L’A69, une autoroute écolo ? On a vérifié (reporterre-21/10/23)

Par Laury-Anne CHOLEZ

Bus à hydrogène, huiles essentielles contre les odeurs d’usine, plantation d’arbres… Le concessionnaire de l’autoroute A69 promet une autoroute à « faible impact écologique ». Reporterre décortique ses arguments greenwashing.

Ce sera l’autoroute « du XXIe siècle ». Atosca, le concessionnaire de l’autoroute Toulouse Castres, promet un ruban d’asphalte conçu avec « des solutions de dernière génération » qui intégrerait « les dernières normes les plus strictes sur les plans environnemental et climatique ». Bus à hydrogène, plantation d’arbres, huiles essentielles contre les odeurs d’usine… Reporterre a listé — et démonté — le greenwashing de l’A69.

Argument 1 : l’« écomobilité » : voitures électriques, bus à hydrogène et covoiturage

Atosca aime les voitures électriques. À tel point que le constructeur promet une remise sur le prix du péage de « 20 % aux conducteurs circulant en véhicules à très faibles émissions ». Seize points de recharge seront également installés le long des 53 kilomètres de la future route. Un équipement loin d’être rare : il existe en France 2 922 points de charge répartis sur 366 aires. « Construire une autoroute avec plus ou moins de bornes de recharge ne changera rien dans la transition vers l’électrique. Cela ne peut pas justifier un projet qui ne va pas dans le bon sens », estime Aurélien Bigo, chercheur spécialisé dans la transition énergétique des transports contacté par Reporterre.

Celles et ceux qui n’ont pas de véhicule électrique pourront se rabattre sur les bus à hydrogène promis par la présidente de la région Occitanie, Carole Delga. « L’hydrogène est vendu comme une solution vertueuse alors qu’elle ne l’est pas, balaie Aurélien Bigo — en France, 94 % de l’hydrogène est produit avec des énergies fossiles. D’autant que les bus ne représentent qu’une très faible part du trafic global sur les autoroutes. »

Atosca souhaite aussi lutter contre « l’autosolisme » en créant deux parkings de covoiturage. En bref, trois propositions anecdotiques, aux effets « minimes », qui « détournent l’attention », résume le chercheur.

« L’A69 va à contre-courant de nos objectifs climatiques »

Moins anecdotique, lorsque cette autoroute sera construite, elle incitera les conducteurs à rouler plus vite : 130 km/h au lieu des 90 km/h de la nationale. De quoi raccourcir le trajet de 35 minutes selon le concessionnaire — les opposants parlent plutôt d’un gain de temps de 15 minutes. De quoi, aussi, polluer plus car plus on roule vite, plus les émissions augmentent.

Créer une nouvelle route entraîne forcément une hausse des émissions — à cause de la construction comme de l’utilisation de l’autoroute : « Je ne vois pas comment on peut contester cela. Cela va à contre-courant de nos objectifs climatiques et de sobriété dans nos mobilités », résume Aurélien Bigo.

Argument n°2 : un chantier bas carbone 

« Matériaux recyclés, matériaux bas carbone, limitation des approvisionnements extérieurs » : Atosca promet un chantier exemplaire. Examinons tout d’abord la promesse de limiter « les approvisionnements extérieurs ». Pour produire du bitume, Atosca aura besoin de 2,6 millions de tonnes de granulats qu’il ira piocher dans les gravières de l’Ariège. Une exploitation certes « locale », mais qui affecte les nappes phréatiques.

Ensuite, l’entreprise va fabriquer son bitume dans deux nouvelles usines qui vont être construites à proximité immédiate du tracé, dans les villes de Villeneuve-lès-Lavaur et Puylaurens. « Cela permet de réduire considérablement les nuisances liées au transport des matériaux fabriqués par camions et donc de limiter d’autant les impacts sur l’environnement. La grande majorité sera chargée au niveau des centrales pour être acheminée sur l’A69, par des camions qui ne circuleront pas sur les routes mais directement sur le tracé de la future autoroute », se vante l’entreprise dans un article de La Dépêche.

Des militants ont dénoncé la pression sur la ressource en eau causée par les nombreuses gravières du département. Celles-ci servent à extraire des granulats pour construire, notamment, des autoroutes. © Justin Carrette / Reporterre

Elle assure qu’elle diffusera sous forme de vapeur, un mélange d’huiles essentielles « afin de masquer les odeurs ». Enfin, ces centrales fonctionneront avec du « carburant biosourcé ». Mais cet asphalte « local » ne convainc pas habitants vivant autour des futures centrales. Ils ont lancé un collectif baptisé Lauragais sans bitume afin de sensibiliser aux rejets toxiques.

« Dans l’étude d’impact, Atosca assure respecter les seuils fixés. Mais l’entreprise fera elle-même les contrôles. Même s’ils s’engagent à respecter les normes, comment être sûrs que ce soit vrai ? Et ils nous ont promis un contrôle dix jours après le lancement de la centrale, puis une fois par an. Ce n’est pas très rassurant », dit Peter (prénom d’emprunt) du collectif Lauragais sans bitume.

Rares sont les études sur les conséquences des rejets toxiques autour des centrales. « Les seules analyses sont faites à la sortie de la cheminée. Or, il y a des composants polluants qui s’échappent tout au long de la chaine de transport », explique Patrick Lorne de la Fédération pour des alternatives aux bitumes pétroliers (FAB).

