Par Tamara NASSAR
Peu après l’arrivée en octobre du Dr Ghassan Abu Sitta à l’hôpital al-Awda, dans le nord de la bande de Gaza, un officier israélien a contacté le directeur et a menacé de cibler l’hôpital s’il n’était pas évacué dans les deux heures. C’était « le premier message des Israéliens disant que la principale cible de cette guerre allait être le secteur de la santé ».
Ghassan Abu Sitta, un chirurgien anglo-palestinien, est arrivé à Gaza le 9 octobre et y a travaillé comme volontaire pendant plus d’un mois. Lors d’un discours délivré en arabe à Beyrouth, en décembre, Abu Sitta a analysé la façon dont les attaques d’Israël contre le secteur médical constituaient une stratégie très importante de sa campagne de nettoyage ethnique et de génocide contre les Palestiniens de Gaza.
Les administrateurs de la santé à Gaza ont reconnu le caractère systémique de la campagne israélienne contre les bâtiments et travailleurs médicaux dès ses débuts. « Il y avait des appels téléphoniques, pas seulement à l’adresse du ministère de la santé, mais aussi entre les hôpitaux et les gestionnaires d’hôpitaux », a déclaré Abu Sitta à l’adresse du public de Beyrouth. « Une décision a été prise : Évacuer les hôpitaux, c’était faciliter le processus du nettoyage ethnique que l’ennemi voulait appliquer. »
Un ballon d’essai
Abu Sitta, qui se trouvait à l’Hôpital arabe al-Ahli de Gaza quand il a été bombardé le 17 octobre, déclare que cet incident choquant établissait un précédent de complaisance internationale qui permettait à Israël d’attaquer systématiquement les installations de santé partout à Gaza.
Des analyses indépendantes réalisées à l’étranger ont déterminé de façon péremptoire qui était responsable de l’explosion qui s’était produite à l’hôpital. Mais Abu Sitta prétend qu’il s’agissait d’un essai effectué par Israël, qui avait reçu le signal de l’Occident de poursuivre ce même plan après le bombardement de l’Hôpital chrétien, lequel avait de puissants liens internationaux. Plusieurs hôpitaux pédiatriques et autres centres pour des traitements spécialisés ont été ciblés.
Dans un cas particulièrement poignant, l’armée israélienne a laissé mourir plusieurs bébés palestiniens dans leurs petits lits à l’Hôpital pédiatrique al-Nasr, dans le nord de la bande de Gaza, après que le site avait subi un raid de ses troupes. Quatre enfants étiques étaient morts de faim, seuls, dans le froid, et on avait retrouvé leurs corps décomposés plusieurs semaines plus tard. Les attaques israéliennes contre les sites médicaux de Gaza ont atteint leur point culminant avec le raid contre al-Shifa – le plus grand et le plus moderne des hôpitaux du territoire – après un siège de plusieurs jours.
Avant de lancer l’assaut contre al-Shifa, Israël avait diffusé toute une propagande amplifiée par des hauts fonctionnaires américains et prétendant que le Hamas se servait du site comme d’un centre de commandement et de contrôle. De même que les mensonges d’Israël à propos du secteur de la santé à Gaza s’effondraient l’un après l’autre, toute allégation selon laquelle la destruction systématique du secteur gazaoui de la santé allait générer une condamnation ou une intervention au niveau international.
Aujourd’hui, Israël se soucie à peine de justifier ses incessantes attaques contre des sites médicaux. Plus de la moitié des 36 hôpitaux de Gaza sont complètement à l’arrêt et aucun n’est resté pleinement opérationnel.
Le Dr Abu Sitta a déclaré qu’Israël avait systématiquement attaqué des professionnels de la médecine « dans le but d’éliminer une génération entière de médecins ». L’objectif israélien, selon le Dr Abu Sitta, est que, « même si vous reconstruisez les hôpitaux, vous ne serez pas en mesure de rebâtir le secteur de la santé ». Il a ajouté que l’armée israélienne avait même détruit les panneaux solaires placés sur les toits des hôpitaux afin de ne pas compter uniquement sur le carburant, dont la livraison était minutieusement contrôlée par Israël. Le but ultime d’Israël est de rendre Gaza invivable et de faciliter ainsi l’expulsion de sa population, a ajouté le Dr Abu Sitta.
