Par Nina LACOUR
Exposition– Puisant dans le copieux fonds d’images du musée de Bretagne, à Rennes, « La vie en photographie » retrace l’œuvre de plusieurs artistes de la région, entre la fin du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, et valorise une mémoire locale.
En 2014, le photographe Mathieu Pernot tombe sur un lot de photographies argentiques 9×9 cm en couleurs. Il l’achète. Les clichés, datés de 1965, cadrent des vitrines de studios photographiques de Bretagne et de l’Ouest. Ce serait l’œuvre d’un représentant de Kodak en charge de constater le poids de l’empire photographique de l’entreprise américaine. Près de soixante années ont passé et le photographe-enquêteur revient sur les lieux où ces images sèches et objectives ont été prises pour capturer à nouveau ces devantures. Sur l’une d’elles, son reflet se dessine comme une verrue du temps présent.
disparition des vitrines estampillées kodak
Si ce voyage dans le temps en vaut la chandelle, le constat est sans appel : les studios qui ont résisté à la vague de la numérisation se comptent sur les doigts d’une main. Sur les ruines du savoir-faire argentique fleurissent des chaînes de restauration, des coiffeurs ou encore des bureaux d’intérim. Mais la raréfaction des vitrines estampillées Kodak n’est qu’une entrée en matière pour évoquer ce qui préoccupe véritablement Mathieu Pernot : les heures de gloire de la photographie argentique en Bretagne. Entre la fin du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, dans une société encore assez rurale, la pratique photographique est implantée dans la région en tant qu’outil social. Les portraits et clichés de famille sont exécutés quasi religieusement. Le parcours met en lumière le travail de photographes de la région, comme autant de passeurs des âges de la vie. Un nom sort du lot, Anne Catherine. Reprenant l’atelier de son mari à sa mort, elle produit des images rituelles, conventionnelles, à l’exception d’un portrait de trois hommes grotesquement masqués. Une zébrure inattendue dans l’exposition.
les visiteurs se sentent épiés par ces visages
Sur plusieurs pans de mur, se décline une série de visages. Les cols roulés, Claudine, lavallières ou Mao se succèdent. Les époques, les styles se mêlent. Les yeux timides, ou dissimulés derrière des binocles noirs, avoisinent les regards fiers et perçants. Ils sont de profil ou de face, cheveux nus ou tenus par une coiffe. Tous, à leur façon, prennent la pose. Les clichés parfaitement exécutés jouxtent les images « ratées ». Un nuage brun, fruit de l’altération du négatif sur plaque de verre, plane sur le portrait d’une fillette. La frise n’est pas historique, mais suit une chronologie sensible de la vie humaine, de la petite enfance à la vieillesse. L’agrandis- sement des portraits produit un trouble. Les visiteurs se sentent épiés par ces visages. L’inquiétude culmine dans la salle qui agence des photographies post mortem d’enfants. « Être représenté sur le support photosensible, c’était gagner une part d’éternité », souligne Mathieu Pernot. « La vie en photographie » sélectionne quelques clichés parmi le très riche fonds, 500 000 négatifs, du Musée de Bretagne. La démarche s’inscrit dans un colossal chantier d’archivage et de numérisation des collections de photographies amorcé en 2021. Il s’agit d’exhumer une mémoire locale. En exhibant des boîtes de pellicules, l’exposition fait la part belle à la matérialité de l’image.
« La vie en photographie », au musée de Bretagne, à Rennes, jusqu’au 3 décembre. Rens. :musee-bretagne.fr
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