Le politologue Jérôme Fourquet : “On ne peut écarter une victoire de Marine Le Pen en 2027”. ( JDD – 17/07/22 ) 

Jérôme Fourquet en 2019.
Jérôme Fourquet en 2019. (RETMEN/SIPA)

INTERVIEW – Pour le directeur du département Opinion de l’Ifop, Jérôme Fourquet, « les règles de la grammaire électorale ont manifestement changé ».

Dans L’Archipel Français puis dans La France sous nos yeux, Jérôme Fourquet a diagnostiqué le basculement sociologique, culturel et électoral du pays. Il esquisse les perspectives qui s’offrent au RN.

Le score obtenu aux législatives par le Rassemblement national était-il prévisible ?
Toute élection recèle sa part d’incertitude. Ce scrutin faisait suite à l’élection présidentielle où Marine Le Pen avait atteint le score de 41,5% des voix au second tour, et au premier tour des législatives, les candidats du RN étaient en progression de 5 points par rapport à 2017. Le parti lepéniste était donc porté par une vraie dynamique. Mais des circonstances particulières se sont produites au second tour et elles ont considérablement modifié la donne. Du fait d’une part d’un anti-macronisme très ancré dans l’électorat de la Nupes et d’autre part, d’une hostilité à Mélenchon dans celui de la majorité présidentielle, les candidats frontistes ne se sont pas heurtés cette année au tir de barrage du front républicain, ce qui a mécaniquement fait grimper leur taux de victoires au second tour, dans des proportions inédites. En 2017, sur 104 duels entre En Marche et le RN, ce parti ne l’avait emporté que dans 7 circonscriptions. Cette année, sur 107 duels de ce type, le RN a gagné dans 53 circonscriptions… Pour parler comme le Président, les règles de la « grammaire » électorale ont manifestement changé.

Pourquoi dans les circonscriptions populaires vote-t-on plus volontiers RN que LFI ?
Il faut préciser le diagnostic et distinguer les circonscriptions populaires de banlieue et celles situées dans la France périphérique. Dans les premières, où la population issue de l’immigration est nombreuse, on s’est tourné massivement vers la Nupes, qui réalise par exemple le grand chelem en Seine-Saint-Denis. Le RN a pris, quant à lui, l’ascendant dans ces autres espaces, où le discours social du parti est entré en résonnance avec les attentes de cet électorat populaire. Mais si ces électeurs ont préféré le RN à la Nupes, c’est que le parti lepéniste propose parallèlement à un programme social, des mesures fortes sur l’immigration et la délinquance, quand Jean-Luc Mélenchon déclarait lui que « la police tue ». Ce type de discours étant totalement disqualifiant dans ces territoires.

Le sentiment d’insécurité a-t-il pesé lourd dans le vote ?
Marine Le Pen n’a pas fait véritablement campagne pour les législatives, mais le bruit de fond de l’actualité a travaillé pour son parti. Les évènements du Stade de France sont venus valider le discours frontiste sur l’ensauvagement de la société et la perte de contrôle sur des quartiers entiers. Et quelques jours avant le second tour, survenait la polémique sur les tirs de policiers sur un véhicule refusant d’obtempérer dans le 18ème arrondissement de Paris. Le pedigree du conducteur, au casier judiciaire plus que chargé mais néanmoins en liberté, a encore renforcé l’idée d’un laxisme judiciaire, largement répandue dans l’opinion.

Emmanuel Macron doit-il être considéré malgré lui comme un efficace agent électoral du RN ?
Comme on l’a dit, l’anti-macronisme très virulent dans l’électorat frontiste, a constitué un puissant ressort de mobilisation dans cet électorat qui voulait sa revanche après la présidentielle. Cette hostilité au Président n’a cessé de se renforcer durant le quinquennat écoulé, que l’on pense à la crise des gilets jaunes ou aux manifestations contre le passe sanitaire en plein été 2021. Il s’est également exprimé par un vote RN élevé lors de ces législatives et, dans certaines circonscriptions, par des reports au second tour sur les candidats de la Nupes pour faire tomber des figures emblématiques de la Macronie, comme Ferrand ou Castaner.

L’anti-macronisme très virulent dans l’électorat frontiste, a constitué un puissant ressort de mobilisation

L’évolution sociologique et idéologique de la France fait-elle de Marine Le Pen la favorite de 2027 ?
Quand on prend du recul, on ne peut qu’être frappé par le mouvement de montée tendancielle du vote RN. Ainsi, il y a 20 ans, au second tour de l’élection présidentielle de 2002, Jean-Marie Le Pen n’avait recueilli que 18% et Jacques Chirac l’avait écrasé avec 20 millions de voix d’avance. En 2017, Emmanuel Macron avait plus de 10 millions de bulletins d’avance sur Marine Le Pen. Mais cette année l’écart a été ramené à 5 millions… Dans de nombreux départements de la moitié ouest du pays (Mayenne, Haute-Vienne, Deux-Sèvres…), les scores observés au second tour de la présidentielle sont ceux que l’on enregistrait il y a 20 ans dans les bastions du Var ou du Vaucluse. Le plafond est devenu le plancher, et à l’image du réchauffement climatique, les températures exceptionnelles sont devenues la norme. Cette montée en puissance s’est matérialisée par l’élection de pas moins de 89 députés RN aux législatives. Dans ce contexte, la perspective d’une victoire de Marine Le Pen en 2027 est désormais une hypothèse de travail que l’on ne peut plus écarter d’un simple revers de main.

Quels sont les écueils qui peuvent être fatals au Rassemblement national et à ses députés ?
À cette dynamique électorale porteuse s’ajoutent des moyens financiers et humains dont le parti n’a jamais bénéficié. Du fait de ses résultats aux législatives, le RN va en effet bénéficier de 10 millions d’euros de financement public chaque année, durant toute la durée de la mandature, et va pouvoir recruter plusieurs centaines de collaborateurs et d’attachés parlementaires. Deux scénarios sont dès lors envisageables. Soit le parti se professionnalise et l’entourage de Marine Le Pen se sert de ces moyens inédits pour bâtir une véritable machine de guerre électorale. Soit le mouvement ne parvient pas à rompre avec une forme d’amateurisme et succombe au népotisme et à la distribution de prébendes aux favoris de la direction, ce qui obérerait toute chance de victoire.

Par : Jérôme Béglé

Source : Le politologue Jérôme Fourquet : « On ne peut écarter une victoire de Marine Le Pen en 2027 » (lejdd.fr)

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