Par Hervé
C’est avec plaisir que nous partageons avec vous la découverte du 1er livre de Laurent Michelon (https://t.me/la_realgeopolitik) qui collabore occasionnellement avec le site depuis quelques années avec des traductions déjà orientées vers la Chine. C’est aussi une voix rare qui porte un vrai regard sur la Chine, presque de l’intérieur. Dans notre domaine de la traduction, il y a finalement assez peu de références d’auteurs locaux, en dehors des instances étatiques, pour permettre à nos lecteurs de mieux comprendre les enjeux chinois avec un minimum de recul.
Le livre parcours l’histoire de ces 2 derniers siècles de la Chine mais aussi de cet Occident collectif bien au delà de l’historiographie officielle. Chaque étape de cette histoire est revisitée, les guerres de l’Opium et la profonde trace laissée par cette humiliation nationale, la conquête japonaise avant la 2nd guerre mondiale, les relations complexes avec l’Union Soviétique, jusqu’aux épisodes plus récents de guerres informationnelles autour du Tibet et du Xinjiang, et bien sur le dossier Taïwanais.
L’auteur explique très bien comment ces agressions ont façonnées la société moderne chinoise et surtout comment les chinois cherchent un équilibre entre leur libération de la domination occidentale, l’équilibre de leur propre société et le contrôle de toute volonté de puissance sans limites pour ne pas devenir un nouvel hégémon, piège qui, au delà d’un enrichissement rapide, détruit votre civilisation sur le long terme.
Les chinois ont des atouts et entendent bâtir notamment sur leur forces internes, issues de leur histoire millénaire et c’est tout le travail de l’auteur de nous montrer ce qui est difficile à voir avec nos yeux occidentaux. Le Je et le Nous n’ont pas le même sens de ce côté ci de la planète, l’universalisme totalitaire est une triste page de l’histoire qui se tourne, le monde de demain sera réellement multipolaire portée par les puissances montante à l’Est.
Le contraste entre les 2 mondes et surtout leur évolution croisée est saisissant, presque abyssal. Pour l’Occident, cette déchéance s’étale dans nos colonnes à longueur de semaine en attente d’un renouveau que l’on espère mais qui passera par une profonde refondation. Pour la Chine, si rien n’est acquis, l’auteur brosse un panorama des horizons prévisibles, du moins de son point de vue éclairé par son expérience chinoise.
Les perspectives sont pour le moins intéressantes et cela augure pour l’humanité une sortie de crise qui malgré les humeurs sombres du moment pourrait déboucher sur un renouveau y compris occidental.
Retrouvez Laurent Michelon sur Telegram à https://t.me/la_realgeopolitik
Bonjour Laurent Michelon, merci d’accepter cette interview.
Saker Francophone : On vous avait découvert traducteur bien avant d’être l’auteur de ce livre. Ce livre était-il déjà en gestation ? Cette synthèse vous semblait-elle nécessaire et quel est votre lectorat cible ?
Laurent Michelon : Le Saker francophone a joué un rôle important dans la découverte d’auteurs anglophones qui ont un point de vue assez proche de mon analyse de la Chine contemporaine. Il est d’ailleurs assez fascinant de réaliser que certaines des analyses les plus fines et les critiques les plus acerbes de la domination de l’hégémon anglo-américain proviennent de l’intérieur de l’hégémon lui-même, dont le Saker francophone fait une excellente présentation au public. Les traductions réalisées pour le Saker francophone m’ont permis de conforter ce qui, il y a 7 ou 8 ans, n’étaient que des intuitions, des perceptions éparses sur des questions très diverses liées à la Chine, qu’il m’a un jour semblé utile de consolider en une présentation concise, et pas trop longue, pour les lecteurs qui n’ont pas le temps de se plonger dans les détails de l’histoire, de la politique et de l’économie de la Chine et de ses relations avec l’Occident.
