Le CNR sauce Macron tourne au vinaigre(LH.fr-6/09/22)

Le 31 Août à l’Elysée

Démocratie-Les oppositions politiques ont d’ores et déjà décidé de boycotter le conseil national de la refondation voulu par Emmanuel Macron. Elles dénoncent une énième opération de communication orchestrée par l’hôte de l’Élysée, qui n’entend en aucun cas écouter et partager les décisions.

Le conseil national de la refondation (CNR) n’est pas encore lancé qu’il est déjà déserté. À part les membres de la Macronie et quelques syndicats, personne ou presque ne viendra, jeudi, à la séance inaugurale qui doit se tenir à Marcoussis, dans le centre d’entraînement du XV de France de rugby. Un lieu choisi par les communicants de Macron pour surfer sur les valeurs sportives de solidarité et de cohésion, avec cette idée : il n’existe qu’une seule équipe de France, même en politique. Sauf qu’Emmanuel Macron a trop dicté son jeu pendant cinq ans, sans faire de passe à personne, méprisant partis d’opposition, syndicats et associations, pour que ceux-ci soient dupes de la manœuvre. Combien de fois le président de la République a-t-il promis qu’il allait « écouter » et « coconstruire », des gilets jaunes à la réforme des retraites en passant par la convention citoyenne pour le climat et la lutte contre le Covid, avant de décider tout seul dans le secret de son bureau ou de son bunker élyséen ?

Annoncé à une semaine des législatives comme l’un des piliers de la prétendue « méthode nouvelle », le CNR a déjà subi un premier coup dur au soir du second tour. Imaginée pour donner de la légitimité à des décisions qu’une majorité aux ordres devait entériner comme lors du précédent quinquennat, l’instance était prévue pour la fin juin. Mais l’absence de majorité absolue a tout chamboulé. La Macronie y a pourtant vite vu l’occasion de mettre les oppositions au pied du mur, présentant le CNR comme l’écrin idoine afin « d’écouter tout le monde », dans le but de bâtir l’avenir en prenant en compte les nouveaux rapports de forces.

Pour « les républicains », la ficelle est un peu grosse

Mais, même dans les rangs de la Macronie, le dispositif peine à convaincre. Si le parti d’Édouard Philippe, Horizons, sera représenté jeudi, l’ancien premier ministre ne souhaite pas y participer. Son entourage a même fait savoir qu’il «  ne croit absolument pas au CNR ». Certes, Renaissance et le Modem seront de la partie. Mais c’est bien la moindre des choses. C’est d’ailleurs François Bayrou, dont le bilan comme haut-commissaire au Plan n’a rien de flamboyant, qui a été nommé secrétaire général de ce CNR. Drôle de signal, puisque l’ex-ministre, contraint de démissionner en 2017 à la suite d’une enquête de justice, est censé devenir le garant d’une prétendue refondation démocratique. Il devra passer cinq thèmes en revue : « le plein-emploi, l’école, la santé, le bien-vieillir et la transition écologique ». Mais avec qui ?

Car les fins de non-recevoir se multiplient. Chez LR, qui a joué le jeu cet été en apportant son soutien à différents textes au Parlement, on considère la ficelle du CNR un peu grosse. « Le président est le garant des institutions, mais il les méprise et tente de les contourner », tance le président du groupe LR à l’Assemblée, Olivier Marleix. Même son de cloche du côté du président du Sénat, Gérard Larcher, qui a envoyé un courrier au chef de l’État pour décliner l’invitation en dénonçant la « confusion des rôles » à l’œuvre.

Le pcf estime « qu’il n’y a pas de volonté de coconstruction de la part du gouvernement »

Peu de chance de convaincre davantage à gauche. « Nous avons toujours été dans un état d’esprit de dialogue. Mais je n’accepterai jamais de servir de prétexte quand il y a tant d’urgences sur la vie chère, l’énergie, le climat… » tranche Fabien Roussel. Le secrétaire national du PCF estime par ailleurs avoir bien vu, au mois de juillet, pendant les discussions sur la loi sur le pouvoir d’achat, « qu’il n’y a pas de volonté de coconstruction de la part du gouvernement ». La énième convocation, vendredi, du conseil de défense, cette fois sur les questions d’énergie, en est une preuve supplémentaire selon le député du Nord. Et les précédentes mises en scène démocratiques testées par le pouvoir ont laissé des traces.

