Le réchauffement climatique et les canicules sous-marines impactent aussi les algues, alerte Line Le Gall, du Muséum d’histoire naturelle, qui participe à un congrès européen à Brest jusqu’au samedi 26 août.
En tant que professeure au Muséum d’histoire naturelle, chargée de la conservation de la collection d’algues, avez-vous observé la disparition d’algues en France ?
Non, pas de disparition, mais certaines sont beaucoup plus rares, parmi les algues brunes notamment. Le changement global influence les communautés d’algues que l’on va retrouver sur nos côtes. Il y a aussi des espèces non indigènes qui arrivent. Le transport mondial augmente et les algues sont parfois des passagers clandestins. L’aquaculture a été pointée du doigt ou encore les eaux de ballast des bateaux. Les sargasses que l’on trouve sur les côtes bretonnes sont arrivées avec les huîtres japonaises importées dans les années 60-70. Elles sont accrochées au fond à la différence des sargasses que l’on trouve aux Antilles, qui vivent en flottant. La prolifération de ces dernières est liée au changement d’usage des sols et des eaux en Amérique du Sud et Centrale et aux modifications des courants en Atlantique. L’homme a induit ça, ce ne sont pas phénomènes naturels.
Quel phénomène vous inquiète le plus ?
Je trouve très inquiétantes les canicules sous-marines, dont on parle très peu. Ce sont des phénomènes brutaux. Sur des phénomènes un peu contenus, on peut espérer une adaptation, mais je suis sceptique sur la capacité du vivant et de la biodiversité à réagir à temps à une canicule. L’aspect brutal est plus dévastateur. L’inertie thermique de l’eau étant bien supérieure à celle de l’air, ces phénomènes de réchauffement perdurent beaucoup plus longtemps. Il n’y a pas la fraîcheur nocturne par exemple. Sur terre, même quand il fait chaud, cela se rafraîchit la nuit, on n’a absolument pas ça en mer.
En Bretagne, la canicule de 2003 a provoqué un réchauffement ponctuel de l’eau très important qui a perduré près de trois ans. Et ici, la température de l’eau augmente de 0,36 degré tous les dix ans, c’est trois fois plus qu’à l’échelle mondiale, cela veut dire que cela se réchauffe plus vite à nos latitudes qu’à d’autres latitudes.
Quelles sont les conséquences de ce réchauffement des eaux ?
Certaines espèces voient déjà leurs cycles de reproduction perturbés parce qu’ils sont liés à la température. Les dates de reproduction vont donc changer. Les algues laminaires, par exemple, ont un cycle de reproduction qui s’arrête quand les températures deviennent trop élevées. Pendant une période de l’année, la reproduction s’arrête. Pour des organismes qui vivent entre 5 et 15 ans, s’il n’y a pas de reproduction un an, ce ne sera pas la fin du monde. Mais face à des succès de reproduction de plus en plus faibles, les populations vont devenir de plus en plus mal en point.
Les algues sont le premier maillon de la chaîne alimentaire puisqu’elles font la photosynthèse et les grandes algues marines fournissent un habitat. Si elles vont mal, tout ce qui leur est associé sera aussi impacté.
Est-il encore temps de réagir ?
Je suis convaincue qu’il va falloir réagir, c’est le moment de le faire, dans dix ans ce sera trop tard, il y a urgence à faire quelque chose. Il y a encore moyen d’agir : limiter fortement nos consommations de matières fossiles, cela implique des modèles économiques qui ne soient plus seulement basés sur de la croissance. Mais politiquement, ce discours n’est pas accepté. C’est très important qu’individuellement on ne baisse pas les bras.
Par Catherine Le Guen
Source : « Les canicules sous-marines ont un impact brutal sur les algues » | Le Télégramme (letelegramme.fr)
URL de cet article : « Les canicules sous-marines ont un impact brutal sur les algues ». (LT.fr – 22/08/23) – L’Hermine Rouge (lherminerouge.fr)