Le président du Conseil d’orientation des retraites écarté pour sa parole trop libre. (Mediapart – 25/10/23)

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Pierre-Louis Bras lors de la présentation du rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites à Paris en 2019. © Photo Vincent Isore / IP3 via MaxPPP

Par Dan Israel

En poste depuis 2015, Pierre-Louis Bras sera remplacé la semaine prochaine. Matignon assure qu’il ne s’agit pas d’une sanction, mais le pouvoir n’a pas caché son agacement ces derniers mois face à ses prises de position sur la réforme des retraites. Les syndicats s’inquiètent de sa succession.

Cela faisait sans doute trop longtemps qu’il déparait dans le paysage. Pierre-Louis Bras, le président du Conseil d’orientation des retraites (COR) depuis 2015, a été écarté de son poste par le gouvernement. Comme l’a révélé Le Monde mercredi 25 octobre, le haut fonctionnaire sera démis de ses fonctions et remplacé dans le courant de la semaine prochaine, lors du conseil des ministres. La nouvelle lui a été annoncée dans la soirée du 24 octobre.

L’entourage de la première ministre, Élisabeth Borne, a assuré à l’AFP qu’il ne s’agit en rien d’« une mesure de sanction ». « Ça fait presque neuf ans qu’il détient cette responsabilité. Nous pensons que c’est le bon moment pour procéder à un renouvellement, peu après la réforme des retraites », indique Matignon.

Un argumentaire qui fait rire jaune les soutiens de Pierre-Louis Bras au COR. « Pas une sanction ? On ne lui a pas non plus proposé d’autres postes prestigieux. Élisabeth Borne lui en veut à mort, et il le savait, confie un membre du Conseil dont il est proche. Quelques jours avant notre réunion du mois de septembre, il m’avait déjà dit qu’il n’était pas sûr de la présider. » Pierre-Louis Bras était finalement resté en poste, et il a aussi pu présider la dernière réunion mensuelle de l’institution, qui a eu lieu le 17 octobre. Mais celle de novembre sera dirigée par son successeur.

Peu de surprise dans cette éviction. Dès cet été, les services de l’État ont contacté plusieurs experts des affaires sociales pour leur proposer de remplacer Pierre-Louis Bras. Contacté par Mediapart, ce dernier n’a pas souhaité s’exprimer officiellement. Mais même s’il répétait volontiers ces derniers mois qu’il n’était pas vissé à son poste, et qu’à 65 ans, sa carrière était faite, il dissimule à peine son amertume aujourd’hui.

Car si ce départ n’est pas scandaleux sur le papier, après plus de huit ans en poste, les raisons du désamour que lui voue l’exécutif sont un secret de Polichinelle : durant les premiers mois de 2023, il n’a pas suffisamment soutenu le gouvernement lors du long mouvement social contre la réforme des retraites, pas particulièrement enthousiasmé par les arguments justifiant l’objectif de reculer l’âge de départ légal de 62 à 64 ans.

Les syndicats, qui siègent au COR, ne se font pas prier pour souligner cette situation auprès de Mediapart. « Pour nous, le président du COR paye ses interventions et son honnêteté sur la réforme des retraites », dit Michel Beaugas, le négociateur en chef de Force ouvrière sur les questions d’emploi et de retraite. « La CGT dénonce une éviction-sanction envers une personnalité reconnue pour son expertise et son indépendance. Le gouvernement se venge de ses prises de parole critiques au printemps », appuie son homologue de la CGT Denis Gravouil. Dans Les Échos, la dirigeante de la CGT, Sophie Binet, a estimé que cet épisode « confirme la grave dérive autoritaire du pouvoir ».

Pour la CFDT, le secrétaire général adjoint Yvan Ricordeau loue le travail de Pierre-Louis Bras : « La CFDT a apprécié travailler avec lui. Sous sa présidence, le COR a assuré ses missions : ce fut un lieu de consensus, qui a réussi cet équilibre entre exigence scientifique et exercice démocratique. »

Audition fatale à l’Assemblée 

C’est tôt dans la bataille des retraites que les positions gouvernementales se sont durcies contre le haut fonctionnaire, inspecteur des affaires sociales, ancien directeur de la Sécurité sociale et membre de divers cabinets de ministres de gauche, et notamment celui de Martine Aubry à la fin des années 1990, lorsqu’elle était ministre de l’emploi et de la santé.

Le 19 janvier, jour de la première manifestation intersyndicale contre le projet du gouvernement, le dirigeant du COR était auditionné à l’Assemblée, par les commissions des finances et des affaires sociales. Quelques phrases prononcées à cette occasion ne lui ont jamais été pardonnées par le pouvoir. Comme il le faisait régulièrement depuis le printemps précédent, il avait rappelé que « les dépenses de retraite ne dérapent pas » et qu’« elles sont relativement maîtrisées ».

Propos repris le 4 février, devant le Sénat cette fois. Son argumentaire, simple, collait en tout point aux données rassemblées dans les rapports annuels du COR. Même avant la dernière réforme, il n’était nullement prévu que la part des dépenses de retraites explose, en proportion du produit intérieur brut(PIB, c’est-à-dire la richesse produite en France chaque année) : à partir de 2030, elle devait même diminuer constamment, et osciller en 2070 entre 11,3 % et 13 % du PIB, contre 14,7 % en 2020. En effet, les réformes votées précédemment, et entrant peu à peu en vigueur, auraient de toute manière fait baisser les pensions de nouveaux et nouvelles retraité·es, année après année.