Synthétiser ces questions m’est apparu vital au fur et à mesure que la Chine reprenait sa place dans le concert des grandes nations, et que la couverture médiatique occidentale devenait proportionnellement plus hystérique et biaisée à son sujet. Les questions récurrentes de certaines de mes connaissances en Europe et en Amérique du Nord sur les questions d’actualité impliquant la Chine m’ont révélé la présence d’une demande cachée des Occidentaux pour une information factuelle. La propagande occidentale sinophobe (comme son volet russophobe) est si grossière et caricaturale qu’elle a généré sa propre critique et ses anti-corps. Les lecteurs des médias de masse occidentaux, qui vivaient depuis les Trente Glorieuses dans l’illusion confortable de la démocratie ultra-libérale, sont les plus bombardés de désinformation et les moins préparés à discerner la propagande, mais une frange de plus en plus importante perçoit que le récit officiel sur la Chine est biaisé, et concluent d’eux-mêmes qu’une nation comme la Chine ne peut pas être aussi éloignée du reste de l’humanité comme voudraient nous le faire croire les médias de masse. Ce sont ces gens-là, qui me confiaient qu’ils ne savaient pas où trouver une information factuelle en français sur la Chine, qui m’ont convaincu d’écrire cet essai.
SF : Pour rentrer dans le vif du sujet, la Chine est elle un modèle ou un faux semblant qui pourrait se dégonfler ?
LM : La Chine contemporaine n’est ni un modèle, ni une baudruche. Pour résumer ce que je développe dans un chapitre de mon ouvrage, la Chine reprend la place qu’elle a perdue au 17ème siècle en deux étapes. Elle a d’abord perdu sa place de première économie mondiale lorsque le Royaume-Uni l’a dépassée grâce à sa politique expansionniste coloniale, dont on connaît la brutalité. La deuxième étape du déclassement de la Chine, pas seulement économique cette fois, mais civilisationnel, eut lieu un siècle plus tard, lors des deux Guerres de l’Opium, qui furent une tentative occidentale (dans laquelle la France s’est fourvoyée) d’inonder la Chine de drogues dures de mettre son peuple de facto en esclavage, et ses élites en situation de soumission au dealer d’opium anglo-saxon. En deux siècles à peine, la Chine est passée du statut de première puissance économique à celui « d’homme malade de l’Asie ». Elle n’a pas oublié le siècle d’humiliation qu’elle a vécu, et aujourd’hui encore rappelle à sa population, avec raison, les dangers venus de l’étranger qui ont failli faire disparaître cette civilisation.
Depuis 1949, après maints soubresauts, la Chine a réussi à développer son propre modèle de développement, qu’elle n’a pas la prétention d’exporter. Cela est dit très clairement dans les discours officiels chinois à l’attention du Sud global en développement: la Chine peut aider les Etats en développement à trouver leur voix, en s’inspirant éventuellement de certains aspects du développement chinois, mais toujours avec objectif de créer un modèle local. Il ne s’agit pas pour la Chine de prendre la place des États-Unis dans l’imposition d’un modèle étranger présenté comme supérieur et inévitable.
Quant à savoir si son ascension est temporaire ou précaire, je ne le pense pas. Même si l’hégémon anglo-saxon parvient à ses fins et force la Chine à entrer dans un conflit militaire avec les nombreux vassaux asiatiques des États-Unis en Asie, je pense que le résultat sera le même que pour la Russie de Poutine: un ralentissement économique suite aux sanctions occidentales, puis une reprise de la croissance suite à l’autonomisation de la Chine par rapport à la sphère économique occidentale, et un renforcement de ses liens avec le Sud global. Ce serait regrettable et dommageable surtout pour l’Occident. Si tout ce qu’a à craindre la Chine sont les menaces de destruction économique d’un Bruno Lemaire, son avenir est plutôt radieux.
SF : A-t-on d’ailleurs passé le pic de puissance de l’Empire américain pour laisser place à ce monde multipolaire souhaité par la Chine et même la Russie, que vous décrivez dans ce livre ?