« Comme pour la convention citoyenne pour le climat, c’est le monarque républicain seul qui décidera de ce qu’il fera des propositions, et nous savons ce qu’il advient du “sans filtre” », assure la députée FI Mathilde Panot, alors que dès juin Jean-Luc Mélenchon décelait dans l’initiative élyséenne la « saison 2 du grand blabla ». Avant même la décision du PS, prévue ce mardi, Olivier Faure s’est lui aussi montré des plus sévères, car, dit-il, « chat échaudé craint l’eau froide » : « Après le grand débat qui a été un long monologue, la convention citoyenne qui n’a pas été respectée, on ne voit pas très bien pourquoi on accepterait – parce que l’Assemblée ne lui plaît pas – qu’Emmanuel Macron en crée une nouvelle à sa main. » Pour le premier secrétaire du parti à la rose, la « confiance manque » et le risque est grand de se laisser piéger dans « une telle opération de communication ». « Il va chercher à mettre en scène la concertation afin de montrer que lui est ouvert et que ce sont les autres qui bloquent », analyse-t-il. Regrettant l’absence de « feuille de route, alors que dans le même temps se profile un agenda parlementaire marqué par les régressions sociales et la part belle faite au discours de l’extrême droite associant immigration et insécurité », l’écologiste Julien Bayou a envoyé de son côté une missive à l’Élysée pour « surseoir » à l’invitation.

Côté syndicats, la cfdt devrait participer, fo ne s’est pas encore décidée

Pour tous, il s’agit d’une façon de contourner le Parlement. Sans oublier le Cese, dont la réforme avait justement pour but revendiqué d’en faire une chambre citoyenne. Son président, Thierry Beaudet, se rendra au CNR « sans posture, mais sans naïveté ». « Ce ne doit pas être le conseil national de l’avalisation », affirme celui qui invite à faire « la plus grande clarté sur les objectifs, la méthode et les débouchés du CNR ». En attendant, la liste des invités n’a cessé de changer au gré des refus et des atermoiements de l’exécutif. Reste que, côté syndicats, la CFDT devrait participer. « On jugera aux actes », prévient son dirigeant, Laurent Berger. « Ce CNR, ça fleure bon l’escroquerie », mesure François Hommeril pour la CFE-CGC, qui sera bien à Marcoussis, mais avec scepticisme, tout comme la CFTC. FO ne s’est pas encore décidée. Et la CGT se prononcera ce mardi. « Nous n’irons vraisemblablement pas. Leur CNR, ça sonne complètement faux. On sait très bien que ce n’est pas pour mettre en place une démocratie participative, ni même représentative. Et il est hors de question de servir de caution aux politiques de Macron », expose Céline Verzeletti. La secrétaire confédérale de la CGT tacle au passage le nom de l’instance : « Le CNR, cela renvoie au Conseil national de la Résistance, qui a permis de très forts progrès sociaux. Il est déplacé de reprendre ces initiales alors que la politique menée par Macron est bien loin des objectifs du CNR. Cela embrouille les symboles. C’est même une provocation malvenue. »