La solidarité collective
Les Palestiniens ont répondu aux attaques israéliennes par un grand sens de la communauté et de la solidarité, a déclaré le Dr Abu Sitta. Face aux crimes d’Israël encouragés par la communauté internationale, le Dr Abu Sitta a déclaré « Il y a eu et il y a encore maintenant des actes d’un héroïsme étonnant. »
L’individualisme s’est dissous et on a vu surgir une collectivité dont le Dr Abu Sitta dit qu’elle « défend son humanité et sa civilisation face à une barbarie criminelle ». Et d’ajouter que « la société palestinienne a décidé d’élever son humanité en défendant les plus faibles » dans ses rangs. Des gens ont partagé leurs ressources et d’autres sont intervenus pour s’engager volontairement afin de garder un sens de la communauté et de la dignité.
À l’hôpital al-Ahli, a rappelé le Dr Abu Sitta, « il y avait un coiffeur-barbier, tout près. Quand nous étions coupés du reste du monde extérieur, l’homme venait bénévolement et coupait les cheveux des médecins et du personnel médical ». – « Le lendemain, il venait bénévolement nourrir les patients et leur couper les cheveux. »
Le Dr Abu Sitta a expliqué qu’un pharmacien était venu à l’hôpital après que son officine avait été détruite. Il voulait aider à gérer les médicaments dans la salle d’opération. Le Dr Abu a décrit ces actes de solidarité en les qualifiant de« résistance communautaire ».
Des actions calculées et systématiques
Après 43 jours à Gaza, le Dr Abu Sitta s’en est allé après que l’hôpital où il travaillait est tombé à court de produits anesthésiants.
Des années avant la crise actuelle, le système de santé a vacillé au bord de l’effondrement pendant 16 années de siège, avec des offensives militaires répétées d’Israël et la mutilation de milliers de protestataires lors de la Grande Marche du Retour. Au moment où le génocide se poursuit, 4 pour 100 de la population de Gaza (2,3 millions d’habitants) a été tuée, blessée ou portée manquante.
Trois hôpitaux dans le centre et le sud de Gaza – Al-Aqsa, le Complexe médical Nasser et l’Hôpital européen de Gaza – « risquent de devoir fermer en raison de la publication d’ordres d’évacuation dans les zones adjacentes et du déroulement actuel des hostilités à proximités », selon le Bureau de l’ONU de coordination des affaires humanitaires (OCHA).
Certains hôpitaux de la ville de Gaza et de la partie nord de l’enclave qui avaient été obligés de fermer à l’issue des attaques israéliennes ont « recommencé à fonctionner jusqu’à un certain point », a déclaré l’OCHA vendredi. Mais ces hôpitaux souffrent d’un « manque de personnel médical, y compris des chirurgiens spécialisés, des neurochirurgiens et du personnel de soins intensifs, ainsi que d’un manque de fournitures médicales », a ajouté l’OCHA. Du fait qu’Israël empêche les fournitures d’atteindre le nord, il y a « un besoin urgent de carburant, de vivres et d’eau potable ». Les hôpitaux qui fonctionnent partiellement dans le sud « travaillent à trois fois leur capacité, tout en étant confrontés à de très graves pénuries de fournitures de première nécessité et de carburant », dit encore l’OCHA.
Jeudi, les forces israéliennes ont frappé Khan Younis, la plus grande ville du sud de Gaza, « pilonnant des zones situées à proximité du plus grand hôpital fonctionnant encore dans l’enclave ». On craint que ce ne soit le prochain site médical qu’Israël forcera à évacuer, dans le cadre de sa stratégie de destruction et de dépopulation systématiques de Gaza.
Tamara Nasser, 20 janvier 2024
Source originale en anglais :https://electronicintifada.net/blogs/tamara-nassar/ghassan-abu-sitta-why-israel-attacks-gaza-hospitals (20/01/2024)
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/le-chirurgien-abu-sitta-explique-pourquoi-israel-attaque-les-hopitaux-de-gaza-arretsurinfo-23-01-24/