LM : Je pense que l’extrême fébrilité de l’administration américaine, et la violence aveugle dont elle fait preuve avec le sabotage de Nord Stream, mais aussi en Afghanistan et en Ukraine, atteste de la prise de conscience de l’état profond anglo-américain de sa perte de contrôle sur la destinée du monde, qu’il a voulue totale après la disparition de l’Union soviétique. Cette administration américaine, pilotée par un état profond néoconservateur, ne va pas rester assise sur ses mains à déplorer l’avènement d’un monde multipolaire et le déplacement du cœur économique mondial vers l’Est. Son niveau de violence va augmenter avant que les néoconservateurs perdent leur influence au sein de l’hégémon sous l’effet boomerang de leurs sanctions à tout-va et des décisions tactiques catastrophiques qui les caractérisent, et soient remplacés par des politiciens qui entérineront la fin de l’Empire américain et avec lui celle du monde unipolaire. Entre temps, ce sera aux diplomaties russe et chinoise d’éviter l’escalade du conflit tant recherché par Washington, ses vassaux et leurs instruments d’expansion néo-coloniale que sont l’OTAN, l’UE, l’AUKUS, la CPI, etc.
SF : Vous parlez aussi d’une voie médiane. Comment instaurer la confiance pour laisser Russie/Chine/Inde gouverner à leur tour après 5 siècles de gouvernance occidentale ? Méfiance en Occident certes mais aussi en Asie.
LM : Les termes du débat en Occident sont souvent alarmistes et manichéens. Les commentateurs et « experts » divers parlent tous de « veiller à ne pas pousser la Russie dans les bras de la Chine », de « ne pas avoir envie de vivre sous une gouvernance à la chinoise », d’« impérialisme chinois revanchard », etc. Il est évident et compréhensible que les Occidentaux n’aient pas envie de vivre sous une gouvernance chinoise, tout comme les Chinois n’ont aucune envie de vivre sous une gouvernance occidentale, qu’on tente pourtant de leur imposer depuis 1978 comme le seul modèle viable de développement (le fameux acronyme thatchérien TINA, There Is No Alternative).
Cela dit, il est fort probable que les meilleures années de la démocratie libérale soient derrière elle, sans que la Chine ou la Russie ne soient à blâmer. C’est la conduite erratique de l’hégémon, son exceptionnalisme niais, ignorant et agressif, la coercition financière et militaire qu’il a exercée sur le monde entier, qui ont créé les conditions de son déclin. Son hard power a détruit ce que son soft power construisait patiemment depuis 1945.
La nomenklatura occidentale va devoir ravaler son arrogance et perdre sa vision manichéenne des relations internationales: avec l’émergence de la Chine, deux pôles de rayonnement culturel et économique au lieu d’un seul auraient pu coexister, et le monde entier en aurait profité. Mais ne supportant l’idée d’être en compétition sur un pied d’égalité avec un pays encore récemment en développement, les masques sont tombés et l’Occident s’est révélé pour ce qu’il était derrière ses discours sirupeux sur les droits de l’homme et de la démocratie dont il a la bouche pleine: une entité militaro-administrative illégitime, belliqueuse, arrogante, raciste (l’hypocrisie occidentale permet de honnir la Chine, la Russie et l’Iran sans être étiqueté comme raciste, mais plutôt comme « un amoureux de la démocratie et de la liberté ») qui au lieu de continuer à briller, se consume sous ses contradictions et la disparition de ses valeurs fondatrices, marquant la fin de la mondialisation à l’occidentale. Désormais, le Milliard Doré (la population de l’Occident) va devoir accepter de se défaire de sa patine dorée, et entrer en compétition avec le Sud global, qui lui n’a jamais cessé de se dépasser et de se renforcer. L’Occident peut demeurer un pôle de puissance, mais il ne sera qu’un pôle parmi d’autres, et pas forcément le plus robuste. Nulle part ailleurs que dans les États européens la question de l’appartenance géopolitique n’est plus prégnante: rester arrimés de force à l’hégémon anglo-américain et demeurer le champ de bataille de ce dernier contre les puissances eurasiatiques comme ce fut le cas pendant tout le 20ème siècle, ou se battre pour leur indépendance et reprendre leur place d’acteurs fondamentaux en Eurasie. Ce n’est pas aux élites néo-compradore européennes qu’il faut poser cette question, mais aux peuples européens, qui doivent imposer cette question à leurs élus. Cette question de positionnement géopolitique des États européens est fondamentale, tout le reste peut attendre.
