La promotion des classes populaires : un défi démocratique pour la gauche. ( NBH.blog – 4/07/22 )

“Classe” d’une école du PCF

Chacun a lu ou devrait lire les travaux de Julian Mischi* sur le parti communiste. Il montre combien  l’organisation communiste a permis d’affirmer l’existence de groupes sociaux historiquement exclus des sphères de la représentation politique. Julian Mischi interroge une face méconnue de l’héritage communiste, celle d’un ancrage organisé dans les milieux populaires. Sans idéaliser le passé communiste, cette approche restitue les ambivalences d’un parti qui a “un temps réussi à bouleverser l’ordre social qui régissait la vie politique française en propulsant des ouvriers et des paysans dans des instances de pouvoir réservées jusque-là aux seuls représentants de la bourgeoisie”. Et cela par la promotion de cadres et d’élus ouvriers, paysans, populaires.

Or, tant au PC que dans les autres forces politiques, la présence des classes populaires n’a cessé de s’amoindrir. La représentation nationale en porte témoignage : de 5 % en 1978, les agriculteurs n’étaient plus que 2,6 % à siéger en 2017. La part des employés est passée quant à elle de 3,2 % à 1 %, et celle des ouvriers de 6,9 % à… 0 %. 

En 2022 les “cadres et professions intellectuelles supérieures” (CSP+) sont surreprésentés, ils représentent moins de 10% de population française, mais près de 60% des députés élus. A l’inverse, les ouvriers sont sous-représentées au Palais-Bourbon qui ne sont que cinq à avoir été élus sur un total de 577 députés, soit moins de 1% de l’Assemblée, alors qu’ils sont plus de 12% dans la société française.

Sans doute plus grave encore le déséquilibre se constate dès le stade de la candidature. On ne comptait que 3,4% d’ouvriers parmi les candidats à la députation. Un phénomène similaire s’observe chez les employés, qui sont 16% dans la population française, moins de 9% parmi les candidats et seulement 4,5% au sein des députés élus.

Les cadres et professions intellectuelles supérieures sont nettement majoritaires au sein de tous les groupes politiques : ils comptent pour 49% des élus RN et 63% des députés Nupes. Le RN se distingue cependant des autres partis par une proportion un peu plus importante d’ouvriers, d’employés et de professions intermédiaires. Ces trois catégories cumulées représentent presque un quart des députés RN, contre seulement 15% parmi les élus Nupes, 8% du groupe LR et 7% des députés de LREM.

C’est un véritable défi démocratique qui est lancé à la gauche.

C’est une des réponses à l’abstention massive des classes populaires. C’est une des réponses à la dissidence des classes populaires à l’égard de la gauche. C’est une des réponses au reproche fondé de manque de représentativité du monde politique. C’est une des réponses au reproche, également fondé, de la déconnexion de ce monde politique par rapport aux attentes et aspirations des classes populaires.

Deux facteurs sont déterminants dans la mobilisation et l’union des forces populaires: les luttes sociales (sur tous les fronts) et la représentation de ces classes au sein des cadres, des candidats et des élus de la gauche.

Exemplaire fut le choix et la victoire de Rachel Kéké. Cette femme de 48 ans fut l’une des animatrices et porte-parole de la grève des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles entamée en 2019 et victorieuse après 22 mois d’un dur combat. A la convention de lancement de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES) du 7 mai 2022 où elle évoque la situation des travailleurs essentiels et l’importance de les représenter à l’Assemblée, sa prise de parole est la plus applaudie par le public.

Choix exemplaire mais dramatiquement insuffisant.

Ce ne sont pas les militant.e.s des combats sociaux qui manquent. Syndicalistes des plate-formes, de la restauration rapide, de la SNCF, de l’hôpital, de l’industrie ou du tertiaire, elles et ils sont le prolétariat d’aujourd’hui. Les mêmes causes (l’exploitation capitaliste, le racisme, le patriarcat…) produisent les mêmes effets (les luttes pour améliorer sa vie, changer les choses, les luttes émancipatrices). C’est dans ce vivier immense que la gauche doit promouvoir les cadres, les candidats et les élus de demain. Sans oublier les militants des myriades d’associations qui peuvent irriguer la vie démocratique et faire entendre toutes les facettes de la lutte des classes de manière multidimensionnelle. 

