Jordan Bardella, victoire d’un opportuniste (LH.fr-5/11/22)

Jordan Bardella doit permettre au Rassemblement national de séduire les jeunes générations avec un nouveau visage… mais qui cache mal l’ancien FN.

En pleine tempête après la sortie raciste de l’un de ses députés deux jours auparavant, le Rassemblement national a élu, samedi, son nouveau président. L’aboutissement d’une jeune carrière menée au gré des courants politiques tour à tour les plus proches de Marine Le Pen.

Jordan Bardella espérait meilleure fête. À 27 ans, l’eurodéputé a été élu ce 5 novembre président du Rassemblement national (RN), l’emportant avec près de 85 % des voix face à Louis Aliot, lors du 18ème congrès du parti d’extrême droite, qui s’est tenu samedi à la Maison de la Mutualité, à Paris. Un événement grandiloquent, rassemblant tous les cadres de la formation, se succédant sur scènes pour des discours ampoulés prophétisant la « victoire proche » d’un RN « prêt à gouverner  », que Marine Le Pen avait imaginé comme une étape décisive dans l’institutionnalisation de sa formation. L’avènement d’un parti dédiabolisé, capable d’organiser une élection démocratique interne, portée par des figures médiatiques qui se multiplient, et qui serait désormais normal. Ce que le Rassemblement national ne sera jamais. Les mémoires courtes s’en sont souvenues, jeudi, lorsque le député Grégoire de Fournas a lancé « Retourne en Afrique  » ou (Qu’ils retrournent en Afrique) au parlementaire insoumis Carlos Bilongo qui évoquait un bateau de SOS Méditerranée bloqué en mer avec des dizaines de réfugiés. Vendredi, Grégoire de Forunas a été condamné à la plus haute sanction possible au sein de l’Assemblée : quinze jours d’exclusion avec interdiction de paraître au Palais Bourbon.

Edulcorer le discours sur la forme

Au Congrès du RN, malgré une volonté de « passer à autre chose  » prônée par le député Sébastien Chenu, le dévoilement raciste du RN est dans tous les esprits. Cadres comme militants tentent de « balayer » la polémique, parlent d’une « instrumentalisation de l’extrême gauche » – englobant ainsi la Nupes, comme les Macronistes et LR jusqu’à Eric Ciotti, qui ont fait part de leur indignation. « Les Français ont bien compris qu’il parlait des bateaux de migrants, ce qui n’est ni condamnable, ni regrettable  », avance Jean-Philipe Tanguy. Comme si, même dans cette hypothèse, de tels propos déshumanisants et racistes pouvaient être tenus à l’Assemblée nationale.

Au RN, le racisme et la xénophobie doivent être camouflés, enrobés dans des discours qui ne choquent pas, ou plus. C’est la spécialité de Jordan Bardella. C’est grâce à cet alliage fait de l’ADN profond de l’extrême droite et du cadre de la dédiabolisation que le natif de Drancy (Seine-Saint-Denis) s’est mué en « bête de télévision  » qui séduit « autant les jeunes que les vieilles dames », s’amuse une adhérente de longue date. Jordan Bardella ne parle pas de « grand remplacement  », mais estime, dans Marianne en juillet, que le « pronostic vital du peuple français est engagé », en raison d’un « changement de peuple [qui] s’accomplit machinalement ». Jordan Bardella n’utilisera pas le terme de « francocide  » d’Eric Zemmour mais pense qu’il correspond à « une réalité que tout le monde pense » et évoque une « violence importée dans ce pays  ».

Premier président à ne pas s’appeler Le Pen….

Equilibriste, le premier président du RN à ne pas s’appeler Le Pen, depuis la création du Front national en 1972, l’a aussi été dans les coulisses du parti, sachant passer d’un courant à un autre pour atteindre le cœur de Marine Le Pen et celui du pouvoir interne. Jordan Bardella n’a que 16 ans quand il prend sa carte au Front national, souhaitant « agir contre les dealers de (sa) cage d’escalier ». Très vite, cet admirateur de Napoléon va se consacrer entièrement à l’extrême droite, abandonnant à 19 ans ses études de géographie pour devenir secrétaire départemental du parti en Seine-Saint-Denis. Il est alors propulsé par Florian Philippot, numéro 2 du parti, bientôt en disgrâce.

Dès 2014, tandis que la ligne protectionniste de Philippot est sérieusement discutée, Jordan Bardella se rapproche d’un autre cercle influent, celui des anciens du syndicat identitaire et violent GUD (Groupe). Notamment les amis de fac de Marine Le Pen : Axel Loustau et Frédéric Châtillon, avec la fille duquel il entretient une relation. Grâce à eux, le « Cyborg », comme il commence à être surnommé tant pour sa carrure, son sang-froid que pour la « coquille vide » qu’on lui attribue, il devient conseiller régional à seulement 19 ans. Mais il est bientôt l’heure de changer de protecteurs : les « Gudards  » sont poursuivis en justice dans l’affaire des financements de la campagne de 2012 (Châtillon sera condamné en première instance en 2019 pour « escroquerie ») et éjectés de leurs postes au FN. Jordan Bardella restera toujours proche d’eux, mais prend alors quelques distances, pour atteindre le dernier échelon, le premier cercle de la patronne.

….mais jamais très loin de la famille

En 2017, c’est de Philippe Olivier, plus proche conseiller et beau-frère de Marine Le Pen, qu’il devient le protégé. La relation que Jordan Bardella commence à entretenir avec la fille de ce dernier le fait définitivement entrer dans la cour : à Montretout, chez les Le Pen, il a son rond de serviette. « À mon sens, c’est d’ailleurs pour cela qu’il a été sélectionné tête de liste (aux Européennes de 2019, NDLR). La tête de liste est responsable du compte de campagne et je ne les imagine pas un seul instant prendre une personnalité extérieure », a même estimé la philippiste Sophie Montel dans le JDD. Quelles qu’en soient les raisons, sa candidature fonctionne : avec sa liste, Jordan Bardella arrive en tête, récoltant 23,34 %. Sa tribune médiatique est assurée, il peut enchaîner les plateaux de télévision – depuis septembre, il est la personnalité politique la plus présente dans l’audiovisuel -, et s’imposer comme la deuxième figure du parti lepéniste. Fidèle à Marine, à qui il laisse le rôle de « Madame pouvoir d’achat » pendant qu’il joue la bataille culturelle sur l’immigration ou la sécurité, il est le pendant parfait de la patronne. Elle à l’Assemblée et aux élections, lui aux manettes du parti. Nommé président par intérim il y a un an, Jordan Bardella est cette fois adoubé par près de 20 000 militants.

Dans la maison de la Mutualité, samedi, un parterre de militants particulièrement jeunes, une nouveauté inquiétante pour un congrès du RN, a acclamé celui qu’ils pensent capable « d’attirer énormément de monde, des gens qui en ont marre de ce système, apolitiques ou qui se sont laissés tenter par Zemmour malgré ses excès », espère Titouan, 22 ans. Chez Jordan Bardella, ces « excès » doivent être dissimulés. Alors que la nature raciste de son parti rejaillit publiquement, dédiaboliser à nouveau une formation entièrement guidée par la haine des autres sera sa première tâche.

Florent LE DU

source: https://www.humanite.fr/politique/jordan-bardella/jordan-bardella-victoire-d-un-opportuniste-769974

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