SF : Dans l’état actuel, les dirigeants occidentaux vont tout faire pour ne pas perdre. On parle de menace nucléaire et les méthodes de déstabilisation qu’on qualifie de Guerre Hybride sont redoutables, ayant déjà fait leurs preuves. Est-ce que la Chine est prête ?
LM : La Chine, comme les États-Unis, observe et tire ses propres leçons du conflit par triangulation que mène l’OTAN à la Russie. L’intelligentsia et l’état-major chinois savent que la Chine est la prochaine cible sur la liste de Washington, et surtout, la cible ultime qui justifie le cirque macabre qui se déroule en Ukraine. La guerre en Ukraine n’est pas à propos de l’Ukraine. Elle n’est même pas à propos de la Russie, mais de la Chine. Des mercenaires Ouïgours combattant au sein de la légion internationale en Ukraine l’ont publiquement admis, démontrant une compréhension des enjeux géopolitiques supérieure à celle de beaucoup d’experts de plateaux occidentaux. Il s’agit pour l’hégémon anglo-américain d’affaiblir suffisamment la Russie pour qu’elle ne puisse apporter de soutien significatif à la Chine lorsque celle-ci sera attaquée par l’OTANAUKUS en Mer de Chine du Sud.
La Chine, constamment désignée comme menace, est en préparation pour un conflit, elle n’a pas d’autre choix. Elle affronte la guerre hybride impériale depuis sa fondation en 1949: le Tibet, la place Tiananmen, Hong Kong, les Ouïgours, Taïwan sont autant de foyers d’incendie créés et entretenus par l’hégémon anglo-américain pour contenir l’ascension chinoise et provoquer un changement de régime. La dernière question, la plus importante, porte sur Taïwan. L’ambiguïté constructive chère à Kissinger et son comparse Dulles, arrive à son terme après 70 ans d’atermoiements. En 2025 ou 2027, dates avancées par les fins stratèges américains, un conflit éclatera entre la Chine et Taïwan. Toutes les simulations effectuées aux États-Unis annoncent des résultats désastreux pour l’armée américaine et surtout catastrophiques pour la population taïwanaise. Cela n’empêche pas les États-Unis de continuer sur leur voix de la perturbation du statu quo entre les deux rives du détroit de Taïwan, car le bien être des Taïwanais lui importe autant que celui des Ukrainiens, des Afghans, des Libyens, des Irakiens, etc.
Il est difficile de prévoir ce que fera la Chine, et selon quelle séquence, mais tout connaisseur de la Chine et de Taïwan sait qu’il n’y a pas deux peuples au monde qui renâcleront plus à s’affronter militairement. L’hégémon anglo-américain pourrait être surpris comme il ne l’a jamais été auparavant par deux événements simultanés: il pourrait se trouver seul en première ligne contre la Chine sur les plages de Formose plus rapidement qu’il ne le pense. Et le soutien aéronaval de sa 7ème flotte du Pacifique pourrait se révéler de courte durée face aux armes hypersoniques chinoises. Au-delà, la question du nucléaire se pose, y compris celle de la destruction volontaire de centrales électriques nucléaires civiles comme ce fut tenté par l’artillerie ukrainienne sur la centrale de Zaporojié (Taïwan compte trois centrales nucléaires), pour polluer à jamais un endroit qui échappe au contrôle de l’hégémon.