Dialogue social. Concerter pour mieux ignorer

L es syndicats, pour Emmanuel Macron, c’est un peu comme les maires. Au début, il n’en avait rien à faire. Puis il s’est dit que, pour la forme, il fallait peut-être ne pas trop les prendre de haut. Donner des gages de « concertation », de « dialogue » et de « main tendue ». Pour l’une de ses premières grandes réformes, concernant le Code du travail en 2017, la division entre les différentes centrales a facilité la tâche du président. La CGT était vigoureusement opposée au projet, contrairement à la CFDT et à FO. « Mais, même quand nous sommes tous unanimement hostiles à une réforme, même quand nos lignes rouges se rejoignent, même quand nos propositions vont dans le même sens, le gouvernement s’en moque littéralement », déplore Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT. Des exemples ? Prenons la loi de transformation de la fonction publique de 2019 : l’exécutif multiplie les réunions, les tours de table, vante des ministres « à l’écoute » des syndicats. Mais, au final, ces derniers s’opposent tous à un texte que le gouvernement fait adopter quand même. « Si le résultat des consultations ne correspond pas à ce que Macron attend, il n’en tient tout simplement pas compte. Par contre, il y a à chaque fois une grande opération de communication autour des échanges », pointe Céline Verzeletti. Ce sera également le cas sur la réforme des retraites. Tous les syndicats, après des mois de rencontre avec le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye, indiquent clairement que le projet va dans le mauvais sens. Le gouvernement s’en moque, fonce, et utilise le 49-3 en 2020. Même méthode pour la réforme de l’assurance-chômage. L’exécutif promet des « négociations ». Il n’y en aura pas. Les syndicats sont reçus sous les dorures des ministères, des dossiers rouges et bleus sont posés sur la table, les flashs crépitent, la conversation dure des heures comme il se doit sur de tels sujets. Et à la fin, le gouvernement impose sa réforme, sans aucune négociation. Rebelote cette année, sur le pouvoir d’achat. « Les propositions des organisations syndicales sur les salaires ont été écartées d’emblée, et le texte ne répond pas aux enjeux ! » tance Céline Verzeletti. Alors, un CNR en forme de coup de com sans assurance d’être entendu, à quoi bon ?

La convention citoyenne pour le climat. La promesse vite oubliée du « sans filtre »

Pour la première fois, une loi climat devait être entièrement écrite à partir de propositions citoyennes. Au total, 150 personnes tirées au sort se réunissent pour réfléchir à des mesures censées réduire d’au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, dans un esprit de justice sociale. En juin 2020, elles transmettent, après de longs mois de travail, 149 recommandations à Emmanuel Macron, qui s’engage à les reprendre « sans filtre » par la loi ou la convocation d’un référendum.

En réalité, un mur s’érige rapidement face aux exigences de la convention. L’Élysée écarte d’emblée l’instauration d’une taxe de 4 % sur les dividendes, la limitation à 110 km/h sur les autoroutes et l’introduction en préambule de la Constitution de la préservation de l’environnement.  « Emmanuel Macron a complètement ignoré nos propositions, c’est très décevant au regard des enjeux climatiques. On a l’impression que le gouvernement s’est servi de nous pour soigner sa communication », déplore William Aucant, ancien membre de la convention citoyenne pour le climat, désormais conseiller régional d’opposition en Pays de la Loire. À ses yeux, l’addition de ces manœuvres se solde par un gâchis de temps et alimente un peu plus la défiance à l’égard du monde politique. « On était à la même table que les ministres, on pensait que les choses pouvaient évoluer dans le bon sens, mais le gouvernement avait déjà sa feuille de route préétablie et les intérêts climatiques n’y figuraient pas », déplore-t-il.

Dans un second temps, la majorité continue de détricoter à l’Assemblée les quelques propositions restantes, lors de l’examen de la loi sur le climat. L’interdiction de nouvelles zones commerciales sur des sols naturels ? C’est non, grâce à de larges dérogations. La taxation des engrais azotés ? Même refus. La rénovation énergétique des logements ? Au minimum. En décembre 2020, Emmanuel Macron avait déclaré devant la convention citoyenne pour le climat : « La rénovation énergétique est un sujet sur lequel on peut gagner ou perdre la bataille climatique. » Mais il y a toujours loin en Macronie de la parole aux actes.

source: https://www.humanite.fr/politique/conseil-national-de-la-refondation/le-cnr-sauce-macron-tourne-au-vinaigre-762398

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *