Le poids de la fatwa (l’huma.fr-16/08/22)

L’écrivaine Taslima Nasreen a dû fuir le Bangladesh après la publication de son roman, Lajja.

La machine infernale du fanatisme religieux – ici, islamiste – n’en finit pas de prendre des vies en otage et de menacer la liberté d’expression et de création.

Salman Rushdie avait alerté l’opinion mondiale. Au-delà de son cas personnel, la menace sur la liberté d’expression allait devenir un nouveau modèle de terrorisme international. « Si ce modèle n’est pas combattu, il sera appliqué et étendu », avertissait-il en 1993 à Strasbourg lors de la fondation du Parlement international des écrivains. C’est ce qui s’est passé et qui continue de peser, comme une épée de Damoclès, sur de nombreuses personnes.

La condamnation à mort prononcée par Khomeini le 14 février 1989 ne concernait pas que l’auteur du livre, mais «  aussi ceux qui l’ont publié ou ont connaissance de son contenu ». En juillet 1991, le traducteur japonais de Rushdie est assassiné, quelques jours après que son traducteur italien et son éditeur norvégien furent grièvement blessés. En juillet 1993, à Sivas, en Turquie, 37 personnes périssent dans l’incendie criminel de leur hôtel, où se trouvait Aziz Nesin, le traducteur turc des Versets sataniques. En 1994, l’écrivain égyptien Naguib Mahfouz, qui survécut à ses blessures, est égorgé en pleine rue alors qu’en Algérie le terrorisme islamiste cible des intellectuels et plonge le pays dans « la décennie noire », qui contraint nombre d’entre eux à l’exil.

Cette même année 1994, qui voit s’étendre l’influence du wahhabisme (doctrine saoudienne de l’islam fondamentaliste), l’écrivaine Taslima Nasreen doit fuir le Bangladesh après la publication l’année précédente de Lajja, un roman sur les violences interethniques. Visée par une fatwa (prescription ou décret religieux) d’un groupe islamiste local la condamnant à mort, elle vit, depuis, en exil en Inde, sous une perpétuelle menace. Mais toujours aussi déterminée à se battre contre « l’inquiétante montée en puissance des fondamentalistes dans le monde ».

Une condamnation à mort qui n’a rien de symbolique

En France, entre 30 et 50 personnes seraient placées sous protection policière, notamment depuis l’horrible assassinat de Samuel Paty. La liste est connue des seuls services de renseignement. « En réalité, la protection est davantage un accompagnement de sécurité, car on voit bien qu’à tout moment on peut se faire attaquer », explique Amine Elbahi, ancien « fixeur » pour l’émission Zone interdite (M6). Depuis janvier 2022, lui-même et la journaliste Ophélie Meunier sont sous une protection policière journalière.

C’est une menace permanente au-dessus de leurs têtes, dont on peut mesurer, depuis l’attentat du 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo, qui a fait 12 morts, qu’elle n’a absolument rien de symbolique. Riss, le directeur de la rédaction, survivant du massacre, vit sous protection policière depuis qu’une fatwa a été émise contre lui, en 2015, du Pakistan. Ce qui signifie ne plus être libre de ses mouvements, ne plus pouvoir prendre un verre entre amis ni faire de reportage : c’est douloureux pour tout individu, et insupportable pour un journaliste. Depuis l’attentat, la rédaction de Charlie travaille dans des locaux secrets, hypersécurisés, qui coûtent une fortune : rien n’est normal dans cette séquence et dans cette façon de vivre. Dans une interview au Journal du Dimanche, le 14 août, Riss juge justement que l’agression contre Salman Rushdie « heurte autant (s) on optimisme qu’il renforce (s) on pessimisme. II faut toujours avoir à l’idée qu’une attaque ou une agression est possible, et toujours raisonner en se disant que cela peut recommencer ».

Si après la publication des caricatures de Mahomet, en 2005, le journal a subi moult procès et intimidations, c’est en 2013 qu’a été lancée, dans la revue en ligne Inspire d’al-Qaida, l’appel à tuer Charb, l’ancien directeur de la rédaction de Charlie. En février 2006, une fatwa avait été émise, dans l’État indien de l’Uttar Pradesh, contre les 12 dessinateurs danois, auteurs des fameuses caricatures.

Dans un message publié samedi sur le site de Charlie Hebdo, Riss a écrit : «  Il va falloir répéter encore et encore que rien, absolument rien ne justifie une fatwa, une condamnation à mort, de qui que ce soit pour quoi que ce soit. »

Caroline CONSTANT & Latifa MADANI

source: https://www.humanite.fr/culture-et-savoirs/fatwa/le-poids-de-la-fatwa-760481

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