Les Américains vivent de moins en moins longtemps. ( Histoire & Société – 17/10/22)

DESSIN D’ARCADIO PARU DANS « LA PRENSA LIBRE », COSTA RICA.
Le financial Times révèle une réalité que Washington tout à ses rêves bellicistes refuse de voir: l’espérance de vie n’a cessé de reculer aux Etats-Unis et elle est désormais inférieure à celle de la Chine. La démographie est en matière de sciences humaines celle qui se rapproche le plus de “l’objectivité” des sciences naturelles et qui dit souvent l’état réel d’une société, ici c’est l’indication d’une crise profonde alors même que les États-Unis portent partout dans le monde guerre, misère mais organisent les crises de telle sorte que ce soient des effets par procuration, c’est une crise interne qui produit cette tendance. Nous avons le miroir de la civilisation chinoise et la rencontre entre deux systèmes y compris avec le petit Cuba. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Ces dernières années, l’espérance de vie n’a cessé de reculer aux États-Unis : elle est désormais inférieure à celle des Chinois. Une crise nationale aux racines profondes, pourtant largement ignorée à Washington.

[Cet article est extrait du hors-série n°91 de Courrier international consacré à “la bombe démographique mondiale”]

Le recul de l’espérance de vie n’est pas, a priori, une menace pour la sécurité nationale aux États-Unis. Pourtant, quand cet indicateur chute aussi vite que dans ce pays – les Américains vivent presque cinq ans de moins que la moyenne dans les pays riches –, même le Pentagone doit s’en soucier. Avec une espérance de vie de 76 ans, les Américains vivent désormais moins longtemps que les Chinois et une année seulement de plus que les citoyens du Mexique, ce pays prétendument attardé. Les populations japonaise, italienne et espagnole ont une espérance de vie d’environ 84 ans. La longévité est l’ultime révélateur du bon fonctionnement d’un système, mais personne – démocrates, républicains, présidents ou parlementaires – ne semble s’en préoccuper.

Les Américains ne s’intéressent-ils plus au temps qu’ils ont à vivre ? La réponse est si, évidemment. Mais si cette situation les préoccupe, cela ne transparaît nullement dans la vie politique du pays. C’est comme si Washington avait décidé d’ignorer la question, alors qu’elle révèle des tendances profondes sous-jacentes aux malheurs de la démocratie américaine. Les expressions telles que “morts de désespoir” et “épidémie d’obésité” sont courants, mais le recul de l’espérance de vie semble un sujet trop vaste pour que Washington s’en saisisse. Une baisse a été enregistrée durant six des sept dernières années ; entre 2014 et 2022, près de trois ans d’espérance de vie ont été perdus. La dernière fois qu’elle avait reculé sur plusieurs années consécutives, c’était pendant la Première Guerre mondiale. Dans les autres démocraties, un tel phénomène déclencherait un débat national.

Un sujet passé sous silence

Comment expliquer cette indifférence américaine ? Les principales causes de la trajectoire morbide des États-Unis sont délicates politiquement – la hausse de l’obésité, la crise des opioïdes et le Covid. Plus de 40 % des adultes américains sont maintenant considérés comme obèses, et ce chiffre continue de grimper. Plus de la moitié des adultes américains souffrent d’une maladie chronique, dont la plupart sont associées à l’obésité – le diabète, l’hypertension et les troubles cardiaques. Ces facteurs expliquent en partie le taux anormalement élevé de mortalité due au Covid. Près de deux tiers des Américains hospitalisés en raison du Covid souffraient d’au moins un antécédent médical, et le virus attaquait ainsi sur un terrain favorable.

Reste que la lutte contre l’obésité est peu avantageuse politiquement. Insulter près de la moitié de la population majeure n’est pas le meilleur moyen de décrocher des votes. Le sujet hérisse l’électorat républicain. Les comtés ruraux les plus pauvres que Donald Trump a presque tous remportés en 2016 et 2020 ont des taux d’obésité bien plus élevés que les villes. D’ailleurs, les comtés qui ont enregistré le plus fort recul de l’espérance de vie étaient ceux les plus susceptibles de voter pour Trump.

Tristement exceptionnel

Les démocrates ne sont pas plus incités à en parler. La crise des opioïdes touche de façon disproportionnée des régions qui ont cessé de voter pour ce parti depuis longtemps, en particulier dans les Appalaches. Parallèlement, la grossophobie a rejoint la liste des tabous de l’Amérique progressiste. Le mouvement qui défend l’acceptation des personnes en surpoids gagne du terrain.

Tôt ou tard, les États-Unis devront pourtant ouvrir les yeux. Lors d’une audition parlementaire, un général des marines a témoigné que l’année 2021 avait sans doute été “la plus difficile de l’histoire du recrutement”, principalement parce que les jeunes américains ne réussissent pas les épreuves physiques de l’armée.

Le pays est aux prises avec d’autres facteurs de mort précoce, notamment les accidents de la route et la violence par armes à feu. Mais l’association des maladies chroniques courantes et des morts par overdose fait des États-Unis une exception dans un mauvais sens. Comme les soins par habitant y coûtent 53 % de plus qu’en Suisse – le deuxième pays où ils sont le plus chers –, on voit aussi que les Américains sont loin d’en avoir pour leur argent. Même les systèmes de santé relativement sous pression, comme la NHS au Royaume-Uni, donnent de bien meilleurs résultats. L’espérance de vie britannique est de presque 82 ans.

Déserts alimentaires

Nous en venons ainsi au défi du mode de vie américain. Au moment où les gens bataillent avec leur assureur depuis leur lit d’hôpital ou peinent à financer leur longue liste de médicaments, en raison des inégalités en matière de couverture médicale, il est déjà trop tard. Le problème des États-Unis porte autant sur l’absence de prévention que sur l’accès aux soins. Les Américains font relativement peu de sport, consomment une quantité faramineuse de sucres et de matières grasses, et ne s’en inquiètent pas puisque autour d’eux tout le monde, ou presque, en fait autant.

Il serait malvenu de reprocher aux gens un manque de volonté. La malbouffe coûte bien moins cher aux États-Unis qu’une alimentation saine. Certaines régions pauvres du pays sont, à juste titre, qualifiées de “déserts alimentaires”, car on n’y trouve aucune nourriture qui soit bonne pour la santé. Les cantines scolaires veillent à ce que ces mauvaises habitudes s’enracinent de bonne heure. Taxer les boissons sucrées et les formats démesurés de la restauration rapide serait utile s’il y avait une offre bon marché en remplacement. La taxation dissuasive a fonctionné pour le tabac.

Sur ce terrain, le président cycliste, Joe Biden, qui dépasse de presque quatre ans la durée de vie moyenne de son pays, pourrait faire de son âge un atout. Pour commencer, il serait bien inspiré d’aborder franchement la crise nationale de mortalité.

Edward Luce

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Fondé en 1888 sous le nom de London Financial Guide, un journal de quatre pages destiné “aux investisseurs honnêtes et aux courtiers respectables”, le Financial Times est aujourd’hui le quotidien financier et économique de référence en Europe. Il n’y a pas une institution financière ou banque digne de ce nom qui ne reçoive un exemplaire de ce journal britannique immédiatement reconnaissable à son papier rose saumon.
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Source : Les Américains vivent de moins en moins longtemps | Histoire et société (histoireetsociete.com)

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