La bataille reprend autour du droit à l’IVG (LH.fr-19/10/22)

Perpignan, le 28 septembre. Journée internationale du droit à l’avortement et à l’interruption volontaire de grossesse.

Constitution-C’est un objectif défendu de longue date par la gauche et qui va à nouveau en débat au Sénat : l’inscription dans le texte fondamental de la République du droit à l’avortement fait l’objet d’une proposition de loi écologiste examinée ce mercredi.

La droite, majoritaire au Sénat, va-t-elle faire capoter la proposition de loi constitutionnelle garantissant l’IVG pour toutes ? Les élus examinent ce mercredi en première lecture un texte visant à inscrire dans la Loi fondamentale le droit à l’avortement et à la contraception. « L’objectif, c’est d’empêcher une loi régressive. Si jamais, un jour, il y a une majorité pour attaquer ce droit, cela serait inconstitutionnel », explique Mélanie Vogel (lire page 8), la sénatrice écologiste portant cette proposition de loi cosignée par des élus de sept des huit groupes politiques du palais du Luxembourg, à l’exception notable du premier d’entre eux, « Les Républicains ». « Nous vivons dans un pays toujours très catholique dans sa réflexion, observe Sarah Durocher, coprésidente du Planning familial, l’avortement est encore vu comme quelque chose de mal, qu’il faut absolument éviter. Les partis politiques ne sont pas en dehors de la société et il y a une droitisation des discours. »

En 2018, la ministre de la Santé Agnès Buzyn était opposée à cette inscription dans la Constitution

Le sujet de l’IVG, souvent passé au second plan ces dernières années du fait de nombreuses autres luttes à mener, est redevenu brûlant. En cause : la récente arrivée à l’Assemblée de 89 députés d’extrême droite, les attaques contre l’avortement en Pologne, en Hongrie… ou encore aux États-Unis, où l’arrêt historique faisant de l’accès à l’IVG un droit fédéral a été abrogé fin juin. Quelques heures après l’annonce des juges américains de la Cour suprême, Aurore Bergé, patronne du groupe Renaissance (ex-LaREM) à l’Assemblée, annonce le dépôt d’une proposition de loi constitutionnelle stipulant, à l’article 66-2, que « nul ne peut être privé du droit à l’interruption volontaire de grossesse ». L’initiative est soutenue par deux poids lourds du gouvernement, la première ministre, Élisabeth Borne, et le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti.

Il aura fallu attendre la victoire des réactionnaires aux États-Unis pour que le déclic se produise, enfin, en France. Il n’y a pas si longtemps, en effet, la majorité présidentielle repoussait en bloc l’idée d’une inscription du droit à l’IVG dans la Constitution. Ce n’était pas plus tard que lors de la discussion à l’Assemblée, au mois de juillet 2018, au cours de l’examen d’un amendement de la France insoumise, rejeté par la plupart des députés LaREM, dont Yaël Braun-Pivet, l’actuelle présidente Renaissance du Palais Bourbon. « Il n’y a nul besoin de brandir des peurs relatives à ce qui se passe dans d’autres pays pour estimer que ces droits seraient menacés dans le nôtre, ce n’est absolument pas le cas aujourd’hui », jugeait-elle, ajoutant au passage que faire entrer le droit à l’avortement dans la Constitution n’était ni « nécessaire » ni « utile ». La garde des Sceaux de l’époque, Nicole Belloubet, qui était aussi intervenue dans l’Hémicycle, abondait en ces termes : « Vous proposez de garantir le droit à la contraception et à l’avortement dans le préambule de la Constitution. Je ne suis pas certaine que ce soit le niveau de norme approprié pour garantir ces droits (qui) sont garantis par le Code de la santé publique, s’agissant de l’avortement. » Déjà, quelques mois plus tôt, en avril 2018, par la voix de sa ministre de la Santé, Agnès Buzyn, le gouvernement s’était opposé à cette inscription dans la Constitution « pour éviter à tout prix l’inflation législative, a fortiori en matière constitutionnelle », lors d’un débat au Sénat consécutif à une proposition de loi du groupe CRCE destinée à inscrire le droit à l’IVG à l’article 34 de la Loi fondamentale .

En 2019, même rejet catégorique. Les marcheurs refusent alors d’inscrire à l’ordre du jour une proposition de loi constitutionnelle commencée par Luc Carnouvas, député socialiste, qui recueille le soutien de l’ensemble des forces de gauche. « Dans les échanges que j’ai eus avec le gouvernement, on me dit que le droit fondamental à l’IVG est de rang constitutionnel, expliquait alors l’élu. C’est pour cela que nous interpellons le président de la République qui a fait une campagne pour nous dire qu’il était féministe et progressiste… »

La majorité veut afficher une fibre progressiste sur les questions féministes

Trois ans plus tard, la majorité en place opère donc un revirement spectaculaire, non sans arrière-pensées, au moment où Renaissance est en quête de compromis politique. Les marcheurs veulent aussi afficher une fibre progressiste sur les questions féministes, alors que les politiques publiques en matière d’égalité femmes-hommes sont loin d’être à la hauteur des enjeux. « La Macronie souhaite séduire la gauche sur les sujets dits de société et pactise avec les droites sur le front économique », constate la sénatrice Laurence Cohen (PCF), indiquant au passage que le candidat Mélenchon, soutenu à l’époque par le Front de gauche, défendait dès 2012 l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution, tout comme Fabien Roussel (PCF) lors de la dernière campagne présidentielle, dix ans plus tard. Au Palais Bourbon, les présidents de groupe de la Nupes ont d’ailleurs indiqué dans un communiqué qu’ils déposeront « un texte commun à l’ensemble des groupes de l’Assemblée nationale qui le souhaitent ».

En attendant, la proposition de loi débattue ce jour au Sénat a cette utilité de relancer le débat sur l’avancée des droits des femmes à disposer de leur corps. Les signataires du texte comme certaines organisations féministes, au premier rang desquelles le Collectif avortement en Europe ou le Planning familial, souhaitent mettre la pression sur les ministres. « Il faut que le gouvernement reprenne la main et dépose un projet de loi », soutient la sénatrice socialiste de l’Oise, Laurence Rossignol, ancienne ministre de la Famille et des Droits des femmes. « Comme ça, nous irons jusqu’au congrès, et on s’épargnera une campagne référendaire. » La balle est donc désormais dans le camp du président Macron.

Lola RUSCIO

source: https://www.humanite.fr/politique/ivg/la-bataille-reprend-autour-du-droit-l-ivg-767875

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