SF : Et quel avenir pour l’Occident dans ce nouvel ordre mondial multipolaire ? Déclin, rebond, mise au ban, mort ?
LM : L’Occident, malgré ce qu’on essaie de nous faire prendre pour des tentatives de suicide à répétition (chaque nouvel -isme progressiste concocté dans les cuisines anglo-américaines), a encore sa place dans le concert des nations. Sa faiblesse réside dans le fait qu’il ne représente pas un tout civilisationnel comme les états-civilisations que sont la Chine, la Russie, l’Iran.
Les valeurs de compassion, de raison, de tempérance qui ont façonné l’Occident helléno-chrétien, ont disparu, si bien que l’Occident ne sait plus se définir dans son rapport au monde autrement que par un empilement de « droits » et de « libertés » plus loufoques et décadents les uns que les autres, qui sidèrent et révulsent le reste du monde. Sa contribution nette à l’humanité est désormais négative, et son modèle, qui a fait illusion un temps, ne fait plus vendre. La France, si elle veut survivre au lieu d’être dissoute dans le chaudron de l’atlantisme, doit se rendre compte qu’elle ne fait pas partie de cet Occident du 21ème siècle. C’est justement parce qu’elle a eu un rôle historique précurseur et une relation privilégiée avec les états-civilisations que sont la Russie et la Chine que la France peut mettre fin à la schizophrénie européenne qui consiste à être eurasien tout en prétendant être atlantiste. La France, et l’Europe latine en général, n’ont rien à faire dans l’OTAN qui a désigné comme « défis systémiques » et « menaces existentielles » les deux plus grands partenaires de l’Europe latine que sont depuis toujours la Chine et la Russie.
SF : Si le reste du monde devait instruire des procès pour toutes les guerres post-1945, il faudra des décennies pour en venir à bout. Est ce souhaitable ou même nécessaire ?
LM : Si je comprends bien votre question, il s’agirait de juger les acteurs-clés de l’hégémon anglo-américain pour les guerres éternelles qu’il a déclenchées sur tout le globe depuis 1945 pour accroître et maintenir sa domination. Obtenir justice est toujours souhaitable, et nécessaire pour tourner la page et aller de l’avant. Cela dit, les institutions qui seraient en mesure d’exiger et d’appliquer cette justice, les institutions onusiennes, sont inféodées à l’hégémon anglo-américain, comme en atteste le nombre de résolutions de l’ONU non appliquées, et l’instrumentalisation de ses institutions dont la marque de commerce est le « deux poids deux mesures ». Sorti des institutions onusiennes, on pourrait penser à un tribunal ad hoc, ou à la création d’une énième court fantoche comme la CPI: en plus d’être totalement illégitime et inutile, ce n’est pas dans l’esprit de la Chine ni même de la Russie, qui cherchent à faire respecter leurs droits au sein des institutions existantes.
SF : Si on prend en compte la finitude de notre monde, quel est le projet chinois ? Pour lui-même, pour les autres ? Restaurer l’Empire du milieu et si contempler de nouveau 1000 ans après ? Ont-il une vision du monde sur le très long terme ?
LM : Historiquement, la Chine a toujours été centrée sur sa prospérité et sur le maintien de la paix avec ses voisins. La Chine est aujourd’hui voisine de 14 États souverains, et en guerre avec aucun d’eux, ni avec aucun autre état dans le monde. Elle renforce aujourd’hui ses capacités militaires pour se protéger des ambitions de l’hégémon en Asie, qui se font de plus en plus pressantes et agressives. Même ceux qui font semblant de s’inquiéter de cette « course aux armements » savent pertinemment que la Chine ne représente de danger pour personne. Mais à la traiter comme un danger comme le fait l’Occident, la Chine finit par se sentir en danger, et à nous considérer comme un danger. Là aussi, les acteurs de l’état profond anglo-américain et leurs vassaux le savent, car c’est l’objectif qu’ils recherchent: pousser la Chine à une position défensive forte que les médias occidentaux appelleront « agression non provoquée ». On connait la suite…
La Chine a un objectif de rajeunissement de sa propre société, et un objectif de contribution à « une communauté de destin pour l’humanité », qui est martelé dans tous les discours officiels chinois. Les médias occidentaux font semblant de ne pas l’entendre, car cela contredit leur récit inventé de toute pièce d’une Chine revancharde et insatiable. Quant à sa vision à long terme, elle est balisée par des plans et des rendez-vous politiques quinquennaux comme le dernier Congrès du Parti qui vient de s’achever en octobre 2022.