« Le bitume chauffé émet des fumées dangereuses »

Autre argument écolo d’Atosca : l’utilisation de matériaux recyclés. Il s’agit du fraisat, issu du raclage des routes abîmées. Un résidu loin d’être « écologique » contrairement aux promesses de l’industrie du bâtiment.

Pour être utilisé, ce fraisat doit être chauffé entre 230 et 270 °C. Or, plus on le chauffe, plus les gaz qui s’échappent sont polluants. L’Institut de santé et de sécurité au travail (INRS) explique que « lorsque le bitume est chauffé à des températures pouvant atteindre ou dépasser 210 °C, il émet des fumées pouvant contenir des substances dangereuses ».

Argument n°3 : les arbres seront replantés

« Il y aura cinq fois plus d’arbres replantés qu’abattus. » À en croire Clément Beaune, le ministre des Transports, l’A69 pourrait presque reboiser toute la région.

Le hic, c’est qu’Atosca est incapable de chiffrer précisément les arbres qui vont être abattus. Il est seulement question de « ratios calculés par les bureaux d’études et les écologues [qui] respectent la réglementation en vigueur et se fondent sur des superficies d’habitat et non sur un nombre d’arbres ». Une phrase alambiquée prononcée lors d’une réunion du comité de suivi des mesures compensatoires dont Reporterre s’est procuré le compte rendu. «  C’est donc un mensonge si on se réfère à leur propre document », explique Thomas, membre de l’association d’opposants La Voie est libre, présent lors de cette réunion.

Des militants contre l’A69 ont été délogés des platanes, sur lesquels ils s’étaient perchés pour les protéger de l’abattage. © Emmanuel Clévenot / Reporterre

Quand bien même des arbres seraient replantés, leurs chances de survie sont assez faibles. Un rapport publié par le ministère de l’Agriculture sur les plantations forestières en France montre qu’en 2022, 37,7 % des plantations ont été « ratées » et 21,8 % des plants sont morts. Soit « le taux d’échec le plus élevé depuis la mise en place de ce suivi sanitaire en 2007 », écrit le ministère.

Enfin, croire que planter des jeunes arbres permet de compenser la destruction de spécimens anciens traduit une méconnaissance totale du fonctionnement de l’écosystème forestier.

Argument n°4 : les zones humides seront restaurées

« La restauration de zones humides très dégradées et de boisements permettra une captation importante de carbone dans les plaines du Girou et du Bernazobre. » Dans sa réponse aux critiques de l’Autorité environnementale, Atosca se montre particulièrement sensible au devenir des 22,5 hectares de zones humides qui devraient être « impactés » par le chantier.

Le concessionnaire assure avoir prévu des surfaces bien supérieures à la réglementation pour compenser ces destructions. Problème : il n’aurait pas acheté tous les terrains permettant de faire cette compensation. Dans le compte rendu de la réunion du comité de suivi (même document que cité plus haut), Atosca explique que « la maîtrise de quelques terrains identifiés n’était pas possible faute d’accord avec les propriétaires concernés. Les discussions se poursuivent donc sur les sites non encore maîtrisés à ce jour ».

Une aberration pour maître Alice Terrasse, l’avocate de La Voie est libre. « Comment on ne peut pas avoir plus de certitudes quant à la possibilité de mettre en œuvre des compensations, alors que l’entreprise se targue de livrer un dossier exemplaire ? » .

Autre accroc concernant les zones humides, un arrêté du préfet du Tarn signé le 6 octobre dernier. Il met en demeure Atosca pour destruction de la zone humide de l’Agout, sans avoir réalisé au préalable les études sur l’état initial de la zone. « Ces impacts qui devaient être provisoires se sont transformés en impacts définitif », poursuit Alice Terrasse. Car faute d’études préalables, impossible de compenser les pertes de faune et de flore causées par les travaux. Atosca est donc condamné à trouver 147 m2 de nouvelles surfaces pour compenser cette destruction.

Argument n°5 : les destructions seront compensées

Le concept de compensation revient partout dans le dossier de l’A69. « Les dommages créés par les aménagements sont immédiats, pérennes voire irréversibles. Alors que la compensation aura effet différée dans le temps, il faudra plusieurs décennies avant de rétablir un écosystème », remarque Soizic Rochange, biologiste à l’université de Toulouse et membre du collectif de scientifiques Atécopol.

Elle se dit dubitative quant à la promesse d’investir 23 % du montant total du projet dans la protection de l’environnement. « Si la compensation ne marche pas, cela ne change rien de mettre de l’argent. Cela ne va pas ramener les oiseaux ou faire pousser les arbres plus vite s’il n’y a pas d’eau. »

Lire aussi : Grands projets destructeurs : l’esbroufe de la « compensation écologique »

L’échec des politiques de compensation écologique a déjà été démontré dans une étude scientifique menée sur vingt-quatre projets d’infrastructures en Occitanie et dans les Hauts-de-France. Dans 80 % des cas, les objectifs ne sont pas atteints.

L’avocate de l’association La Voie est libre va d’ailleurs déposer un mémoire complémentaire pour contester toutes les mesures compensatoires. « Comme tous les maîtres d’ouvrage, Atosca multiplie les bonnes intentions mais ne démontre pas la véritable compensation au sens du code de l’environnement, c’est-à-dire dire l’absence de perte nette de biodiversité. »

Source: https://reporterre.net/L-A69-une-autoroute-ecolo-On-a-verifie

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