JO d’hiver 2030 : les contribuables vont cracher, les promoteurs se réjouir (reporterre-5/12/23)

L’épreuve de biathlon aux JO de 2030 auront lieu au Grand-Bornand. Ici lors du mondial, en décembre 2022. – © AFP/Jeff Pachoud

Dans les Alpes, les Jeux olympiques d’hiver 2030 participeront à la spéculation immobilière. Ils nécessiteront aussi de lourds investissements pour les pistes ou encore les réseaux de trains.

Par Moran KERINEC

Lyon, correspondance

Renaud Muselier est sûr de son coup. À croire le président Renaissance de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, tout est prêt pour accueillir les Jeux olympiques d’hiver 2030 dans les Alpes françaises. « On a la neige et les chalets. 95 % de nos installations sont opérationnelles et prêtes », a-t-il affirmé à RMC. Portée conjointement avec la région Auvergne-Rhône-Alpes, présidée par Laurent Wauquiez, la candidature bleu-blanc-rouge a été la seule retenue par le Comité international olympique (CIO) le 29 novembre.

L’institution sportive a depuis entamé un « dialogue ciblé » avec la France, qui devrait aboutir à un choix définitif courant 2024. Mais si Renaud Muselier et Laurent Wauquiez se sont engagés à élaborer des « jeux sobres » et une candidature « respectueuse de l’environnement », leurs promesses vont se heurter à la réalité des faits.

Mises aux normes olympiques

Argument phare de ses promoteurs, les JO d’hiver 2030 s’appuieront majoritairement sur des équipements sportifs existants. Un raisonnement qui ne prend pas en compte leurs frais de construction initiaux, d’entretien ou de mise aux normes olympiques. « Les organisateurs présentent cela comme un coût neutre, mais il y a des surcoûts cachés qui n’apparaissent pas dans les coûts de fonctionnement des JO », explique Éric Adamkiewicz, maître de conférence en management du sport et développement territorial à l’université Paul Sabatier Toulouse 3.

C’est le cas de la piste de bobsleigh de La Plagne. Construite pour les Jeux olympiques d’Albertville en 1992, elle nécessiterait une remise à niveau. Or « sa dernière rénovation en 2007 a coûté 6 millions », précise l’enseignant-chercheur.

50 millions d’euros ont été débloqués pour réaménager la station Isola 2000 (ici en 2022). Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0 Deed/Jpchevreau

Au Grand-Bornand, 50 millions d’euros vont être investis en travaux pour accueillir les mondiaux de biathlon en 2028, puis l’épreuve des JO de 2030. Le maire de Nice, Christian Estrosi, a débloqué 50 millions d’euros pour réaménager le domaine skiable Isola 2000, où se tiendront les épreuves de snowboardcross, pour construire de nouveaux télésièges et une seconde retenue collinaire.

Jugeant la patinoire de Nice « obsolète » et émettant « je ne sais pas combien de tonnes de CO2 », l’élu envisage de construire un nouvel équipement à l’ouest de la capitale azuréenne. Ce projet estimé entre 15 et 20 millions d’euros « ne coûtera rien » aux Niçois, assure-t-il.

Manque de trains

Du village olympique de Nice jusqu’aux pistes du Grand-Bornand, la compétition va s’étendre sur près de 500 kilomètres. Pour permettre aux spectateurs de couvrir cette distance, Renaud Muselier a promis de mettre à niveau les réseaux ferroviaires qui desservent péniblement les lignes Marseille-Briançon et Gap-Grenoble.

Le président de région espère une loi d’exception « olympique » pour mener les travaux à temps. Mais même un passe-droit législatif risque d’être insuffisant. « Il y a des demandes très fortes de matériels roulants dans toute l’Europe aujourd’hui. Même si Renaud Muselier améliore les voies, il n’y aura pas plus de trains, car les délais sont trop courts », estime Éric Adamkiewicz.

Des ascenseurs valléens, notamment pour relier Bozel à Courchevel, devraient aussi encore sortir de terre avant les épreuves olympiques. Au total, le coût de ces JO est estimé à environ 1,5 milliard d’euros. « Tout payé par le CIO, par les billets ou par le privé », a assuré Renaud Muselier, oubliant ainsi de larges investissements publics.

Booster les prix immobiliers

Les JO vont également complexifier l’accès au foncier des habitants de la montagne, alors que les régions alpines est déjà la proie d’un cercle vicieux de spéculation immobilière.

Les propriétaires ont tendance à mettre leur logement en location pendant neuf ans après leur achat pour se faire rembourser la TVA de la transaction immobilière. Ce délai expiré, ils retirent le plus souvent leur bien du marché locatif. Les stations de ski sont donc incitées à construire en permanence de nouveaux logements pour garantir des « lits chauds » aux touristes et faire tourner les remontées mécaniques.

Le prix du m2 à La Clusaz a déjà augmenté de 43 % en cinq ans. Flickr/CC BY 2.0 Deed/Guilhem Vellut

À La Clusaz, qui doit accueillir l’épreuve de ski de fond, le prix médian du m² a augmenté de 43 % ses cinq dernières années pour atteindre 9 325 euros. À Courchevel, terrain des épreuves de ski alpin femme, le m² a gonflé de 80 % sur la même période et coûte 16 332 euros. À Val d’Isère, qui recevra l’épreuve de ski alpin, il a bondi de 178 % et vaut désormais 20 986 euros… Ce pourrait n’être qu’un début.

« Les JO vont être un prétexte pour la montée en gamme de l’hébergement », pense Éric Adamkiewicz. « Comme les terrains à construire y sont rares, car exposés à des risques en tout genre, la demande est supérieure à l’offre et les prix flambent », ajoute Philippe Bourdeau, enseignant-chercheur à l’Institut d’urbanisme et de géographie alpine de l’université Grenoble-Alpes, pour qui « toutes les conditions pour que les Jeux olympiques soient un booster des prix immobiliers sont réunies ».

Pour accueillir les spectateurs des épreuves de skicross et de snowcross, la station d’Isola 2000 projette déjà de s’agrandir. « On a la chance d’avoir récupéré 66 000 m2 de droit à bâtir, on a déjà deux parcelles vendues », a annoncé Mylène Agnelli, la maire de la commune. L’élue a déjà planifié « deux hôtels 4 étoiles, une résidence et puis du logement pour actifs pour loger les saisonniers qui viennent sur la station ».

Source: https://reporterre.net/JO-d-hiver-2030-les-contribuables-vont-cracher-les-promoteurs-se-rejouir

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