«Lactalis, prédateur!» 200 paysans occupent le siège du géant laitier (reporterre-22/02/24)

Vers 14 heures, le 21 février 2024, les drapeaux de la Confédération paysanne flottaient par dizaines dans les couloirs des bâtiments. – © Emmanuel Clévenot / Reporterre

À Laval, en Mayenne, le siège du géant laitier Lactalis a été envahi par 200 paysans. Les contrats imposés par la multinationale « poussent certains éleveurs à travailler à perte », dénonce la Confédération paysanne.

Par Emmanuel CLEVENOT

Laval (Mayenne), reportage

Une intrusion historique. À trois jours de l’ouverture du Salon de l’agriculture, près de deux cents paysans et une dizaine de tracteurs ont convergé sur le siège social du numéro 1 mondial des produits laitiers, Lactalis. Jamais la multinationale basée à Laval n’avait connu un tel envahissement en près d’un siècle d’existence. En une poignée de secondes, vers 14 heures, sous les regards incrédules des salariés et de la direction, les drapeaux jaunes de la Confédération paysanne flottaient par dizaines dans les couloirs immaculés des bâtiments.

Parmi les manifestants, venus de Sarthe, Maine-et-Loire, Manche ou même Ariège, se trouve Vincent Guillet, éleveur bio. Il vend son lait à Lactalis depuis près de quarante ans. Lui rangera bientôt ses bottes au placard. S’il est là aujourd’hui, c’est pour défendre l’avenir de sa fille, bientôt à la tête de sa ferme : « Le prix fixé par Lactalis au début de l’année est inférieur à celui de 2023. Et pendant ce temps-là, le montant de l’assurance et des charges grimpent. Ce n’est plus possible ! D’autant qu’en grande surface, notre lait est vendu trois fois plus cher. »

Disparaissant sous son k-way fluorescent, une manifestante ne mâche pas ses mots : « Lactalis est un véritable prédateur. » Au cœur des préoccupations ce jour, les contrats imposés par la multinationale, qui « asservissent les éleveurs, et poussent certains à travailler à perte ». La direction du syndicat a demandé à être reçue par l’un des actionnaires. En vain.

« Ce n’est plus possible ! »

Dans le hall d’entrée, quelques hommes en costume observent le ballet. S’approchant d’eux, sourire aux lèvres, une éleveuse les interpelle : « Il est où votre patron ? Il a pris la fuite ? Il aurait pu nous offrir un bon lait chaud quand même. » À l’autre bout du couloir, deux policiers en uniforme campent silencieusement.

Aux mois de janvier et février, le géant laitier avait fixé le prix du millier de litres à 405 euros, avant de l’augmenter à 420 euros sous la pression des blocages. Un montant encore bien inférieur à ce que paient d’autres laiteries. Il sonne comme la preuve ultime de l’inefficacité de la loi Egalim — adoptée en 2018 et censée protéger la juste rémunération des agriculteurs — aux yeux des manifestants. La Confédération paysanne exige, elle, une revalorisation immédiate à hauteur de 500 euros (soit 50 centimes le litre).

Avec un chiffre d’affaires dépassant les 28 milliards d’euros en 2022, Lactalis est le n°1 français de l’agro-alimentaire. © Emmanuel Clévenot / Reporterre

Plus tôt dans la matinée, à l’hôtel Matignon, le Premier ministre Gabriel Attal pointait justement du doigt « les fraudeurs » de la loi Égalim : « Les contrôles se multiplient, et les sanctions seront au rendez-vous. » Il promettait, par ailleurs, la présentation au Parlement d’un nouveau projet de loi d’ici l’été : « On ne peut pas accepter qu’un industriel conclue un prix avec un distributeur avant de se retourner vers le producteur pour lui imposer celui-ci. »

Des déclarations que Laurence Marandola, porte-parole du syndicat, accueille avec hostilité : « L’urgence est là, et elle ne peut pas attendre l’été. En deux semaines, il peut s’en prendre à Écophyto [qui vise à réduire le recours aux pesticides]. Pourquoi on ne pourrait pas se doter d’une loi protégeant le revenu des paysans dans le même laps de temps ? » La porte-parole réclame l’interdiction de tout achat de produits agricoles en-dessous du prix de revient. Autrement dit, l’instauration d’un prix minimum couvrant le coût de production, la juste rémunération du paysan et sa protection sociale.