Dans la synthèse de son rapport publié en septembre 2022, le Conseil d’orientation des retraites l’écrivait noir sur blanc : « Les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite. »

Dès le 23 janvier, lors de ses vœux à la presse, Élisabeth Borne avait mis en scène son agacement envers Pierre-Louis Bras, estimant qu’il était « peut-être » amené à avoir « une position assez personnelle sur les travaux » de son institution. Dans Le Parisien du 9 avril, elle avait insisté, lui reprochant d’avoir « brouillé les esprits » sur le report à 64 ans.

Enfin, le 12 juillet, lors des questions au gouvernement au Sénat, la première ministre avait carrément accusé le COR de n’avoir pas « pleinement joué son rôle ces derniers temps », en raison de travaux se prêtant à « toutes sortes d’interprétations et d’expressions, éloignant ainsi le COR de sa mission originelle ».

Toutes ces personnalités ne sont pas des gens qu’on considère généralement comme des rigolos. Le COR n’est pas le repaire d’affreux syndicalistes que certains décrivent.

Pierre-Louis Bras, en privé, il y a quelques semaines

Une charge surprenante contre une institution indépendante justement pensée pour rassembler tous les avis sur l’évolution des régimes de retraites, et les présenter de la manière la plus complète et scientifique possible. Créée en 2000, elle est chargée de tracer les perspectives financières à moyen et à long terme des différents régimes, et est composée de manière très diverse, ses 42 membres étant des parlementaires, des représentant·es des administrations, des syndicats et du patronat, et des expert·es de la question.

« Toutes ces personnalités ne sont pas des gens qu’on considère généralement comme des rigolos, commentait en privé Pierre-Louis Bras il y a quelques semaines. Le COR n’est pas le repaire d’affreux syndicalistes que certains décrivent. » Les rapports annuels de l’institution sont établis à partir des données du gouvernement, des projections démographiques de l’Insee et des chiffres des administrations. Sous la présidence de Pierre-Louis Bras, toutes les publications officielles ont fait l’objet d’un consensus entre ses membres.

« Le gouvernement voulait un discours plus simple, ramassé, qui dirait que puisque la France vieillit, il faut reporter l’âge légal de départ à la retraite, résumait l’entourage du haut fonctionnaire peu après cette bataille. Il aurait fallu tordre des données pour les faire entrer dans un discours politique. »

Depuis le mois de janvier, la seule membre du COR à avoir ouvertement exprimé un désaccord avec son président pendant les réunions mensuelles a été Agnès Bénassy-Quéré, la cheffe économiste de la direction générale du Trésor, qui est depuis devenue vice-gouverneure de la Banque de France. Comme le gouvernement, elle avait appelé à marteler un message simple : la France vieillissant, il y a un problème avec les retraites.

Inquiétudes sur la succession 

La controverse avait encore été relancée le 22 juin dernier, avec la publication du rapport 2023 du COR. Ce document établissait que, contrairement à ce qu’avait clamé le gouvernement pour imposer sa réforme, le système des retraites ne devrait pas atteindre l’équilibre financier en 2030, et devrait en fait présenter un léger déficit – équivalent à 0,2 % ou 0,3 % du PIB.

Le gouvernement n’avait alors pas caché sa colère. « Vous voyez bien que ses prévisions changent tout le temps »avait accusé le ministre de l’économie, Bruno Le Maire. Le ministre du travail, Olivier Dussopt, avait quant à lui fait mine de s’interroger sur la pertinence des prédictions de l’organisme, qui estimait quelques mois plus tôt qu’« il n’y [avait] pas le feu au lac ». Un acharnement qui avait poussé l’institution à publier un très rare communiqué de presse, par lequel « l’ensemble des membres » du COR défendait ses positions, rappelant qu’il n’y avait « pas de révision substantielle entre les projections du COR de 2022 et celles de 2023 ».

Dans les heures suivant l’annonce de son départ, les hommages se sont multipliés pour saluer la personnalité et le rôle de Pierre-Louis Bras. Se décrivant volontiers comme un « simple fonctionnaire, un technocrate », ce fils de paysans de l’Aveyron passé par HEC, l’ENA et un DEA en économie, était très apprécié. Lucide, il avait confié plusieurs fois savoir que le gouvernement attendrait un peu pour l’écarter, pour éviter qu’il « tombe en martyre de la gauche pendant la contestation contre la réforme des retraites ».

Désormais, sa succession inquiète. « Le message politique du gouvernement est clair : ils veulent un COR aux ordres, au service d’une réforme dont personne ne veut », cingle un membre de l’institution. « Sans préjuger de la personne qui sera nommée à la suite de Pierre-Louis Bras, on peut s’inquiéter pour l’avenir et pour l’indépendance du COR », dit Michel Beaugas, de Force ouvrière. « On attend du gouvernement qu’il conforte le COR », avertit Yvan Ricordeau, le numéro 2 de la CFDT.

Il n’est pas certain que l’exécutif l’entende ainsi. Parmi les personnalités approchées pour prendre la suite, figure Éric Aubry. Actuellement conseiller spécial de Gérard Larcher, le président LR du Sénat, il a surtout été membre du cabinet de François Fillon à Matignon, entre 2007 et 2012. À ce titre, il avait été l’un des principaux artisans de la réforme de 2010, qui avait reporté de 60 à 62 ans l’âge légal de départ à la retraite.

Source : https://www.mediapart.fr/journal/politique/251023/le-president-du-conseil-d-orientation-des-retraites-ecarte-pour-sa-parole-trop-libre

URL de cet article : https://lherminerouge.fr/le-president-du-conseil-dorientation-des-retraites-ecarte-pour-sa-parole-trop-libre-mediapart-25-10-23/

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