Un tel choix implique la mise en place d’un travail de formation.

Soulignons d’abord ce que nous entendons par là.

La  pensée critique étayée par l’histoire des combats émancipateurs nous parait centrale dans une formation en direction des militants, des cadres et des élus. Et bien entendu la formation pratique (organisation du travail militant, visibilité militante, expression  orale, rédaction d’un tract, usage des réseaux sociaux, etc.) même si on peut penser que cet aspect concret de l’action politique n’est pas inconnu, au moins partiellement, d’un militant ayant une expérience des luttes. 

Pour ce qui est de l’aspect historico-théorique nous devons éviter un écueil qui est celui de la formation consistant à la défense et illustration d’une ligne politique. La citation d’un cadre dirigeant du PC, qui dirigea l’école des cadres du parti, nous montre ce qu’il ne faut pas faire : parlant des enseignements dans les écoles du parti communiste il déclarait “On ne doit pas enseigner le doute mais des certitudes“. 

Interrogé par ses filles sur sa devise préférée, Karl Marx avait répondu “De omnibus dubitandum” (“Doute de tout“). Préférons Marx à notre formateur en chef. A l’aune de cette anecdote nous vient bien sûr la question de Gramsci : “Mais qui va former les formateurs?” La seule réponse possible nous semble tenir dans l’interaction entre formateurs et formés. Ce type de formation ne peut être que réciproque. Comme l’écrivait Gramsci : “L’élément populaire sent, mais ne comprend pas ou ne sait pas toujours ; l’élément intellectuel sait, mais ne comprend pas ou surtout ne sent pas toujours“. Même si cette dichotomie date un peu, on peut en traduire l’esprit.

En tous les cas il s’agit justement de former des militants qui pensent par eux-mêmes et qui s’interrogent et interrogent la politique en général et celle de son organisation en particulier. Un militant critique. Et donc capable d’initiative.

Bien entendu le schéma idéal est simple sur le papier, beaucoup moins dans la tempête de la lutte politique. Mais disons qu’au moins nous devons tendre vers l’idéal.

Il nous semble en tous les cas que le moment est bien choisi pour déployer une réflexion sur ce que nous voulons construire et comment. Afin que nous soyons capables d’assumer ce que nous voulons être et comme nous y incitait Antonio Gramsci “travailler sans cesse à l’élévation intellectuelle de couches populaires toujours plus larges. […] ce qui veut dire de travailler à susciter des élites d’intellectuels d’un type nouveau qui surgissent directement de la masse tout en restant en contact avec elle.

Et nous ajouterons en vivant comme elle.

Enfin, et pour conclure sur une proposition concrète, pourquoi la parité expérimentée pour les femmes ne pourrait-elle pas être envisagée pour les classes populaires? Certes, on se doute que LREM ou les LR ne peuvent adhérer à une telle proposition. Mais pourquoi les partis ou mouvements de gauche s’y refuseraient ? “On sait bien que si on laissait faire les choses, un “cens caché” opérerait inévitablement le tri social entre les militants” comme l’explique la sociologue Nathalie Éthuin.

Antoine Manessis

* Quelques travaux de Julian Mischi :

 Servir la classe ouvrière. Sociabilités militantes au PCF, Rennes, PUR, 2009

– En codirection avec Emmanuel Bellanger, Les Territoires du communisme. Élus locaux, politiques publiques et sociabilités militantesArmand Colin, 2013

– Le Communisme désarmé. Le PCF et les classes populaires depuis les années 1970, Editions Agone, 2014

 Le Parti des communistes : histoire du Parti communiste français de 1920 à nos jours, Hors d’atteinte, coll. « Faits & idées », 2020.

Source : La promotion des classes populaires : un défi démocratique pour la gauche – NBH-pour-un-nouveau-bloc-historique.over-blog.com

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