“La hausse des prix risque de placer les Européens face à un terrible dilemme : se chauffer ou se nourrir” ( Frédéric Farah – 01/01/22 )

Les variations de prix dans le secteur agricole peuvent connaître de fortes amplitudes et entraîner une augmentation de plus de 15 % du panier alimentaire des Français, ce qui aura pour effet d’annuler les effets du bouclier tarifaire.
AFP

La hausse des prix n’affecte pas seulement les consommateurs. Les agriculteurs en souffrent aussi à travers l’inflation de leur facture énergétique : leurs coûts de production ont augmenté de 26 % depuis un an, avertit l’économiste Frédéric Farah dans une tribune.

Le monde agricole n’a pas attendu la crise énergétique pour montrer des signes d’inquiétude. Notre pays perd progressivement sa souveraineté alimentaire, une de plus après la souveraineté industrielle, et s’enfonce dans une interminable crise larvée. Le renchérissement des prix de l’énergie est venu frapper de plein fouet un monde agricole aux prises avec des problèmes insolubles. La crise climatique est désormais renforcée par la crise énergétique, partie elle aussi pour s’installer dans la durée. Elle affecte aussi bien l’offre – les producteurs – mais aussi la demande – les consommateurs. Les coûts de l’énergie qui touchent la filière expliquent l’appel à l’aide conjoint du secteur agroalimentaire. Les fédérations d’agriculteurs, d’industriels et$ de grandes surfaces ont demandé début octobre au gouvernement de prendre des mesures fortes pour endiguer les hausses de coûts de l’énergie qui pourraient entraîner des ruptures de production ou des approvisionnements irréguliers qui affectent les magasins. Sur le mois écoulé, le taux de rupture des grandes surfaces atteint 5,6 % selon les dernières estimations du cabinet NielsenIQ. Or, ces chiffres sont en hausse depuis un an. Les effets sur les prix semblent essentiels tant les coûts de production ont progressé en un an de plus de 26 % dans le secteur agricole.

Les variations de prix dans le secteur agricole peuvent connaître de fortes amplitudes et entraîner une augmentation de plus de 15 % du panier alimentaire des Français, ce qui aura pour effet d’annuler les effets du bouclier tarifaire. Un récent rapport de l’inspection des finances sur l’inflation des prix alimentaires contenait des éléments préoccupants. « Depuis janvier 2021, les tensions inflationnistes, en particulier sur les produits alimentaires, ont atteint des niveaux sans précédent depuis quarante ans, pouvait-on y lire. S’élevant à 6,1 % en juillet 2022, l’inflation devrait, d’après l’Insee, se situer à 6,4 % en glissement annuel en fin d’année. Ces niveaux d’inflation n’ont pas été atteints depuis le pic d’avril 1980 qui se situait à 13,9 %. Pour leur part, les prix des produits alimentaires ont commencé à augmenter fortement à partir de mi-2021 et enregistrent aujourd’hui une hausse de 10 % (septembre 2022) avec 12 % (annuel) prévue en décembre par l’Insee. Il est à noter que certains produits alimentaires ont connu des hausses de prix particulièrement élevées avec par exemple +60 % pour les huiles, +22 % pour la farine, +20 % pour les pâtes et +16 % pour la volaille. » Les matières premières agricoles sur les marchés mondiaux alimentaires connaissent une augmentation des prix considérable depuis 2020. Les produits énergétiques nécessaires pour faire fonctionner les machines agricoles et les serres, ou transformer les aliments et fabriquer les emballages ont subi une hausse depuis 2021 et particulièrement à partir de février dernier.

ET L’UE PENDANT CE TEMPS-LÀ ?

Ce phénomène n’est pas seulement français mais aussi européen. Plus d’un quart de l’énergie consommée en Europe est consacré à la culture, la transformation, le conditionnement et la distribution des denrées alimentaires. Sans un accès à une énergie fossile bon marché et abondante, le système alimentaire européen serait à court terme dans une situation de tension, pour ne pas dire de rupture. L’Europe découvre à quel point elle est dépendante des énergies fossiles en matière agricole. Les tensions sur les prix ne sont pas près de s’arrêter. Le prix de la nourriture risque de continuer à augmenter, ce qui placera les Européens face à un terrible dilemme : se chauffer ou se nourrir. La crise agricole affectera l’ensemble du secteur agroalimentaire et donc, les consommateurs. Le temps des insécurités et des vulnérabilités va s’étendre. Le cas italien, autre puissance agricole du Vieux Continent, envoie aussi des signes inquiétants. selon l’analyse de Coldiretti, le principal syndicat d’exploitants agricoles dans la Péninsule. L’Italie, en situation de dépendance, est obligée d’importer 73 % de son soja, 64 % de sa viande ovine et 62 % de son blé tendre.

La même association précise qu’« en raison des prix élevés, plus d’un Italien sur deux (52 %) a réduit la nourriture à table en quantité ou en qualité, avec un effet perturbateur qui pèse particulièrement sur les familles à faible revenu ». Sans compter l’augmentation des coûts de production qui affectent le secteur agroalimentaire, le plastique pour les barquettes (+70 % en rythme annuel), le papier pour timbres et étiquettes (+35 %) et jusqu’au carton ondulé (+60 %). Même tendance que les hausses de prix pour les boîtes en bois (+60 %), tandis que les délais de livraison s’allongent également. La sécurité alimentaire du continent européen est en jeu, rien de moins. Déjà en prise avec les mutations climatiques et des transformations préoccupantes de la politique agricole commune, le monde rural voit une crise énergétique sans précédent le frapper. La liste des problèmes qui l’affecte ne peut se réduire à ces données. La crise énergétique crée des effets de loupe sur les faiblesses de notre industrie, notre dépendance aux énergies fossiles et les fortes incertitudes du monde rural. Le problème est français, mais surtout européen. Les grands choix de politique économique conjoncturelle comme structurelle, tant au niveau national qu’européen, ont rendu plus dépendants et vulnérables des secteurs entiers de nos économies.

Des besoins fondamentaux comme se nourrir, se loger, se déplacer et se vêtir sont plus que jamais au centre des enjeux du moment. L’Union européenne (UE) est-elle capable d’un sursaut réel face à ces questions ? Nous pouvons en douter alors il lui appartiendrait de céder la place à d’autres modalités d’organisation entre États. Elle nous condamne à l’impuissance et à une entreprise de déconstruction des anciennes régulations nationales sans les remplacer par un gouvernement responsable et solide. Elle propose l’horizon informe de la gouvernance. Elle est devenue un jeu à somme nulle et emporte dans sa chute plus ou moins rapide des secteurs entiers de l’économie. Pendant que l’agriculture traverse une préoccupante tempête, que la facture énergétique s’accroît, que le chômage de masse va venir à s’emballer, l’UE s’abandonne à des guerres picrocholines et à des sommets de la dernière chance qui ne règlent rien. Finalement, l’UE est l’histoire d’une étrange défaite.

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