Trois seigneurs, et des sujets révoltés

La Confédération paysanne n’est d’ailleurs pas la seule à monter au créneau. La veille, un camion-citerne de la multinationale a aussi été intercepté près de Vesoul (Haute-Saône). Une action commanditée par la Fédération départementale des producteurs laitiers, une branche de la FNSEA. À la tombée de la nuit, alors que l’engin s’apprêtait à clôturer sa collecte dans les fermes alentour, une trentaine d’éleveurs l’ont immobilisé avant d’en extraire le lait. Un butin distribué ensuite aux paysans du coin, pour nourrir les veaux.

Au micro de l’AFP, le président de la Fédération départementale des producteurs de lait, Michaël Muhlematter, détaillait le mobile de cette saisie : « Avec ses marques comme Président, Lactel Roquefort Société et Galbani, Lactalis se comporte comme un seigneur, en donnant ce qu’il veut aux producteurs, sans aucune négociation possible. »

Au cœur des préoccupations ce jour, les contrats imposés par la multinationale, qui « asservissent les éleveurs, et poussent certains à travailler à perte ». © Emmanuel Clévenot / Reporterre

Dans un communiqué, l’antenne haut-saônoise de la FNSEA, syndicat présidé par le prospère Arnaud Rousseau, a accusé le leader mondial laitier de « bafouer la loi Egalim », avant de réclamer que les « enquêtes de la répression des fraudes sur les pratiques de Lactalis et des distributeurs soient rendues publiques » avec « des sanctions ».

Début février, des perquisitions ont bel et bien été menées au siège lavallois du groupe, dans ses bureaux parisiens et à l’hôtel particulier de son président. Avec un chiffre d’affaires dépassant les 28 milliards d’euros en 2022, Lactalis est le n°1 français de l’agro-alimentaire, devant Danone. Et il est désormais sous le coup d’une enquête du Parquet national financier pour fraude fiscale aggravée et blanchiment de fraude fiscale aggravée. Les faits s’étendraient de 2009 à 2020.

Lactalis nous met à poil ! Ça suffit. Rends l’argent caché dans les paradis fiscaux ! 500 euros la tonne de lait maintenant ! @LEleveurlaitier pic.twitter.com/9s1LIfhGkW

— Conf’ Paysanne (@ConfPaysanne) February 21, 2024

Toujours dans l’attente d’une entrevue, les éleveurs chantent en cœur dans le hall d’entrée du géant laitier : « Lactalis, lacto-terroriste ! Lactalis, lacto-terroriste ! » D’autres, dénudés, entonnent « Lactalis nous met à poil ! » Un homme au béret détrempé s’applique à énumérer la poignée de milliardaires détenant la totalité des actions du groupe : « Il y a Emmanuel Besnier, sixième fortune de France, son frère Jean-Michel et sa sœur Marie. C’est tout, insiste-t-il, les yeux écarquillés. Et ce trio détient 36 milliards d’euros. Un éleveur bovin mettrait 2 millions d’années à récolter une telle somme. Leur déconnexion est fulgurante ! »

Laurence Marandola, un mégaphone à la main, enchérit : « La direction fait preuve d’un mépris absolu. Elle fait mine de découvrir la souffrance des éleveurs. » La porte-parole précise que les principaux actionnaires n’ont pas accepté d’échanger. La décision est prise : dans ce cas-là, les paysans ne bougeront pas.

Croisé à 19 heures sur un quai de la gare Montparnasse, à la sortie du train Laval – Paris, Emmanuel Besnier a refusé de répondre à nos questions.

Source: https://reporterre.net/Lactalis-predateur-200-paysans-occupent-le-siege-du-geant-laitier

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