Quant à « s’auto-contempler pendant 1000 ans », ce vocable ne vient d’aucun dirigeant chinois, mais plus certainement de médias occidentaux qui font référence à un certain régime européen des années 30.
SF : Si on reste optimiste pour l’Occident. Quel projet de civilisation pourrait nous permettre de nous sortir de ce mauvais pas ? Serait il technologique ? Philosophique ? Religieux ?
LM : Les fondations de l’Occident, philosophiques comme religieuses, ont été sciemment perverties par des groupes d’intérêts qui dirigent aujourd’hui l’Occident derrière un paravent de démocratie libérale. La question de la définition de l’Occident d’hier et d’aujourd’hui doit être posée, car l’utilisation de ce terme est, je pense, volontairement trompeuse, et empêche même tout renouveau des nations occidentales. Existe-t-il un Occident comme Tout civilisationnel, ou des Occidents latin, anglo-saxon, slave, américain et dans ce cas, quelle est la pertinence de ce terme fourre-tout ? Les pays Occidentaux font-ils tous volontairement partie de ce groupe? La France a-t-elle sa place dans l’Occident d’aujourd’hui, ou cette étiquette est-elle devenue un frein à son renouveau? Le terme « Occident » n’est-il pas, comme l’UE et l’OTAN, destiné à faire disparaître la souveraineté des nations en leur vendant une identité supra-nationale basée sur des valeurs aussi floues que la démocratie, l’environnement, les droits de l’homme, etc.? En quoi un Occident qui exporte par la force ses « valeurs » qu’il revendique comme universelles est-il différent d’un croisé ou d’un djihadiste?
Le renouveau du Catholicisme, en France notamment, doit être salué, mais il n’est pas suffisant dans sa forme actuelle pour provoquer un renouveau civilisationnel. Il ne peut y avoir en Occident de projet de « rajeunissement national » comme le fait la Chine sans une prise de conscience d’une partie de la population que le pouvoir n’est plus dans les mains du peuple, qu’il est accaparé par ses élites qui ne sont plus représentatives, et ne travaillent pas pour le bien de la nation ou du peuple. La sélection des élites est la différence fondamentale entre l’Occident et la Chine, comme je l’explique dans un chapitre de mon ouvrage.
SF : Votre livre sera d’une grande aide pour tout ceux qui veulent en savoir plus sur cet OVNI chinois qui pour certains est sorti de nulle part en quelques années. Comment s’éduquer à la Chine ?
LM : D’abord, se rendre en Chine ne serait ce que quelques semaines, pour le travail ou en vacances, me semble le moyen le plus sûr de se passer de l’intermédiation néfaste des médias de masse. Se faire sa propre idée sans le bruit de fond des médias atlantistes est crucial. Ensuite, s’informer sur les canaux tels que le Saker francophone pour tout ce qui est « relations internationales ». C’est d’un bien meilleur niveau d’exactitude que ce qu’on peut trouver dans les médias de masse. Enfin, pour ceux qui ont le temps et s’intéressent en profondeur à ce pays, nous avons eu la chance en France (et en Belgique) à une époque d’avoir parmi les plus grands sinologues de l’Occident: Pelliot, Demiéville, Gentelle, Bergère, Leys, etc.
SF : Des projets ?
LM : « Rendez vos projets aussi impénétrables que la nuit, et quand vous agissez, soyez rapide comme l’éclair ». Sun Zi
SF : Merci Laurent Michelon
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