sont aussi attribuées aux bénévoles disposant du CV adéquat. La deuxième catégorie regroupe les missions relatives à l’organisation, du traitement des accréditations presse et délégation à la distribution d’uniformes ou de casques et représente moins de 10 % des effectifs.

Enfin, la dernière catégorie de missions proposées aux bénévoles englobe celles « au service de la performance sportive »,représentant à peu près 35 % des postes proposés, et peuvent aller du ramassage de balles, à la saisie d’informations sportives en passant par le chronométrage… Alors même que le chronométrage est pris en charge par un partenaire historique des Jeux olympiques, l’horloger suisse Omega appartenant au groupe Swatch. 

Omega « supervise » des bénévoles 

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la démarche interroge. Omega, qui chronomètre les Jeux depuis 1932, et qui est lié aux Jeux olympiques par un contrat dont nous ignorons la somme, s’appuiera sur une flopée de bénévoles. Dans la charte des bénévoles publiée par le comité olympique, on apprend que quatre types de missions se feront « sous la supervision des équipes d’Omega » :opérateur tableau d’affichage, statisticien, opérateur chronométrage et notation et équipier. 

De son côté, le comité persiste et signe : « L’entreprise Omega n’aura pas de volontaires “à ses services”. Les missions de volontariat sont effectuées dans le cadre de l’organisation et de la bonne tenue des Jeux. » L’horloger suisse n’a, de son côté, pas répondu à nos questions. Aucune réponse sur le nombre de bénévoles qui agiront sous la « supervision » d’Omega, ni sur le lien entre l’entreprise et les bénévoles. 

Dans le détail, le comité indique qu’Omega a la responsabilité de « fournir l’infrastructure, les logiciels et les services de chronométrage et de notation nécessaires à la saisie et à la diffusion des informations clés sur les compétitions des Jeux olympiques et paralympiques ».

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Devant le compte à rebours des JO estampillé Omega un parterre d’officiels, dont la maire de Paris et la ministre des sports. © Tetsu Joko / The Yomiuri Shimbun via AFP

C’est donc en mobilisant des bénévoles qu’Omega s’affiche comme le chronométreur officiel des Jeux, jouissant à cet égard d’une campagne publicitaire à moindres frais. Le logo de l’horloger s’affichera partout et s’est déjà trouvé une place de choix devant la tour Eiffel où il a installé un immense compte à rebours, visible le jour, illuminé la nuit et inauguré, ce mardi 25 juillet, par le PDG d’Omega, le président du Comité international olympique et le président de Paris 2024.

Mais ce n’est pas tout, Omega bénéficiera aussi d’un régime fiscal très avantageux. Un article de la loi de finances 2020 a, en effet, introduit dans le Code général des impôts une dérogation spécifique pour l’horloger lui permettant de n’être pas « redevable des impositions au titre des rémunérations perçues du comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques », selon le rapport relatif à l’effort financier public dans le domaine du sport, publié en annexe du projet de loi de finances pour 2023. Les dérogations fiscales ne valent pas que pour ce partenaire, mais il est assurément celui qui en jouit le plus fortement. Le coût estimé de cette seule exonération est d’environ 4 millions d’euros. Et toujours pas un euro pour les statisticiens et autres opérateurs bénévoles. 

« C’est un choix de faire travailler les gens gratuitement,assure Octave. Les JO installent le travail gratuit comme norme dans un contexte où le gouvernement conditionne désormais le RSA à des heures de travail, où les règles de Pôle emploi sont de plus en plus strictes… Le message est clair : il faut travailler, de manière rémunérée ou gratuitement. » Selon lui, dans le monde du travail, comme dans d’autres secteurs, les Jeux permettent aux pouvoirs publics d’aller plus fort et plus vite vers une société toujours plus libérale et écocide.

« Le travail gratuit n’est pas à la marge du monde du travail, il en est au cœur, abonde Maud Simonet. Cela fait vingt ans que j’essaye de documenter le travail gratuit dans le monde du travail en France et il existe partout, que ce soit dans le privé ou le public, il prend la forme du service civique, du stage, du bénévolat. Ce qui est nouveau, cependant, avec ces JO 2024 mais déjà avant, pendant le Covid, c’est l’éclosion d’une critique. » Le mouvement de contestation anti-JO, notamment orchestré par Saccage 2024, vient après d’autres révoltes de travailleurs non rémunérés, notamment pendant le Covid : les couturières du collectif Bas les masques !, les étudiantes infirmières qui ont travaillé sous le statut de stagiaires ou encore les étudiants en médecine qui ont officié sans rémunération du tout. 

« Depuis longtemps, le volontariat est au cœur du modèle sportif français, balaye le comité, que ce soit dans l’accompagnement d’une pratique sportive dans les 160 000 associations sportives que compte notre pays, ou dans l’organisation de très nombreux évènements sportifs, des compétitions “amateurs” aux plus grandes compétitions internationales. »

Les JO en procès pour travail dissimulé ?

En effet, dans le monde du sport aussi le travail gratuit prend une place de plus en plus importante, les Jeux olympiques n’étant, à ce sujet, que la face émergée de l’iceberg. « Je me dis à la fois que le fait que les JO recrutent tant de bénévoles, ça prive de nombreux travailleurs du monde du sport de missions salariées mais qu’en même temps, cette question se pose pour tout notre système fédéral parce que sans bénévolat, nos associations ne pourraient pas fonctionner tant certains bénévoles remplissent les missions de salariés », conclut Emma.

La prochaine étape, pour les membres de Saccage 2024, ce ne sont pas les JO mais les tribunaux. Plusieurs des « involontaires » comptent bien mener l’affaire en justice et attaquer le comité pour travail dissimulé. « Le critère principal définissant le contrat de travail et permettant de faire requalifier du bénévolat en contrat de travail, c’est le lien de subordination, qui s’apprécie selon un faisceau d’indices », explique de son côté Maud Simonet, autrice d’un article scientifique à ce sujet. Parmi ces indices, la possibilité pour l’employeur de donner des ordres, de contrôler leur application ou encore de fixer un lieu d’exercice et des horaires. 

Là encore, le comité assure n’avoir pas de craintes : « Nous avons mis en place une charte du volontariat olympique et paralympique, elle a été soumise aux services compétents des ministères et aux partenaires sociaux du comité de la charte sociale… Dans ce cadre, les syndicats ont pu intervenir pour délimiter clairement ce qui relève du travail salarié et ce qui n’en relève pas. » 

Auteur : Khedidja Zerouali

Source : Jeux olympiques 2024 : 45 000 bénévoles qui ressemblent fort à des salariés | Mediapart

URL de cet article : Jeux olympiques 2024 : 45 000 bénévoles qui ressemblent fort à des salariés. (Mediapart – 1/08/23) – L’Hermine Rouge (lherminerouge.fr)

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